Zero
Japon, 2020
Titre original : Seishin 0
Réalisateur : Kazuhiro Soda
Distributeur : –
Genre : Documentaire
Durée : 2h08
Date de sortie : –
2,5/5
Dans chaque festival, il y a des films qui semblent être faits sur mesure pour la petite armée de vaillants cinéphages, qui y remplissent tant bien que mal les salles de projection du matin jusqu’au soir. A plus forte raison, une institution internationale comme le Festival de Berlin ne peut logiquement résister à programmer, par-ci, par-là, ce genre d’œuvre pointue, qui aurait le plus grand mal d’exister sur le marché impitoyable du cinéma commercial sans ce coup de pouce festivalier. Autant nous saluons la volonté maintes fois renouvelée à Berlin et ailleurs de soutenir ainsi un cinéma produit en dehors des sentiers battus de l’industrie, autant nous pouvons avoir tendance à nous lamenter quand, par accident, nous tombons sur l’un de ces films à la facture (très) peu engageante. Il faut donc croire qu’en cette 70ème édition de la Berlinale, nos critères de choix en termes de documentaires mériteraient d’être révisés, puisque après l’éprouvant et bavard Jia Zhang Ke en début de festival, voici un autre enregistrement de la vie en Asie qui n’a hélas pas manqué d’exercer son influence soporifique sur nous.
Onze ans après la sélection à Berlin de Mental, à l’époque déjà au Forum, le réalisateur Kazuhiro Soda se penche à nouveau sur l’éminent psychiatre Masatomo Yamamoto, désormais en âge de prendre une retraite bien méritée. Malheureusement, après une prise de congé touchante de ses patients au début du documentaire, où ils lui transmettent tous, sans exception, leur inquiétude de savoir qu’ils ne pourront plus s’appuyer sur ses conseils avisés pour tenir en échec leurs démons respectifs, le brave docteur est réduit à accompagner son épouse de longue date Yoshiko, elle-même atteinte de troubles psychiques, dans des démarches filmées d’une façon assez ennuyeuse. Et si l’on n’atteint guère le degré zéro du regard filmique dans Zero, il n’en reste pas moins qu’on aurait largement préféré en connaître un peu plus sur les pathologies des patients, plutôt que de voir à quoi ressemblera le quotidien creux de la retraite prochaine du confident hors pair des têtes les plus névrosées du Japon.
Synopsis : A 82 ans, le psychiatre Masatomo Yamamoto s’apprête à fermer son cabinet, dans lequel il a offert depuis des décennies à ses patients un lieu d’écoute privilégié, loin des hôpitaux psychiatriques aux méthodes peu personnalisées qui étaient la norme au Japon. Il a décidé de s’occuper désormais exclusivement de sa femme Yoshiko, atteinte de démence.
Peur du sevrage
A peine quelques heures après avoir regardé la folie fictive dans toute sa splendeur par le biais de Surge de Aneil Karia, nous voici face à une forme beaucoup plus réaliste du dérèglement psychique dans Zero. En effet, le documentaire de Kazuhiro Soda s’inscrit, au moins initialement, dans une longue tradition de l’observation des esprits perturbés, qui remonte au moins jusqu’à Titicut Follies de Frederick Wiseman, tourné au milieu des années 1960. Dans la filmographie du réalisateur, il s’agit du neuvième épisode d’une série de films d’observation, en partie sollicités par les comités de sélection du Festival de Berlin et presque entièrement inconnus en France. Pourtant, au cours des premiers rendez-vous auxquels le réalisateur et sa caméra assistent discrètement, les prises des récits des patients du docteur Yamamoto témoignent d’une compréhension aiguë à la fois de la part du médecin et du cinéaste de leur parcours du combattant, mené en premier lieu contre eux-mêmes.
Sans jamais s’attarder sur leur diagnostique précis, la mise en scène préfère les laisser évoluer librement dans l’espace conversationnel qu’ils ont dû se forger en toute complicité au fil des ans avec leur psychiatre traitant. En résultent de formidables moments de confidence et de confiance, où l’appréhension de voir leur interlocuteur habituel poser son préavis de cessation d’activité produit chez ses patients des réactions qui vont bien au delà de la simple angoisse de se retrouver dans un désert médical psychiatrique. Car même si le traitement du docteur Yamamoto ne se distingue pas par son expertise théorique, en tout cas pas dans ces moments-là, on ressent néanmoins le profond attachement qu’il éprouve à l’égard de ces hommes et de ces femmes, les potentiels laissés-pour-compte de la société nippone ultra-performante, si ce n’était pour son assistance patiente sur la durée.
Vivre ici et maintenant
La méthode zéro qui a donné son titre au documentaire est expliquée pendant ses premières minutes. Elle consiste à se placer dans un état d’esprit, où la reconnaissance des choses qu’on a déjà – quitte à se réjouir de la douleur qu’on peut ressentir après avoir reçu une gifle – remplace le désir inassouvi des choses qu’on n’a pas et qu’on n’aura peut-être jamais. Pareille ambition philosophique réchauffe évidemment notre petite âme de minimaliste débutant. Hélas, elle est conjuguée au cours de la majeure partie du film à travers des scènes de la vie conjugale du couple Yamamoto, disloquée à cause de l’incapacité mentale de l’épouse de vivre de façon autonome.
Malgré la présence en toute circonstance du plus si jeune retraité auprès de sa femme psychologiquement souffrante, cette forme de soin rapproché ne produit aucun effet filmique notable. Elle se traîne au contraire fâcheusement en longueur, faute de quelque finalité narrative que ce soit pour ces rendez-vous, marqués par un manque de signifiance hautement regrettable. A quoi bon donc montrer les vieux commander de la nourriture chez eux, rendre visite à une bonne amie de Yoshiko du temps où elle était encore lucide ou bien mettre en état la tombe de leurs parents, si toutes ces démarches sans envergure n’en gagnent pas non plus par l’intermédiaire du regard de Kazuhiro Soda ? Toute la deuxième partie du documentaire peine par conséquent à indiquer dans quelle mesure la transition du médecin réputé vers la vie privée aurait produit autre chose qu’une léthargie crépusculaire, dépourvue du moindre attrait cinématographique.
Conclusion
Notre malédiction de documentaires en ce Festival de Berlin n’aura heureusement duré que pendant deux films, puisque le suivant était déjà sensiblement plus intéressant. En attendant la délivrance, Zero fait presque figure de gâchis, tellement ses quelques bonnes pistes initiales ne mènent que vers un langage filmique clairement pas à la hauteur de la tragédie conjugale qu’il tente d’évoquer. Est-ce par excès de pudeur ou au contraire par manque de finesse narrative que Kazuhiro Soda a raté l’occasion de créer un documentaire digne de ce chapitre final d’une vie d’exception, diminuée par la maladie ? Mystère ! Toujours est-il qu’à l’avenir, nous réfléchirons par deux fois avant de consacrer aveuglement deux heures à un documentaire asiatique …