Berlinale 2024 : La Partition

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La Partition

Allemagne, 2024
Titre original : Sterben
Réalisateur : Matthias Glasner
Scénario : Matthias Glasner
Acteurs : Lars Eidinger, Corinna Harfouch, Lilith Stangenberg et Ronald Zehrfeld
Distributeur : Bodega Films
Genre : Drame familial
Durée : 3h02
Date de sortie : 4 Septembre 2024

3,5/5

Familles, je vous hais ! A première vue, la citation d’André Gide pourrait convenir à cette chronique familiale, présentée en compétition au Festival de Berlin. Toutefois, ce serait se méprendre sur les nombreuses qualités du film de Matthias Glasner. Sterben n’est pas non plus une litanie longue de trois heures, au cours de laquelle on verrait expier tout le monde, les uns après les autres. Non, l’exploit est infiniment plus remarquable, puisque la réalisation et l’interprétation hors pair nous y propulsent dans une ronde passionnante, aux personnages étonnamment antipathiques.

A moins que ce ne soient précisément cette absence de complaisance et cette justesse exceptionnelle de ton, qui nous ont procuré notre premier coup de cœur de cette Berlinale 2024 ! Toujours est-il que l’on tient là l’exemple parfait de ce que le cinéma allemand est capable de faire en ces meilleurs jours : une dissection à vif de tout ce qui ne va pas dans cette société à bout de souffle, qui continue néanmoins d’avancer vers un but incertain.

Malgré notre appréhension initiale de devoir subir un film fleuve sur un sujet difficile en plein milieu de couverture festivalière, nos craintes ont été vite dissipées. Car il y a quelque chose de profondément désarmant dans le regard que le réalisateur porte sur ses personnages en tous points imparfaits. Après une petite recherche, nous étions déjà tombés sur cette belle empathie sobre envers des situations qui ne le sont pas. Pire encore, qui disposent de tout le potentiel pour sombrer irrémédiablement dans le mélodrame de l’espèce la plus indigeste. C’était il y a seize ans, à travers la sortie française tardive du Libre arbitre de Matthias Glasner, porté alors par le tour de force de Jürgen Vogel. Ici, c’est davantage la cohérence magistrale de l’ensemble des acteurs qui remporte la mise, nous prenant sans cesse au dépourvu dans ces galères familiales, appelées à se répéter à l’infini.

© 2024 Jakub Bejnarowicz / Port au Prince Film und Kultur Produktion / Schwarzweiss Filmproduktion /
Senator Film Produktion / Wild Bunch Germany Tous droits réservés

Synopsis : Lissy Lunies ne sait plus comment gérer son mari Gerd, atteint de démence, qui sort régulièrement à moitié nu de leur appartement. Elle-même souffre de différentes maladies de vieillesse et elle ne souhaite pas embêter ses enfants avec ses soucis du quotidien. Son fils Tom, un chef d’orchestre qui peine à diriger la nouvelle composition de son ami de longue date Bernard, vient d’assister à la naissance de la fille de son ex-compagne Liv. Le seul problème, c’est qu’il n’est pas la père. Et sa fille Ellie, une assistante dentaire alcoolique, n’a plus donné de nouvelles rassurantes depuis longtemps.

© 2024 Jakub Bejnarowicz / Port au Prince Film und Kultur Produktion / Schwarzweiss Filmproduktion /
Senator Film Produktion / Wild Bunch Germany Tous droits réservés

Bien sûr, il n’y a à première vue pas de quoi s’amuser ou au moins se divertir avec un film au sujet si grave, qui enchaîne trois enterrements et deux naissances à un rythme soutenu. Et pourtant, grâce à leur nature profondément ordinaire et impuissante, tous les personnages arrivent à nous fasciner. Personne ne sait y apporter les réponses convenables aux questions de la vie, tour à tour importantes et bénignes. Mais c’est précisément l’aveu guère théâtral de leur incapacité à vivre heureux qui fait avancer la mécanique parfaitement huilée du récit. Ce qui ne veut pas dire que Sterben s’emploie simplement à tirer avec adresse les ficelles d’une manipulation subtile. Sa réussite va sensiblement plus loin : dans une entreprise d’identification à la fois intime et consciente du caractère fictif de l’intrigue.

