Chico ventana tambien quisiera tener un submarino
Uruguay, Argentine, Brésil, Pays-Bas, Philippines, 2020
Titre original : Chico ventana tambien quisiera tener un submarino
Réalisateur : Alex Piperno
Scénario : Alex Piperno
Acteurs : Daniel Quiroga, Inés Bortagaray et Noli Tobol
Distributeur : –
Genre : Fantastique
Durée : 1h24
Date de sortie : –
3/5
Passer d’un monde à l’autre par l’intermédiaire d’une porte secrète, cela relève des dispositifs largement éprouvés du cinéma fantastique. L’exemple le plus récent en date à nous venir à l’esprit serait L’Aventure des Marguerite de Pierre Coré sorti cet été. Dans ce cas-là, il s’agissait certes d’une malle au pouvoir magique, mais sinon ce va-et-vient entre différentes formes spatio-temporelles de réalité et d’imagination compte parmi les recettes les plus usées du genre. D’où l’agréable surprise, en fin de notre séjour au Festival de Biarritz, de tomber sur un film capable de conférer une perspective tant soit peu originale à ce lieu de passage au fort potentiel d’ennui !
Car l’aspect le plus fastidieux de Chico ventana tambien quisiera tener un submarino, c’est indubitablement son titre à rallonge. Admettons que ce dernier dispose d’un certain degré poétique, il a toutefois tendance à compliquer intellectuellement notre approche d’un premier film, qui se distingue au contraire par sa simplicité apparente. Avec son premier film, Alex Piperno a en effet réussi à rendre sa beauté et sa pureté à une construction cinématographique par essence tirée par les cheveux. Ici, aucune finalité héroïque ou apocalyptique ne vient perturber une anomalie dans la linéarité du quotidien des personnages, contée sans le moindre subterfuge stylistique. On y assiste simplement à l’anti-épopée fantastique par excellence. Celle-ci a le don de plonger le spectateur dans une atmosphère de calme et de quiétude, perturbée tout juste par le trouble diffus provoqué par l’étrange cabane dans les bois côté philippin.
Synopsis : Lors de ses tournées nocturnes à travers les collines autour de son village, le paysan Noli découvre une mystérieuse cabane en pierre. Il avertit sans tarder les responsables du village de la présence inexpliquée de cet étrange édifice. Ensemble, ils remontent l’examiner. En attendant de savoir de quoi il s’agit précisément, ils y instaurent une garde permanente. Un jeune employé de nettoyage sur un bateau de croisière, en mer du côté de la Patagonie, découvre à son tour que l’une des portes sous le pont du navire mène à l’appartement de Elsa à Montevideo.
La porte s’ouvre
Les premiers plans de Chico ventana tambien quisiera tener un submarino nous ont fait l’effet d’un leurre. Peut-être était-ce parce que la majorité de notre programme festivalier à Biarritz était constituée cette année de périples à travers la jungle latino-américaine. Toujours est-il que nous avons accueilli plus que favorablement cette parenthèse inattendue, cette échappée vers une contrée encore plus lointaine, en Asie ! Après, dans un film comme dans l’autre, la forêt sauvage demeure un décor inhospitalier. Elle fait figure de repaire de forces, qui dépassent notre conception existentielle d’une civilisation préservée de pareille nature imprévisible, voire menaçante. En ce sens, on pourrait même l’interpréter en tant que portail vers une autre dimension de la vie, par définition plus sauvage que celle à laquelle les personnages ont souscrit.
Toute la première partie du film de Alex Piperno reste attachée à cette notion d’une double étrangeté. Ainsi, les paysans philippins ne savent pas comment gérer cette intrusion dans leur univers montagnard, à l’abri du monde extérieur. Ils tentent de la faire passer par le filtre de leurs croyances ancestrales, sans succès. De toute façon, de telles circonstances en quête d’une explication logique ne sont guère mieux encadrées par du personnel scientifique. Car l’impuissance de la communauté de villageois face à la cabane nous rappelle au moins arbitrairement celle des chercheurs de la NASA face aux objets revenus du passé dans Rencontres du troisième type de Steven Spielberg. Au détail près que le cinéma uruguayen ne doit nullement se conformer au même cahier de charges du récit édifiant que son pendant hollywoodien. D’où une formidable liberté de ton et d’expression !
La croisière s’amuse-t-elle ?
En effet, une fois que la narration a quitté le cadre oriental voué à l’incrédulité collective, elle ne cherche pas non plus à rendre la suite de l’intrigue plus haletante de façon artificielle. Des thématiques comme le voyeurisme effleurent tout juste le volet sud-américain de l’histoire, qui reste, lui aussi, attaché à une simplicité désarmante. Le personnage principal n’a strictement rien d’un superhéros involontaire, appelé à des exploits surhumains parce qu’il a trouvé une faille dans la coque solidement fonctionnelle de son bateau. Il n’appartient pas davantage à la classe des iconoclastes, dont l’envie très limitée de travailler conduirait tôt ou tard à un renversement du statu quo. Non, la passivité relative de ce garçon sans histoires, tout comme sa nature taciturne conviennent parfaitement à un film, qui évite le propos directif comme la peste.
Le passage secret entre le bateau et l’appartement dispose du luxe dramatique de pouvoir rester dans la sphère de l’intime. Ni le garçon, ni Elsa n’en font la source d’un dilemme existentiel insurmontable. Leurs mondes respectifs peuvent se rejoindre à tout moment, soit, mais de là à chambouler entièrement leurs vies, c’est un pas que le scénario a la sagesse de ne jamais franchir. L’intrus finit certes par trouver un travail sur terre, en nettoyant les rues de la capitale uruguayenne avec la même nonchalance qu’il avait affichée lorsqu’il était question d’arroser le bateau de croisière dans tous les sens. Toutefois, cette répétition d’une occupation n’a guère l’air de le satisfaire. Il revient alors à sa solitude initiale, dans les couloirs déserts du bateau sur lequel la clientèle anglophone ne donne pas non plus l’impression de s’amuser outre mesure.
Pour finir en beauté filmique, les trois décors sont regroupés par le biais de l’eau – l’autre constante visuelle de notre échantillon de la compétition biarrote – comme élément joliment dominant.
Conclusion
Le meilleur du fantastique n’a aucunement besoin d’effets spéciaux tape-à-l’œil. Il lui suffit d’exécuter soigneusement une idée, originale ou pas, tout en préservant à cette dernière une certaine aura mystérieuse. Le fait de ne pas la soumettre au rouleau compresseur d’une morale manichéenne peut également être un atout majeur. Chico ventana tambien quisiera tener un submarino y parvient largement, grâce à une histoire rudimentaire, quoique fascinante par le tremblement calme qu’elle dégage. Un premier film réussi, en somme, qui nous fait attendre avec impatience le suivant de Alex Piperno !