Berlinale 2023 : Sissi et moi

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Sissi et moi

Allemagne, Suisse, Autriche, 2023
Titre original : Sisi und ich
Réalisatrice : Frauke Finsterwalder
Scénario : Frauke Finsterwalder et Christian Kracht
Acteurs : Sandra Hüller, Susanne Wolff, Stefan Kurt et Georg Friedrich
Distributeur : Kinovista
Genre : Drame historique
Durée : 2h12
Date de sortie : 25 octobre 2023

3/5

Près de 70 ans après que son destin tragique a ému des foules de spectateurs à travers l’Europe grâce à la trilogie de films avec Romy Schneider, l’impératrice Sissi est plus que jamais présente dans l’esprit du public. Le regard a forcément changé sur cette vie hors du commun par rapport aux contes à l’eau de rose pour midinettes des années 1950. Mais son pouvoir de fascination demeure intact, peut-être aussi parce que les manœuvres diverses et variées de démystification diffusées ces derniers mois nous la rendent encore plus humaine.

Ainsi, après une série à succès produite pour les chaînes de télévision privées dont TF1 en France et le récent Corsage de Marie Kreutzer, encensé un peu partout depuis sa sélection au dernier Festival de Cannes à Un certain regard, c’est désormais Sisi und ich de Frauke Finsterwalder qui se penche sur les derniers mois de la vie mouvementée de l’aristocrate.

Faute d’avoir vu le film iconoclaste avec Vicky Krieps, nous ne pouvons qu’émettre des suppositions sur sa proximité avec celui-ci, découvert dans la sélection Panorama au 73ème Festival de Berlin. Il se peut donc très bien que ces deux longs-métrages soient des copies conformes, l’un répétant l’autre dans le fond et la forme, comme cela se fait parfois dans des drôles de coïncidences de productions en parallèle. Toujours est-il que cette relecture-ci s’attache bien plus à une mise à jour moderne du mythe Sissi qu’à une fidélité consciencieuse envers les faits historiques.

De surcroît, c’est le point de vue de la dernière dame de compagnie dévouée de la reine qui importe ici, plus que les états d’âme et le flegme d’une femme en avance sur son temps. Il en résulte un film stylisé, qui navigue avec une certaine aisance à travers les hauts et les bas d’une vie d’exception irrémédiablement sur le déclin.

© 2023 Bernd Spauke / Walker + Worm Film / Dor Film / C-Films / The Match Factory / DCM Tous droits réservés

Synopsis : Le poste de dame de compagnie de l’impératrice Elisabeth d’Autriche-Hongrie est un peu la dernière chance pour la comtesse Irma de Sztáray afin de s’affranchir de l’emprise toxique de sa mère. Peu importe qu’elle soit mal préparée aux exigences physiques et mentales de l’emploi, Irma part plein d’enthousiasme vers la résidence d’été de Sissi sur l’île grecque de Corfou. Son accueil est d’abord des plus glacials, fait d’exercices censés mettre à l’épreuve sa force et son dévouement. Mais la reine capricieuse, profondément traumatisée par les exigences de ses fonctions à la cour de Vienne, se prend d’affection pour Irma. Dès lors, cette dernière devient moins une confidente qu’un rouage de plus en plus essentiel dans l’entourage rapproché de Sissi.

© 2023 Bernd Spauke / Walker + Worm Film / Dor Film / C-Films / The Match Factory / DCM Tous droits réservés

Phobies de nappes, de poils et de la gent masculine en général

La tentation a été sans doute grande de transformer la phase crépusculaire de la vie de Sissi en manifeste féministe sans équivoque. Même si la réalisatrice Frauke Finsterwalder ne résiste guère aux sirènes de la modernité avec cette musique qui en rappelle forcément une autre – celle de Marie Antoinette de Sofia Coppola plus de quinze ans plus tôt –, sa narration ne fait pas non plus de cette histoire de femmes un cas d’école de la libération du joug patriarcal. Pour cela, le lien entre les deux personnages principaux, Sandra Hüller en servante soumise et Susanne Wolff en maîtresse manipulatrice, reste trop ambigu, tributaire de tant de critères qui dépassent la simple alternance de leurs coups de cœur et de leurs coups de griffes. Car chacune d’entre elles est avant tout la représentante de son rang respectif.

