Beau-père
France, 1981
Titre original : –
Réalisateur : Bertrand Blier
Scénario : Bertrand Blier, d’après son roman
Acteurs : Patrick Dewaere, Ariel Besse, Maurice Ronet, Geneviève Mnich
Distributeur : Les Acacias
Genre : Drame
Durée : 2h05
Date de sortie : 11 septembre 2019 (Reprise)
3/5
Il fut un temps où Bertrand Blier n’était pas encore un obsédé de la mise en abîme, où chaque nouveau film ne fournissait pas le prétexte à quelque pénible esbroufe narrative que ce soit. Il y a aussi de cela dans Beau-père, soit, mais le cœur de l’histoire est tout de même ailleurs : dans la description presque délicate d’une relation au fort potentiel scandaleux. Car peu importe que ce soit au début des années 1980 ou bien aujourd’hui, les pulsions libidineuses d’une gamine de quatorze ans pour un membre de la génération de ses parents aura toujours quelque chose de sulfureux, d’interdit. Or, la démarche de Blier ne nous a jamais paru très moralisatrice. Le réalisateur semble préférer l’observation d’événements étonnants sur un ton espiègle à leur jugement clair et net. Ainsi, le malaise est certes présent tout au long de cette amourette sans avenir, mais son aspect légal ou plutôt criminel est complètement passé sous silence, au profit d’une sorte de flegme moral, véhiculé par son personnage principal. Cette absence de prise de position depuis un point de vue éthique fermement établi résulte en fin de compte en un drôle de film, tout à fait maîtrisé du côté formel et pourtant assez douteux dans le fond, comme s’il n’y avait pas matière à s’offusquer face à une telle aventure romantique peu orthodoxe.
Synopsis : Rémi s’était juré qu’il saura quoi faire de sa vie le jour de ses trente ans. Alors que son anniversaire approche et qu’il n’est nullement comblé par son travail de pianiste dans un restaurant chic, sa compagne Martine meurt dans un accident de voiture. Incapable d’annoncer de front la mauvaise nouvelle à Marion, la fille adolescente de la défunte, Rémi tient néanmoins à garder intact le foyer familial. Ce nouveau rôle lui convient d’autant plus que Charly, le père biologique de la fille, mène un style de vie mondain peu compatible avec les besoins affectifs de cette dernière. Une fois que Marion est retournée vivre auprès de Rémi, elle lui annonce d’éprouver une attirance physique à son égard. D’abord perplexe, le musicien frustré fera de son mieux pour résister à ses avances.
Il n’a rien d’un héros
Ce n’est pas par hasard que Beau-père a été inclus dans un hommage à Patrick Dewaere en trois films, ressortis en copies restaurées en cette rentrée 2019, plus de 37 ans après la disparition tragique du comédien. La finesse de son jeu est en effet l’un des piliers de cette histoire, voire la raison essentielle pour laquelle on ne décroche pas d’emblée du chemin tortueux de l’intrigue. Sa tristesse, tour à tour apparente et soigneusement dissimulée, rend inopérant tout soupçon de prédateur sexuel qu’on pourrait cultiver envers lui, cet homme qui n’est après tout lui-même guère plus qu’un enfant. Cette mélancolie n’a point été déclenchée par l’accident de sa conjointe, par ailleurs évoqué d’une façon tellement succincte et théâtrale qu’il en deviendrait presque grotesque. Non, elle est intrinsèque du personnage et par répercussion de l’acteur, un individu qui se laisse flotter au gré de ses envies et de ses déprimes. Le talent immense de Dewaere consiste alors à nous rendre vaguement sympathique cette chiffe molle à fleur de peau, à nous faire adhérer à ses combats intérieurs et à ses scrupules de plus en plus perméables à la séduction malsaine. La mise en scène y participe également, quoique à un degré moindre, en le présentant tel une figure entre le ridicule et le tragique, prise sans cesse au dépourvu et donc jamais en mesure de mener cette danse des attirances dans une direction qui serait à son avantage.
Dire des bêtises sans les faire
Car il n’y a pas vraiment de gagnants, ni de perdants dans cette affaire pas si sinistre d’une gamine à l’appétit sexuel précoce. Même pas le spectateur, légitimement déboussolé par ces jeux érotiques à la parenté trouble avec le mythe de Lolita. Sauf que tout ce qui se passe à l’écran est exempt de gravité ici, à l’image du rôle du père, interprété avec un air d’innocence malmenée à la suite de nombreuses années passées à abuser de l’alcool par un Maurice Ronet déjà rongé par la maladie. Son emploi au sein du récit est aussi pauvre en répercussions réelles que celui, aux extrémités du film, de ces deux futures grandes dames du cinéma français que sont Nicole Garcia et Nathalie Baye. L’impact de ces personnages secondaires paraît en fait d’autant moins durable qu’ils ne comprennent pas grand-chose à l’obsession mutuelle qui lie Rémi à Marion. Ce jardin secret passager aurait pu rester justement cela, une parenthèse passionnelle irréfléchie au dénouement plus raisonnable. Au détail près que Bertrand Blier s’entête in extremis à perpétuer le cercle vicieux avec ce triple plan sur la fille de Charlotte, la pianiste et future femme idéale aux yeux du beau-père arrivé à bout de ses forces émotionnelles. Tandis que nous avions bien compris les intentions du réalisateur dès l’apparition de cette nouvelle gamine, prête à prendre le relais, la focalisation formelle sur elle aurait presque anéanti l’approche plus approximative, ayant rendu jusque-là la grille de lecture morale de Beau-père si difficile à appréhender.
Conclusion
Ne vous laissez pas trop rebuter par le sujet polémique du sixième long-métrage de Bertrand Blier, un réalisateur habitué – en tout cas à l’époque – aux films à controverses ! Vous passeriez en effet à côté de l’interprétation magistrale de Patrick Dewaere, dont le personnage est pris dans les feux croisés de la passion et de la bienséance paternelle, sans qu’on ne puisse lui en vouloir sincèrement. Dans cette ambiguïté morale réside tout l’enjeu du film, orchestré avec une adresse et une élégance que l’on recherche hélas en vain dans les œuvres plus récentes du réalisateur.