Berlinale 2016 : Mort à Sarajevo (Grand Prix)

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AfficheDefautMort à Sarajevo

France / Bosnie, 2016
Titre original : Smrt u Sarajevu
Réalisateur : Danis Tanovic
Scénario : Danis Tanovic, d’après la pièce Hôtel Europe de Bernard-Henri Lévy
Acteurs : Jacques Weber, Snezana Markovic, Izudin Bajrovic, Vedrana Seksan, Muhamed Hadzovic
Distribution : –
Durée : 1h25
Genre : Drame
Date de sortie : –

Note : 3/5

Denis Tanovic, qui a surtout marqué les esprits avec son brillant premier film No Man’s Land en 2001, continue d’interroger l’histoire dramatique de son pays. Avec cette très libre appropriation, plus qu’adaptation, de Hôtel Europa, la pièce de théâtre de Bernard-Henri Levy jouée à Sarajevo même à l’occasion du centenaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche, il signe un nouveau film engagé qui mêle la Grande Histoire à celle, non moins peu glorieuse, de l’époque actuelle dans les Balkans en particulier et en Europe en général. Après La Femme du Ferrailleur en 2013, il participe pour la deuxième fois à la compétition du Festival de Berlin et tourne pour la première fois chez lui, en Bosnie.

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Synopsis : L’Hôtel Europe à Sarajevo, est en effervescence avec l’arrivée des prestigieux invités de la célébration officielle du centième anniversaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. Dans les coulisses se joue l’avenir de ce palace menacé de faillite, de ses employés, de ses invités de passage et se commémore le passé d’un pays marqué par cent années de violences.

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L’Europe est morte plusieurs fois

Ce palace symbolise toutes les passions d’une Europe morte déjà plusieurs fois, en 1914, en 1936 lorsque les républicains ont été abandonnés en Espagne, avec la Shoah ou avec les massacres perpétrés en ex-Yougoslavie, selon les propos d’un homme, traité en «VIP», que l’on voit répéter un discours dans sa chambre. Une distance comique se crée avec ses hésitations d’homme politique satisfait d’avoir trouvé une belle formule sur un sujet grave mais lorsque l’on écoute ses propos, ils sont d’une rare force sur le devoir de mémoire («à quoi cela sert de se souvenir de la Shoah si l’on n’empêche pas Srebrenica») nous mettant en face de nos responsabilités, ce qui se rapproche cette œuvre d’un autre de la compétition de Berlin, Fuocoammare, dans un contexte autre certes, mais voisin dans sa morale.

La grande histoire est revisitée à travers ses effets sur notre monde aujourd’hui, où chaque «camp» se dispute la responsabilité des crimes de guerre. Les tensions restent fortes entre serbes d’un côté et serbes et croates de l’autre, alors qu’ils parlent la même langue, ont la même culture et la même histoire, au grand désespoir du réalisateur. Les esprits s’échauffent rapidement surtout si la haine est entretenue par les familles et une envie de revanche qui perdure artificiellement. Cela se reflète surtout dans les propos et la colère de Gavrilo Princip, un serbe d’aujourd’hui de trente ans, nommé ainsi en hommage prononcé à l’étudiant qui a abattu l’archiduc en juin 1914, événement considéré comme déclencheur de la Première Guerre mondiale. Il participe à une émission de télévision en direct en raison de son nom mais c’est hors caméra que se joue une discussion passionnante entre cet homme exalté et une journaliste déterminée sur les responsabilités des uns et des autres, en particulier du génocide perpétré au début des années 90. Deux interviews précèdent ce bel échange qui contextualisent la situation politique et historique pour ceux qui ne sont pas au fait de cette douloureuse histoire. Ils servent notamment à dépassionner l’étude du passé, ce qui n’empêche en rien de le comprendre mais surtout devrait permettre de le dépasser pour atténuer les haines trop longtemps exacerbées par des hommes de pouvoir pour leur propre profit, sans souci des conséquences criminelles, les massacres en ex-Yougoslavie hantant encore les esprits aujourd’hui.

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Gosford Hotel Europe

Ce film est aussi un récit choral façon Gosford Park (ou les séries Upstairs, Downstairs et son prestigieux successeur Dowtown Abbey) où l’on découvre en parallèle les clients et les multiples coulisses de ce palace, notamment dans les sous-sols glauques, ceux où travaillent les employés invisibles et ceux «sous-loués» par un mafieux imposant ses volontés à son directeur sous pression, doublement inquiet de cette influence néfaste et de la grève qui s’annonce, ses employés n’ayant pas été payés depuis deux mois alors qu’il espère que la venue de prestigieux invités le sauve de ses dettes. La mise en scène (un prix dans cette catégorie, comme dans celle du scénario, serait largement mérité) est effervescente et légère malgré la multiplicité des points de vue, avec notamment quelques beaux plans-séquences (beau travail du directeur de la photo Erol Zubcevic) qui accompagnent cette effervescence au travail, la tension des protagonistes et cette crainte qu’un avenir heureux est compromis par le poids prégnant du passé dans cette région souvent synonyme de haine. La distribution pléthorique est impressionnante, dont Izudin Bajrovic, le manager dépassé par les événements, Snežana Vidović, son assistante partagée entre sa loyauté pour lui et sa mère qui mène la rébellion des employés, Jacques Weber qui reprend le texte qu’il avait créé sur scène, Muhamed Hadzovic en homonyme du héros/assassin Princip et son «opposante» Vedrana Seksan et bien d’autres. Le lien avec Robert Altman se retrouve aussi dans la gestion par le réalisateur de cette troupe et de sa vision du genre humain que l’on peut trouver misanthrope mais qui en réalité touche assez juste sur les égoïsmes, les maladresses de comportement et d’opinion. Du théâtre, il retient surtout l’unité de lieu (le temps d’une journée charnière de la vie d’un lieu de travail – on pourrait y voir du Frederick Wiseman d’ailleurs si le scénario n’était pas si dramatisé), de temps et d’action, dans un rythme heureusement resserré, le film ne souffrant pas des longueurs de la plupart des films en compétition. La seule réelle réserve sur le film sont les quelques scories dramatiques artificielles qui n’apportent rien tel un harcèlement physique bien utile pour souligner une lâcheté mais qui ne se comprend pas dans le contexte de la caractérisation de l’agresseur plus passif qu’actif jusqu’alors, un coup de feu aux graves conséquences ou encore les agissements d’un policier cocaïnomane en particulier, qui atténuent de façon inutile la force sèche de cette brillante étude politique et sociale.

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Conclusion

Avec ce qui restera comme l’un des films emblématiques de la compétition de la Berlinale 2016, Denis Tanovic libère une parole indispensable mais corsetée dans les pays des Balkans, notamment à cause de cette crainte qui plane de raviver les tensions, ce qui se retrouve surtout dans l’échange entre Princip bis et la journaliste. Il laisse s’exprimer deux points de vue radicalement opposés, écrits avec précaution mais aussi avec enthousiasme et fougue, sans éviter d’exprimer le sien sur les points les plus douloureux de l’opposition entre serbes et bosniaques. Plusieurs types de transmission sont possibles, apaisées ou douloureuses. Denis Tanovic fait clairement le choix de la première formule. Il ne donne pas de leçon mais invite à la mesure et à la réflexion, ce qui ne l’empêche pas d’être passionné par son sujet.

https://vimeo.com/154601861

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