La Femme qui s’est enfuie
Corée du Sud, 2020
Titre original : Domangchin yeoja
Réalisateur : Hong Sang-soo
Scénario : Hong Sang-soo
Acteurs : Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Song Seon-mi, Kim Sae-byuk
Distributeur : Capricci / Les Bookmakers
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h17
Date de sortie : 30 septembre 2020
2,5/5
La compétition de cette 70ème édition du Festival de Berlin se sera en fin de compte déroulée sans que nous y ayons prêté une attention particulière. Alors que notre séjour festivalier se terminera hélas déjà bientôt, nous avons quand même daigné regarder l’un des films en lice pour l’Ours d’or du jury présidé par Jeremy Irons. Et bien que nous sachions pertinemment qu’il est impossible de juger la qualité d’une sélection à partir d’un seul film, cet échantillon très partiel ne nous fait en tout cas pas trop regretter nos vagabondages de spectateur indépendant, loin de la catégorie reine du festival.
En même temps, il aurait été hautement surprenant que Hong Sang-soo renouvelle soudainement son style et son univers, avec lesquels le public français a eu le privilège de se familiariser abondamment en plus de vingt films depuis le début du siècle. Cette surexposition tout à fait exceptionnelle pour tout cinéaste, quel que soit son pays d’origine, a pour effet plutôt pervers que le possible champs de surprises auquel on peut encore s’attendre de la part du réalisateur sud-coréen stakhanoviste est considérablement réduit. Ainsi, The Woman who ran est en tous points conforme au microcosme intimiste que Hong peuple de film en film de personnages, qui parlent énormément, mais qui agissent très peu. Proche d’un exercice de style passablement subtil, sa structure n’est ponctuée que d’un ou deux petits morceaux de bravoure. Pour le reste, il ravira en priorité les fans inconditionnels du réalisateur, comme le faisaient à l’époque les films mineurs de Woody Allen. Car ceux-ci avaient, eux aussi, l’habitude de sortir à un rythme annuel et grâce auxquels on pouvait vaguement se rappeler les œuvres maîtresses d’une filmographie surabondante.
Synopsis : Pour la première fois en cinq ans de mariage, Gam-hee passe quelques jours sans son mari, parti en voyages d’affaires. Elle en profite pour rendre visite à deux amies qu’elle n’a pas vues depuis longtemps et qui viennent d’emménager dans de nouveaux appartements. Lors d’une sortie au cinéma, elle croise de même une autre connaissance, qui avait jadis joué un rôle important dans sa vie sentimentale.
Lent par nature
Il ne nous viendrait jamais à l’esprit de nous enorgueillir d’être des experts du monde filmique que Hong Sang-soo œuvre sans relâche à diversifier presque imperceptiblement depuis de nombreuses années. S’il y a une raison qui nous a fait décrocher de cet univers cinématographique si personnel, c’est bien le fait que l’évolution y avance à très petits pas, avec la valeur de la répétition à peine bousculée dans sa suprématie. Les personnages ont ainsi beau avoir quitté le milieu nombriliste des gens du cinéma, toujours en proie au doute face à leur valeur artistique et obligés de descendre de leur piédestal créatif afin d’exercer un temps la profession honteusement alimentaire de prof d’université – on exagère, mais à peine – , leurs préoccupations restent largement inchangées.
On continue donc gaiement à parler, voire à bavarder dans The Woman who ran, dans le plus pur respect du cercle vicieux des mondanités superficielles qui en appellent d’autres, au lieu de nous permettre de cerner plus en profondeur le sens de ces échanges interminables, même pour un film d’une durée aussi raisonnable que celui-ci. En dépit de quelques figures de style récurrentes comme le zoom désagréablement directif sur des personnages en particulier et d’autres mouvements de caméra à l’esthétique tout aussi basique, le découpage en trois chapitres clairement séparés l’un de l’autre, ne débouche ainsi sur aucune progression dramatique. Le personnage féminin principal, joué avec sa nonchalance habituelle par l’actrice attitrée du réalisateur Kim Min-hee, ne profite guère de cette première parenthèse dans sa vie de couple pour s’affranchir de l’emprise de son mari, qu’elle admet aimer au moins une fois par jour. Quel exploit ! Gam-hee occupe davantage la place d’un révélateur au trait peu net des petits travers dans la vie de ses interlocutrices.
Laissez les chats manger tranquillement
Le grand art de Hong Sang-soo consiste en effet à tourner autour du pot. Cela peut avoir des raisons culturelles, puisque les mœurs coréennes sont bien sûr très différentes de celles pratiquées en Europe. Mais on soupçonne plutôt le réalisateur de faire exprès, de dévoiler volontairement la gêne sociale qui gouverne les rapports humains dans la classe qu’il a l’air de fréquenter en exclusivité. Par ailleurs, il ne serait pas exagéré de rapprocher cette dernière du phénomène typiquement français des bo-bo, ces bourgeois-bohémiens dont la nouvelle classe dirigeante à Paris est l’aboutissement pour le moins problématique. Fin de la digression chauviniste ! Dans le 24ème film de Hong, le seul salut du spectateur, légèrement en état de somnolence face à tant de tiédeur conversationnelle, est alors de lire entre les lignes, de se repérer par rapport aux motifs et répliques qui y reviennent à intervalles réguliers.
Le doux parfum de l’ironie du ton, qui ne nous fait au moins pas mettre en question l’intelligence du réalisateur, s’intensifie même lors d’une séquence jubilatoire précoce, celle du voisin venu sonner à la porte de la première amie du personnage principal parce que les chats errants de la copropriété gênent son épouse. En dehors du fait que le raisonnement à l’origine de cette intrusion du monde extérieur nous paraît assez farfelu, il dévoile ce que l’on qualifierait d’essence du travail de Hong Sang-soo : enregistrer sans véritable état d’âme l’impossibilité de communiquer et de se faire comprendre, par voie de noyade symbolique du poisson dans un déluge de mots, qui ne veulent pourtant rien dire au fond.
Conclusion
Notre réconciliation avec l’omniprésent réalisateur coréen sera a priori pour plus tard. Et les occasions ne manqueront pas, puisque son film d’avant The Woman who ran, Hotel by the River sélectionné au Festival de Locarno en 2018, sortira en France dans moins de deux mois. Quant à celui-ci, on le classerait parmi ses œuvres mineures, pas inintéressant pour autant, quoique beaucoup trop conforme à ses habituels tics formels et narratifs pour nous faire changer d’avis à son encontre. Seule la consommation accrue de pommes nous y a interpellés positivement, au cours d’un festival dont l’un des lieux de passage obligés chaque jour est le point de distribution des délicieux fruits sponsorisés par la marque Kanzi !
Personnellement, je n’ai jamais décroché de l’univers cinématographique de Hong Sang-soo : en effet, je n’ai jamais accroché, ayant toujours trouvé qu’il s’agissait d’un réalisateur dont la réputation était totalement surfaite. En plus, la comparaison qui est souvent faite avec Rohmer m’énerve au plus haut point, Rohmer étant, au contraire, un de mes réalisateurs préférés.