Elles ont beau se débattre contre le rôle que le statut quo social de la fin du 19ème siècle leur impose, rien ou presque ne change au niveau des grandes lignes de leur destin tout tracé. Les quelques libertés prises avec la vérité historique par le scénario ne font pas de Sisi und ich une pure œuvre de fiction. Disons qu’il s’agit plutôt d’une réinterprétation des faits, aussi subjective qu’une lettre d’amour filmique à peine voilée d’une subordonnée à sa supérieure peut l’être. Les grands repères de la grande Histoire y restent globalement intacts. Or, ce qui change, c’est la perspective : entre idolâtrie et atteinte à la pudeur, entre une volonté de dépendance sans limite et de rares moments de prise de conscience, que cette même dépendance ne provoquera jamais de la reconnaissance en face.

© 2023 Bernd Spauke / Walker + Worm Film / Dor Film / C-Films / The Match Factory / DCM Tous droits réservés

Des monstres, de mères en filles

Pourtant, au fond, Irma et Elisabeth sont faites du même bois, à savoir un condensé de sentiments complexés, nés de la relation pour le moins conflictuelle avec leurs mères respectives. C’est en tout cas ce que le volet psychologique du scénario veut nous faire croire. Ce dysfonctionnement de l’éducation à travers les générations devient d’emblée apparent, les méthodes de correction archaïque de la part de la mère d’Irma, interprétée avec une cruauté assassine par Sibylle Canonica, dénotant par leur violence brute. Elles deviennent encore plus subtiles et machiavéliques bien plus tard dans le film, par le biais d’une lettre au dédain brutal. Faire porter la faute du malheur manifeste qu’Irma dégage à cette seule haine maternelle est heureusement un pas que la narration n’ose pas tout à fait franchir.

Elle revient toutefois à la charge de ce raisonnement un peu sommaire lors de l’apparition de la légendaire Angela Winkler dans le rôle de la mère de Sissi, à l’empathie tout aussi inexistante. Au moins, le lien de cause à effet est développé avec moins de banalité en ce qui concerne les autres activités hors des sentiers battus de la régente, à l’exception donc de ses troubles alimentaires. Contrainte de paraître dans ses fonctions publiques et ne pas entièrement sûre de ce qu’elle veut être dans sa vie privée, Sissi joue en quelque sorte des tours à tout le monde.

Insaisissable et désinvolte, elle ne trouve un véritable allié qu’en la personne de l’archiduc Victor d’Autriche auquel Georg Friedrich sait conférer une flamboyance mêlée de mélancolie. Vus rétrospectivement et de façon volontairement anachronique, ces parias sont les deux faces de la même médaille discriminante, misogyne d’un côté et homophobe de l’autre.

© 2023 Bernd Spauke / Walker + Worm Film / Dor Film / C-Films / The Match Factory / DCM Tous droits réservés

Conclusion

Doublon involontaire de Corsage ou bien œuvre indépendamment complémentaire au film de Marie Kreutzer ? La nature de Sisi und ich reste aussi indéfinissable que les motivations intimes de ses personnages. Dans la retenue assumée de la part de Frauke Finsterwalder de ne pas expliciter absolument tout au fil de la relation rugueuse entre l’impératrice et son ultime dame de compagnie réside en même temps la qualité majeure de son film. Dès lors, on ne sait jamais trop à quel prochain coup de théâtre s’attendre, sans que cette imprévisibilité ne porte préjudice à la complexité psychologique de ces deux femmes à la marge, dont Sandra Hüller et Susanne Wolff n’occultent guère les traits de caractère plus déplaisants.

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