Homo Botanicus
Colombie, France, 2019
Titre original : Homo Botanicus
Réalisateur : Guillermo Quintero
Scénario : Guillermo Quintero
Distributeur : –
Genre : Documentaire
Durée : 1h28
Date de sortie : –
3/5
Notre deuxième film au Festival de Biarritz, ce rendez-vous essentiel du cinéma latino-américain en France, parle à première vue des mêmes sujets que le premier : la nature préservée et impénétrable des Andes dans laquelle la caméra se plonge par voie de voyage nostalgique, en quête d’un passé sans appel révolu. Les points communs entre Homo Botanicus et La Cordillère des songes s’arrêtent par contre à peu près là, la démarche de Guillermo Quintero dressant le portrait d’une obsession monomaniaque, tandis que Patricio Guzman brossait le plus largement possible en termes d’enjeux universels. Il n’empêche que ce documentaire colombien dégage aussi quelque chose d’irrésistiblement fascinant, malgré l’excès scientifique dans lequel les deux intervenants principaux semblent avoir inscrit leur existence. Car autant la mise en scène accompagne librement ces botanistes au cœur de la forêt d’Amazonie, l’équivalent de leur trésor caché qu’eux seuls peuvent apprécier à sa juste valeur, autant elle finit par mettre en question cette manie de vouloir tout catégoriser, puis archiver, dans une frénésie scientifique destinée à quelques rares initiés. On pourrait certes reprocher au réalisateur de ne pas avoir élargi davantage son discours, de ne point avoir tenu compte de l’influence du changement climatique sur le déclin de la biodiversité. De ce point de vue-là, il reste assez proche du raisonnement de ses anciens confrères, en considérant que la nature est par essence éphémère et que le rôle de l’homme consiste au mieux à l’accompagner au fil des stades de son évolution plus ou moins précipitée.
Synopsis : Dans sa jeunesse, Guillermo Quintero était l’étudiant du célèbre botaniste colombien Julio Betancur. Quinze ans plus tard, il l’accompagne de nouveau, lui et son disciple actuel Cristian Castro, lors de leurs expéditions dans la forêt tropicale colombienne, où ils recensent et classifient inlassablement les espèces de plantes du pays. Une ambition démesurée et jamais terminée, en dépit des près de vingt mille références assemblées par le professeur depuis le début de ses recherches. Des recherches qui se poursuivent ensuite au sein du Centre de l’Histoire naturelle, où tous ces échantillons sont soigneusement répertoriés.
A l’arrache
Il y a quelque chose de fortement intrusif dans la pratique de s’aventurer au fin fond de la nature, dans des endroits où la présence humaine est quasiment inexistante, afin d’en extraire des trésors, quels qu’ils soient. On imagine en effet différemment une volonté de préservation de ces espaces protégés que d’aller y piller ce qu’ils ont de plus précieux, de l’or, du pétrole, mais aussi des plantes rares. Après que la remarque d’un des intervenants dans La Cordillère des songes nous avait déjà agacés hier, qui disait, pour paraphraser, que c’était dommage que 80 % du paysage chilien, ceux des Andes, soient laissés à l’abandon, nous voici confrontés dans notre conscience environnementale si pointilleuse à une autre pratique douteuse. D’une certaine utilité scientifique, soit, mais néanmoins un élément essentiel dans la destruction de tant d’habitats naturels, impossibles à reconstruire dans une serre. Homo Botanicus ne fait sien ce dilemme que jusqu’à un certain point, puisqu’il met davantage l’accent sur le travail forcené des botanistes, des passionnés qui ne paraissent vivre que pour l’accumulation plus ou moins stérile des données. Il arrive cependant à garder intact au moins formellement le mystère de la forêt. Cette contrée à l’écart de l’homme, où le temps perd sa qualité de repère, au profit d’un regard plus contemplatif.
La voix de son maître
Afin d’accomplir ce travail de recensement hautement pointu, mieux vaut s’appuyer sur des hommes convaincus par la tâche à effectuer. Julio Betancur et Cristian Castro correspondent parfaitement aux exigences d’une extase devant des plantes, que l’œil de l’observateur lambda trouverait simplement belles. Ils ont l’air de se comprendre instinctivement, d’avoir rodé leur collaboration jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une série de quiz sophistiqués sur la famille à laquelle appartient telle ou telle plante. Cette sobriété ascétique se prolonge au delà de la routine du découpage et de l’emballage des spécimens, puisque elle a d’ores et déjà imprégné le monde onirique. On ne parle pas ici des rêves de l’éminent professeur, qui garde une aura intouchable tout au long du documentaire, mais de ceux de ses subordonnés, hantés jusqu’à l’inconscient par la foule d’informations que leur idole devrait maîtriser sur le bout des doigts. Par ailleurs, une question nous a taraudés pendant la projection : comment le vénérable professeur fait pour éviter les doublons dans sa collection aux dimensions incommensurables ? Car après tout, il nous arrive bien trop souvent de ne pas nous souvenir si on a déjà vu un certain film, dont nos souvenirs se sont effacés au fil du temps. Histoire d’une mémoire hors pair a priori, rafraîchie sans cesse par les questions de son élève, acquis comme lui corps et âme à la cause. Grâce à cette complicité inconditionnelle entre les deux hommes, dont le réalisateur prend acte avec un mélange discret entre nostalgie et jalousie, leur univers nous paraît tout de suite moins opaque, quoique toujours assez étranger, voire inhospitalier à des préoccupations en dehors de leur champ de recherches ciblées.
Conclusion
La passion fervente est potentiellement une chose positive, à condition d’être partagée et transmise d’une manière altruiste. L’obsession monomaniaque peut par contre prendre des traits plus inquiétants. Homo Botanicus tisse habilement le fil ténu entre ces deux niveaux de l’extrême, sans jamais trahir la confiance de ses sujets, des scientifiques que rien d’autre que les caractéristiques des plantes ne paraît intéresser. Il y parvient à travers le double respect qu’il doit à son guide d’antan et à la nature dans ce qu’elle a de plus intrinsèquement désarmant, à la fois visuellement et aussi, sans jamais tomber dans le prêchi-prêcha, philosophiquement.
Merci por ce critique !! Une précision : cette « pratique douteuse » d’extraire quelques exemplaires de plantes pour faire le répertoire scientifique des espèces est essentielle pour la conserver et pour, éventuellement, la reconstituer. Car on ne peut pas protéger ou refaire ce qu’on ne connait pas. La liste d’espèces devient donc une arme pour la conservation.
Concernant la question sur les doublons : les botanistes collectent plusieurs fois plusieurs espèces, il est donc fréquent d’avoir de doublons dans la collection personnelle. L’importance n’est pas tant collecter des espèces différentes que de répertorier sans cesse la forêt, et ça implique savoir si un espèce est au même endroit aux moments différents, ou si elle habite à des forêts diverses. La dimension du temps est très important car elle nous permet de connaître la dynamique de la forêt. Savoir donc qu’une plante est toujours dans une forêt où elle avait était répertoriée auparavant est aussi une retrouvaille importante et c’est pour ça qu’ils les collectent « éternellement ».