Ainsi, il était devenu rapidement clair pour nous que nous avions passionnément envie de passer du temps avec ces personnages foncièrement mal assortis entre eux. Rien que de voir au tout début du film la mère assise dans le couloir, soulliée par ses propres excréments, ayant d’ores et déjà déclaré forfait en termes de surveillance rapprochée de son mari étourdi et néanmoins empressée de se débarrasser de la voisine trop intrusive, nous a convaincus du talent indiscutable de Corinna Harfouch et de la façon très singulière de présenter des situations embarrassantes. En fait, c’est très simple et heureusement animé par aucun voyeurisme malsain : Matthias Glasner nous oblige à regarder en face cette famille dysfonctionnelle, sans nous fournir le moindre espoir d’une quelconque amélioration de leur statu quo en pleine déroute.

© 2024 Jakub Bejnarowicz / Port au Prince Film und Kultur Produktion / Schwarzweiss Filmproduktion /
Senator Film Produktion / Wild Bunch Germany Tous droits réservés

Est-ce que cela signifie que la tragédie guette à la prochaine séquence et que ces malheureux se morfondent dans d’interminables monologues d’apitoiement sur soi ? Pas du tout ! La vie continue en quelque sorte dans ce microcosme de la folie ordinaire, où de lourds secrets de famille cohabitent sans gêne avec une banalité sachant faire fi au deus ex machina, dépêché à la dernière minute pour demêler ce bourbier affectif et existentiel. Il n’y a aucune fin heureuse à espérer ici, ni de réconciliation miraculeuse, en mesure de procurer un peu de baume au cœur pour ce groupe de personnages assemblé selon la règle aléatoire du temps qui passe.

La récompense, au moins pour le spectateur, se situe plutôt du côté d’une absence absolue d’esbroufe formelle ou de propos pompeux. Rien que les faits, aussi laids et banals soient-ils, ce qui est déjà beaucoup dans un cinéma contemporain épris de la pirouette narcissique à tout prix.

La rédemption devra donc attendre le prochain film en compétition ou ailleurs, tant le salut ne fait pas partie du cahier de charges de Sterben. Cela vaut autant pour ce frère et cette sœur qui n’ont plus rien à se dire et à qui Lars Eidinger et Lilith Stangenberg confèrent une magnifique candeur à fleur de peau que pour une prodigieuse ribambelle de personnages secondaires, sans exception nourris d’une richesse humaine notable. On y croise entre autres Ronald Zehrfeld, en passe de devenir notre ange gardien de la Berlinale après notre film préféré de l’année passée Ingeborg Bachman Reise in die Wüste de Margarethe von Trotta. Mais tous les rôles contribuent de façon significative à une impression d’ensemble fort cohérente dans sa vision désillusionnée, quoique pas encore entièrement désespérée, de la nature humaine.

© 2024 Jakub Bejnarowicz / Port au Prince Film und Kultur Produktion / Schwarzweiss Filmproduktion /
Senator Film Produktion / Wild Bunch Germany Tous droits réservés

Conclusion

Il suffit de fouiller un peu et d’accepter le défi vaguement raisonnable de regarder un film de plus trois heures en plein festival, afin de se rendre compte que le cinéma allemand dispose d’histoires passionnantes à raconter. Pas tellement celles ayant marqué l’Histoire, mais au contraire ces destins sans qualité exceptionnelle qui peuvent donner des films aussi crus et poignants que Sterben. Matthias Glasner y excelle dans l’évocation sans fard d’une famille aux parents et aux enfants terribles. Au détail près qu’il ne s’autorise à aucun moment un quelconque jugement sur ces personnages dont les failles deviennent dès lors infiniment plus touchantes.

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