Le Proprietà dei metalli
Italie, 2023
Titre original : Le Proprietà dei metalli
Réalisateur : Antonio Bigini
Scénario : Antonio Bigini
Acteurs : Martino Zaccara, David Pasquesi, Antonio Buil Pueyo et Edoardo Marcucci
Distributeur : –
Genre : Drame d’enfance
Durée : 1h34
Date de sortie : –
3/5
Changement de section, de lieu de projection et de ton des films pour notre troisième journée de couverture de la 73ème édition du Festival de Berlin. Car même si la politique contraignante des embargos pourrait vous faire croire autre chose, nous avons bel et bien vu en début de festival Le Proprietà dei metalli, sélectionné à Generation Kplus. Et grand bien nous en a pris, puisque ce premier film italien dégage une belle lucidité quant aux tourments passagers de la jeunesse. Les pouvoirs paranormaux du personnage principal y sont à peine plus qu’un prétexte pour nous faire vivre pendant une heure et demie auprès de Pietro et des siens, dans une Italie révolue des joies et des peines simples.
En effet, le réalisateur Antonio Bigini ne s’emploie point à viser trop haut pour son premier long-métrage, par exemple en cherchant à approfondir outre mesure les implications du don de son jeune héros. Toute cette histoire y prend davantage l’aspect d’un épisode ambigu, certes pas aussitôt vécu, aussitôt oublié, quoiqu’en fin de compte plus anodin que la prémisse pourrait vous le faire croire. En lieu et place d’un conte édifiant, bourré de bons sentiments et de revirements spectaculaires, l’enjeu véritable de l’intrigue est dès lors le ressenti de Pietro par rapport à cette agitation autour de sa capacité de tordre des objets en métal.
Car l’action est infiniment plus sobre ici, grâce à la narration constamment à l’écoute du malaise de ce jeune garçon. Celui-ci doit gérer ses sentiments contradictoires, notamment envers son père à la traîne pour élever seul et néanmoins comme il se doit ses deux fils, qui oscillent entre la pitié et la colère.
Synopsis : Dans les années 1970, le jeune Pietro préfère rester discret sur le lien singulier qu’il entretient avec des métaux de toutes sortes. Il en a marre que ses camarades de jeu dans leur petit village de montagne lui demandent sans cesse de tordre des clés. Et il demeure circonspect lorsque le professeur David Moretti, d’origine américaine, demande la permission à son père d’étudier son cas sur la durée. Le scientifique passe alors à intervalles réguliers dans la ferme familiale, de plus en plus enthousiaste à l’égard du pouvoir inouï de Pietro. Or, ce dernier a plus tendance à s’inquiéter pour son père, endetté et incapable de remplacer leur mère auprès de ses enfants.
Il n’y a pas de cuillère
Ce que des esprits mal intentionnés, voire aigris peuvent qualifier de cinéma pour enfants ou destiné à un public familial constitue en fait un pan indispensable de la production internationale. Nous ne faisons pas référence ici aux nombreux films porteurs de messages simplistes, qui pullulent dans les salles obscures à chaque nouvelle période de vacances de la Toussaint ou d’hiver et dont vous pourriez en toute logique croiser encore quelques uns ces jours-ci lors des séances de l’après-midi dans les multiplexes français. Non, si c’est de la qualité que vous recherchez, vous ferez mieux de prêter une attention particulière à la sélection Génération du Festival de Berlin.
Depuis plus de quinze ans sous ce nom-là et même auparavant à travers des sélections parallèles, la Berlinale met à l’honneur ce que le cinéma fait par et pour des jeunes a de mieux à offrir. Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous n’avons pas souvenir de nous y avoir intéressé de près au fil de nos visites précédentes dans la capitale allemande au cœur de l’hiver.
C’est désormais chose faite et nous avons du mal à nous imaginer une entrée plus apaisante en la matière. Le décalage des enjeux, tel qu’il est pratiqué par Antonio Bigini avec un naturel irréprochable, permet ainsi au film de ne pas courir artificiellement après un point de vue adulte, susceptible de conter l’histoire selon un cahier de charges conséquent en termes dramatiques. La perception de l’enfant y est systématiquement mise en avant, non pas pour se moquer gentiment de sa vision aussi partielle que partiale du monde, mais au contraire afin de nous accorder le privilège de retomber en enfance de la manière la plus éclairée qui soit.
Ce transfert de la responsabilité du propos a toute son importance, puisqu’il permet au récit de rester à l’abri du piège terrible des enfantillages. A l’image du jeune acteur à la justesse de jeu impressionnante Martino Zaccara, la mise en scène pratique une forme de recul salutaire, capable d’accroître l’impact émotionnel de certains événements, tout en en privant d’autres.
Joue-la comme Pietro
Au fur et à mesure, le don surnaturel du garçon se voit supplanté par des préoccupations plus pragmatiques. Comment faire pour que la communauté scientifique accepte ce que le professeur, interprété avec beaucoup de pudeur par David Pasquesi, ne tarde pas à prendre pour argent comptant ? Comment faire coïncider l’emploi du temps implacable du harcèlement de la part de l’usurier avec celui de l’argent à remporter, peut-être, grâce aux capacités inhabituelles de Pietro ? A chaque instant, des choses très banales du quotidien du protagoniste empêchent l’intrigue de se fourvoyer du côté d’un spectacle de foire. Sauf que la vie de Pietro est entièrement rythmée par ces petites choses en apparence insignifiantes. Ainsi, remplir le camion de bûches de bois relève de l’activité sportive pour le professeur, là où cette même occupation en dit tristement long sur les rapports de force tendus au sein de la famille tronquée des garçons.
Toutes ces observations fines et délicates s’accumulent dans le but d’agencer une grande opération de relativisation. Quand Pietro doit enfin prouver sa force mentale face à un jury de sceptiques, la conclusion de l’épreuve nous importe d’ores et déjà très peu. Elle s’inscrit davantage dans la logique propre à l’enfance et à l’adolescence d’une série interminable de caps à franchir. Arrivés à l’autre bout du rite de passage, les filles et les garçons de tout âge auront certes dû y laisser quelques plumes, voire faire le deuil d’une perception erronée d’eux-mêmes. Mais en échange, d’autres aventures encore plus belles les attendent, dans le mouvement perpétuel du renouvellement de la vie. En tant que conclusion inspirante au moment du rallumage des lumières dans la salle, on n’aurait pas pu rêver message plus optimiste !
Conclusion
Qu’est-ce qui fait qu’un film soi-disant pour enfants s’adresse à un public plus large ? Sa capacité de distiller des vérités universelles sans jamais forcer le trait serait un argument de taille pour lui permettre de sortir avec vigueur de sa niche commerciale. Le Proprietà dei metalli y parvient assez souverainement, grâce à la mise en scène de Antonio Bigini, toujours au service du discernement subjectif de son jeune héros. Car en quoi son pouvoir fantastique lui sera-t-il utile un jour, si à présent il n’arrive même pas à remplir tant soit peu son rôle de chef de famille de substitution ? Ces pistes de réflexion pas sans gravité, ce beau premier film italien les arpente avec une douce détermination.
Il serait bête, voire un énorme gâchis de vouloir y résister au nom de considérations plus triviales, comme la frustration bénigne de ne jamais vraiment avoir droit au début d’une explication des phénomènes surnaturels.