Biarritz 2019 : Cancion sin nombre

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Cancion sin nombre

Pérou, Espagne, États-Unis, 2019

Titre original : Cancion sin nombre

Réalisatrice : Melina Leon

Scénario : Melina Leon & Michael J. White

Acteurs : Pamela Mendoza, Tommy Parraga, Lucio Rojas

Distributeur : Sophie Dulac Distribution

Genre : Drame

Durée : 1h38

Date de sortie : 22 juin 2020

3/5

Nous n’étions pas exempts d’appréhension avant notre dernier film vu cette année au Festival de Biarritz. Une partie de cette crainte provenait d’une sorte de superstition – ce qui la rendait bien sûr parfaitement irrationnelle – , puisque dans les mêmes circonstances, nous avions vu l’année passée le film qui nous avait le moins plu parmi notre sélection personnelle. L’autre était légèrement plus substantielle, puisque la réalisatrice Melina Leon, venue au Pays basque afin d’y présenter son premier long-métrage, insistait lors de la présentation avant la projection sur la prétention sociale de son film à travers son sujet brûlant d’actualité sur le trafic d’enfants. A notre grand soulagement, Cancion sin nombre s’est montré entièrement indigne de tant de prises de tête au préalable, puisqu’il s’agit en fait d’un film sobre et beau sur une thématique qu’il n’exploite jamais de façon opportuniste. Ainsi, le sort du bébé arraché à sa mère dès la naissance n’y est nullement évoqué, au profit de la description poignante des démarches, aussi innombrables que vaines, entreprises par les parents spoliés et les représentants des médias dans le but de le retrouver et de traduire en justice les coupables. Or, dans un Pérou pas si lointain dans le temps, plongé dans un noir et blanc à la fois triste et esthétiquement employé à bon escient, il n’y a aucun espoir de justice, juste le traumatisme de l’impuissance, subi avec une certaine noblesse par des personnages à la merci des nantis.

© Beatriz Torres / La Vida Misma Films / Sophie Dulac Distribution Tous droits réservés

Synopsis : En 1988, la crise politique est à son comble au Pérou. La jeune Georgina, d’origine indienne, attend son premier enfant. Alors qu’elle travaille au marché local en vendant des patates, elle entend à la radio l’annonce d’une clinique qui prendrait gratuitement en charge les soins des femmes dans le même cas qu’elle. Un premier examen prénatal se déroule sans problèmes et dès qu’elle sent le début des contractions, Georgina se rend à nouveau dans la clinique à Lima pour l’accouchement. Sa fille naît sans complications, mais elle est rapidement éloignée de sa mère, qui ne la revoit plus avant d’être expulsée des locaux médicaux. Totalement désemparée, la jeune femme retourne à plusieurs reprises à la clinique, où elle trouve porte close. Puisque les services de police ne prennent pas au sérieux sa plainte, il ne lui reste alors que le chemin vers les journaux. Le journaliste Pedro Campos préférerait travailler sur des sujets qui lui tiennent plus à cœur, comme l’inflation et la corruption, mais il finit par apprendre que le sort de Georgina n’est guère un cas isolé.

© Beatriz Torres / La Vida Misma Films / Sophie Dulac Distribution Tous droits réservés

En frappant à la porte de l’enfer

Au fil de cette œuvre visuellement imposante, bien que jamais en proie à une complaisance esthétique, il y a un plan récurrent en particulier, qui nous a d’emblée marqués. Tandis qu’il est clair qu’il n’y a plus personne dans la clinique improvisée, nichée quelque part dans une galerie commerciale sans âme, ni activité, le personnage principal s’obstine néanmoins à s’y rendre, à s’accrocher au seul lien spatial qui la relie encore tant soit peu à sa fille. Afin de mieux symboliser tout le désespoir qui s’exprime dans cette démarche objectivement inutile, la caméra se place à l’intérieur, ne montrant dès lors que la porte sombre, entourée de briques de verre transparentes, qui lui confèrent une aura fantomatique supplémentaire, avec les cris et le bruit des frappes de la mère en guise de fond sonore à l’efficacité émotionnelle incontestable. Dans cette logique narrative de l’hostilité sournoise des lieux, ces murs et autres couloirs déserts qui instaurent une distance infranchissable entre leur impassibilité et le désarroi des hommes et des femmes qui s’y heurtent ou qui les traversent, la mise en scène a trouvé une autre image, un peu plus tard dans le film, qui en dit plus long sur la défaite préprogrammée des victimes que toutes les répliques réunies. Après avoir fait le tour des commissariats pour signaler l’enlèvement présumé de leur bébé, sans succès puisque un cri à l’aide aussi universel doit nécessairement échouer face à la lourdeur de l’appareil administratif, Georgina et son mari décident d’aller carrément au tribunal. Sauf que, suite aux indications sommaires de la personne à l’accueil, ils se retrouvent dans les allées, froides et abandonnées sinon de la justice au moins des hommes, du tribunal pour enfants, où leur requête ne peut évidemment pas aboutir.

© Beatriz Torres / La Vida Misma Films / Sophie Dulac Distribution Tous droits réservés

Minorité + minorité ≠ Majorité

De telles trouvailles formelles fondent la base redoutable du film de Melina Leon, qui va pourtant encore plus loin dans son aveu d’impuissance morale. Car, finalement, après un enchaînement désespérant d’impasses, les parents démunis rencontrent un défenseur insoupçonné de leur cause en la personne du journaliste récalcitrant, qui retrouve peut-être là quelque chose comme une familiarité sociale avec ses propres frustrations. Son homosexualité le rend en effet aussi vulnérable à l’égard des attaques de la classe et du discours dominants que ses alliés indigènes. On pourrait considérer cet aspect de sa vie privée, sur lequel le récit revient tout de même à plusieurs reprises, tel un écart qui frôle l’éparpillement dramatique. Il nous paraît toutefois enrichir le scénario, en donnant accessoirement de la visibilité à la vie gaie clandestine, heureusement plus si nécessaire de nos jours qu’elle ne l’a été il y a dix, vingt ou trente ans. L’engagement politique, voire militant du mari de Georgina est par contre géré avec moins d’adresse, comme si l’accumulation de ces voix divergeantes finissait par brouiller le propos du film. Ce dernier s’emploie avant tout à souligner le déséquilibre social flagrant sous le joug duquel le Pérou des années ’80 avait failli s’écrouler. Un climat d’injustice qui perdure jusqu’à aujourd’hui, en Amérique latine et ailleurs, et qui punira au mieux symboliquement les coupables, faute d’attribuer de réelles réparations aux victimes, sans exception laissées-pour-compte.

© Beatriz Torres / La Vida Misma Films / Sophie Dulac Distribution Tous droits réservés

Conclusion

On n’aura finalement vu qu’un seul film de fiction lors de notre deuxième visite du Festival de Biarritz. C’était un film d’une grande probité dans la forme et le fond, puisque Cancion sin nombre, qui était déjà passé auparavant par la case cannoise de la Quinzaine des réalisateurs, conte le sort tragique d’une mère privée de force de son bébé sans jamais avoir recours à quelque soupçon de misérabilisme que ce soit ! La réalisatrice Melina Leon y fait au contraire preuve d’une appréciable sobriété, dépourvue d’une morale tendancieuse et en même temps acquise corps et âme au triste sort de ses compatriotes, nés sans avoir droit aux coups de pouce d’un système corrompu.

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