Berlinale 2018 : Grass

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Grass

Corée du Sud, 2017
Titre original : Grass
Réalisateur : Hong Sang-soo
Scénario : Hong Sang-soo
Acteurs : Kim Min-hee, Jung Jin-young, Ki Joo-bong
Distribution : Les Acacias
Durée : 1h07
Genre : Drame
Date de sortie : 19 décembre 2018

Note : 2,5/5

Nous ne faisons que colporter une évidence en affirmant que Hong Sang-soo tourne beaucoup, jusqu’à l’excès même. Sa renommée lui permet d’être invité par tous les grands festivals, qui s’arrachent presque ses films, programmés dans des sélections plus ou moins adaptées, comme dans le cas présent le Forum du Festival de Berlin, une partie initialement dédiée au « jeune » cinéma, prêt à l’aventure et à l’exploration de nouvelles formes filmiques. Or, si l’on peut reconnaître une qualité intrinsèque au cinéma du réalisateur coréen, c’est qu’il affectionne la répétition, et dans les thèmes, et du côté des personnages qui peuplent ses films. Son travail devient en effet tout de suite plus intéressant, dès qu’on peut le mettre dans le contexte de son univers personnel : une éternelle mise en abîme de l’acte de création cinématographique, avec tout ce que cela implique en termes d’états d’âme chancelants, de comédiens capricieux et de muses blasées. Il faut craindre qu’on ait loupé les dernières évolutions de ce microcosme parfois joliment nombriliste, puisque nous avons sensiblement moins adhéré à la dernière œuvre du cinéaste hyperactif que nos chers compagnons de festival ! Sans tout à fait tomber dans le piège de l’auto-parodie involontaire, Grass est une brève étude sur des couples dysfonctionnels – des amis, des amants, des frères et sœurs –, dont le point en commun n’est pas seulement le décor d’un café baigné dans la musique classique, mais également une observatrice omniprésente, en guise de relais plus ou moins original du rôle propre au réalisateur.

Synopsis : Une femme et un homme se retrouvent dans un café, situé dans une ruelle peu fréquentée. Après avoir échangé quelques banalités, ils se reprochent mutuellement le suicide d’une amie. Une autre cliente, assise seule dans un coin devant son ordinateur, tend attentivement l’oreille. Elle écoute également les conversations des personnes aux tables voisines : un vieil acteur désœuvré et sans argent qui tente de convaincre sa jeune amie de l’accueillir chez elle, ainsi qu’un acteur plus jeune qui manque d’inspiration pour terminer deux scénarios qu’il a commencés et qui finit par lui faire une proposition étrange.

Café Society

Le minimalisme formel est plus que jamais de mise dans Grass. Dans un noir et blanc sobre, la caméra procède à un découpage peu inventif, centré autour de ce motif incontournable du cinéma de Hong Sang-soo qu’est la compagnie attablée, à moins de se fourvoyer dans des zooms, des mises au point et des mouvements à caractère désagréablement répétitif. Le souci avec ce type d’approche est moins son aspect rudimentaire, que l’importance démesurée qui lui revient dans la création d’une dynamique narrative, guère aidée par le passage d’un groupe à l’autre avant qu’une identification profonde ne puisse avoir lieu. Car les personnages dans le 21ème long-métrage du réalisateur ont beau s’engueuler et s’entre-déchirer, aucun fil conducteur ne semble se dégager dans cet enchaînement de conversations, anodines surtout par leur succession succincte. Sauf bien sûr si l’on considère que nous assistons à l’énième variation de thèmes chers au chroniqueur par excellence de la vanité de la vie, futile et péniblement intense, alors que les véritables tireurs de ficelles restent dans l’ombre ! Admettons-le, ce serait là une morale aussi rébarbative que triste à tirer d’un film, qui n’est pas pour autant complètement exempt de quelques moments plus légers. Il nous gratifie même d’une séquence pour le moins étrange, au bord de l’incompréhension, où un personnage féminin monte et descend à maintes reprises l’escalier dans sa maison.

Il n’est jamais trop tôt pour boire un verre

De façon plus concrète et accessible, Hong Sang-soo procède ici à son habituelle dissection de l’âme humaine. Il y est autant question d’un alcoolisme latent, désigné comme une voie possible vers le suicide, que d’un tabagisme sans remords. On y passe sans transition notable de l’amour, qui ressemble à s’y méprendre au coup de foudre, à la haine, qui peut se muer contre toute attente en attirance. Les changements abrupts d’humeur ne manquent certes pas dans cette intrigue très vaguement contée par l’intermédiaire de la fille à l’ordinateur. Mais c’est justement la nature vagabonde de la caméra, pas entièrement complice d’un fil dramatique qui se voudrait cyclique, alors qu’il ne fait que revenir sans aucune préméditation apparente sur certains personnages, qui prive le film de cette nonchalance détendue, grâce à laquelle nous avions été séduits par les films précédents du réalisateur. En somme, Grass relève de l’exercice de style, brouillon et dépourvu d’une ambition folle, soit, mais en même temps trop tributaire des tics discursifs de son auteur pour enthousiasmer les spectateurs, qui ne vont pas admirer sa filmographie avec assiduité dans les chapelles érigées en son honneur par les responsables des festivals à Cannes, Venise ou Berlin.

Conclusion

Nous sommes décidément passés à côté du nouveau film de Hong Sang-soo, une déception qui ne nous chagrinera que jusqu’au prochain film de ce réalisateur au rythme de travail quasiment trimestriel ! Car à force de précipiter le bouclage de ses œuvres filmiques, il court sérieusement le risque du sur-place créatif. Grass en est hélas l’exemple parfait : pas dépourvu de prétention, mais avant tout un retour dispensable et trop rapiécé sur des préoccupations thématiques et formelles que Hong a d’ores et déjà su exprimer de façon plus pertinente dans le passé.

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