Critique : Beyond Clueless

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Beyond Clueless

Royaume-Uni, 2014
Titre original : Beyond Clueless
Réalisateur : Charlie Lyne
Scénario : Charlie Lyne
Acteurs : Fairuza Balk (voix)
Distribution : Les Films du Camélia
Durée : 1h29
Genre : Documentaire de cinéma
Date de sortie : 29 avril 2015

Note : 3/5

Que le temps passe vite ! Même si nous sommes trop âgés pour rentrer exactement dans la cible des films d’adolescents et pour eux, qui pullulaient sur les écrans de cinéma entre 1995 et 2005 – une des raisons principales d’ailleurs pour laquelle nous considérons ce genre très américain avec un certain dédain –, nous avions regardé malgré tout à l’époque un nombre conséquent de ces divertissements à l’intérêt cinématographique discutable. Cette somme imposante d’un état d’esprit d’ores et déjà révolu sous forme d’un documentaire d’analyse thématique nous inspire par conséquent une drôle de nostalgie. Car contrairement à notre appréciation indéfectible du « cinéma à papa » – pour faire bref et ne pas rentrer en détail dans toutes les décennies d’avant notre naissance qui font néanmoins battre notre cœur de cinéphile –, la période traitée par Beyond Clueless nous évoque des souvenirs de spectateur de première main. Cette plongée enivrante dans les codes dominants du genre nous permet alors d’établir une distance salutaire envers notre vécu immédiat de consommation filmique et de déceler, grâce à ce recul, une cohérence de thèmes et d’influences, qui passerait facilement pour un amas de clichés inintéressants dans un contexte moins global.

Synopsis : Le genre mineur par excellence, le film d’ados n’éveille guère la curiosité des historiens du cinéma. Dans son étude approfondie de plus de deux-cents films issus d’une période de dix ans, le jeune réalisateur Charlie Lyne en dégage cependant quelques courants majeurs, qui se cristallisent autour du lycée et de la nécessité plus ou moins bien vécue de la part des personnages de s’intégrer dans ce dernier microcosme de l’enfance, avant le douloureux passage à l’âge adulte.

De la difficulté d’être un ado américain au tournant du siècle dernier

Après avoir subi Room 237 de Rodney Ascher, nous avons tendance à rester circonspects face à des documentaires dont la seule et unique finalité consiste à analyser un ou plusieurs films à la manière d’un cours universitaire. Autant la volonté d’interpréter l’œuvre et d’élargir sa compréhension peuvent nous paraître séduisantes, autant cette démarche théorique et souvent coupée de toute considération historique court le risque du délire d’intellectuel, sans fondement ni souci d’une quelconque vérité scientifique. Beyond Clueless s’approche parfois de cette perte de tout repère raisonnable et l’on se demande en fin de compte à quoi rime cet exercice brillamment mené, mais qui laisse trop de point en suspens. Rien que par la surabondance du matériel traité et par l’encadrement de celle-ci à travers des chapitres au titre plus ou moins arbitraire, il réussit toutefois une introduction passionnante dans l’analyse, dépourvue de toute réserve critique, d’un univers filmique qui en dit avant tout long sur l’époque dont il est le fruit.

Son visage me dit quelque chose

Un des aspects les plus jouissifs du documentaire est ainsi de croiser à nouveau dans des centaines d’extraits une multitude d’acteurs et d’actrices, qui ont depuis suivi des trajectoires de carrière au destin fort divers. En dehors de ceux qui ne sont hélas déjà plus de ce monde, comme Paul Walker et Heath Ledger, et de ceux pour lesquels il nous faut un moment pour nous rappeler de leur nom, il y a une foule de vedettes éphémères qui soit ont réussi à se reconvertir dans le registre adulte, soit ont connu en quelque sorte le même sort que le genre qui les avait propulsées sur le devant de la scène, à savoir de tomber dans l’oubli sur la décharge chaque jour grandissante du patrimoine cinématographique mondial. Le propos du documentaire n’explicite à aucun moment cette perspective précocement historique. La narration de Fairuza Balk va jusqu’à s’abstenir de toute indication claire de la marge temporelle de l’échantillon de films traité. Or, grâce à la cohérence du corpus de films choisis et à la liberté laissée au spectateur de prendre du plaisir face à ce condensé d’histoires la plupart du temps navrantes dans leur intégralité, cet axe de réflexion se développe presque d’une manière autonome. Le dispositif s’apparente alors à une incitation à la recherche, dont le but suprême est de stimuler l’intérêt, au lieu de répondre d’une façon exhaustive à toutes les questions imaginables.

Un sujet (trop) vaste

De toute évidence, le moteur du travail colossal entrepris par Charlie Lyne est de transmettre sa passion pour un type de films, qui a à peine su marquer son époque, avant d’être supplanté par une variation plus fantastique du registre qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Dans le temps qui lui est imparti, il a créé une sorte de prototype du film d’ados, nourri des préoccupations majeures associées à ces dix ans-là, qui sont par exemple sensiblement différentes de celles de la génération d’ados précédente, qui voue un culte démesuré au réalisateur John Hughes. Aucune adulation notable n’est à signaler par contre dans le cas présent. D’abord, parce qu’on aurait le plus grand mal à trouver un cinéaste majeur, voire un film aussi marquant que ceux de Hughes dans ces dizaines de films aux sujets et aux personnages quasiment interchangeables. Et puis à cause de la volonté manifeste de Lyne de brouiller les pistes et de faire comme si un cahier de charges commun animait ces productions commerciales, dont la raison d’être principale était après tout de rapporter du fric. Les limites de la démarche du jeune mordu de cinéma se situent en fait dans l’incapacité à la fois d’inclure vraiment tous les versants d’un genre débile seulement en apparence et d’élargir le champ de réflexion au-delà de la petite dizaine de films à peu près emblématiques sur laquelle l’analyse s’attarde davantage.

Conclusion

Du film Clueless de Amy Hackerling, vous ne verrez a priori aucun plan dans Beyond Clueless. L’ambition de ce documentaire aussi instructif que divertissant consiste plutôt à montrer avec panache à quel point même le genre le plus vilipendé mérite qu’on en dissèque le fonctionnement par le biais d’une analyse poussée. Cette ouverture d’esprit tout à fait louable ne nous fait nullement réclamer avec impatience une somme encyclopédique comparable sur les vilaines parodies dans le sillage de Scary Movie et des classiques de Mel Brooks et de ZAZ. Elle participe cependant avec brio à renforcer et à revigorer notre amour inconditionnel du Septième art !

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