Back To The Past #15

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Amis cinéphiles, bienvenue ! Ton site préféré te propose les Madeleines de Proust de David : par moult souvenirs et autres petites anecdotes, notre rédacteur te racontera comment s’est forgée sa cinéphilie durant sa prime jeunesse, laquelle a considérablement évolué durant son adolescence et son entrée dans l’âge adulte.

Cela s’appelle «Back To The Past», et vous retrouverez un nouvel article tous les vendredis. Au programme cette semaine, une vitre, des médicaments, et des cigarettes !

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5 janvier 1968, Tchécoslovaquie. Alexandre Dubcek, homme politique d’origine slovaque et membre du parti communiste tchécoslovaque, arrive au pouvoir et débute avec lui la période dite du «Printemps de Prague» où sont réintroduits dans le pays la liberté d’expression et de circulation : c’est le «socialisme à visage humain» après plusieurs années de restriction sous le joug de l’URSS. Ce dernier, après une tentative de négociation, envoie son armée pour imposer une «normalisation» (en fait, le retour à la restriction des libertés dans le pays). Cette nouvelle occupation soviétique entraîne manifestations et vagues d’émigration du peuple tchécoslovaque vers des horizons meilleurs ; parmi ce dernier, se trouve un réalisateur déjà auteur de 3 longs-métrages rompant avec le conformiste soviétique : Milos Forman…

Janvier 1975, Oregon, USA. Milos Forman commence le tournage de son premier film à grande importance ; il a fui son pays, la répression, laissé des camarades tchécoslovaques derrière lui. Il s’est tout de suite identifié au personnage principal de cette adaptation d’un roman de Ken Kesey : un repris de justice accusé de viol sur mineure et acceptant à la place de la prison d’être interné en hôpital psychiatrique. Comprenant qu’il a peut-être pour toujours perdu sa liberté, il tente de contourner les règles de l’infirmière en chef, femme froide et tyrannique, et de faire sortir de leur torpeur un petit groupe d’internés, les entraînant à la désobéissance et la rébellion.

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Milos Forman sait qu’il doit réussir ce film, que ce projet est pour lui ; cet hôpital psychiatrique, ces couloirs, ces murs, ces fenêtres grillagées, ces personnes endormies, sans vie, sans âme, mais qui n’ont pas l’air dangereux ; cette infirmière tyrannique derrière sa vitre, telle une fonctionnaire d’un pays totalitaire à un checkpoint contrôlant les papiers administratifs ; le haut-parleur ordonnant à ses patients la prise de médicaments, ces derniers permettant aux internés d’obéir aux règles ultra restrictives de l’infirmière. Milos Forman, en acceptant cette production américaine avec un acteur devenu star, Jack Nicholson, sait qu’il va décrire de manière allégorique ce que subit son pays d’origine et sa population. Une population malheureuse, de nouveau privée de liberté de parole et de circulation sous le joug de l’Union Soviétique ; un peuple que Forman a laissé derrière lui en fuyant son pays illégalement à la fin des années 1960 poiur continuer sa carrière de cinéaste.

Bien lui en a pris : le film sera un immense succès et deviendra rapidement un classique ; il sera l’un des seuls longs-métrages à remporter les 5 Oscar principaux : film, réalisateur, acteur, actrice et scénario. Aujourd’hui, il est considéré comme l’un des plus grands films du cinéma américain, de part la force de son sujet alors peu traité à l’époque, l’interprétation mythique de Jack Nicholson, et une poignée de séquences cultes dont la scène où Nicholson mime un match de base-ball, alors que l’infirmière avait peu de temps avant interdit aux malades de le regarder à la télévision.

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1993. Je regarde comme d’habitude ce que le tube cathodique me propose et voit qu’est diffusé ce film de 1975. Un film sans extra-terrestres, ni aventures rocambolesques, ni scènes fantastiques, ni enfants aux prises avec des créatures. Un film sans vaisseaux spatiaux, ni engins voyageant dans le temps. Juste un hôpital, des couloirs, des hommes discutant sur des chaises. Rien de plus… Pas intéressant, me dis-je, je vais m’ennuyer sec ! Non, non, non, rétorque ma mère (oui, encore elle) ; ça, c’est très bien, tu devrais le voir ! Étant jeune et encore influençable, je suis le conseil maternel.

Depuis la vision de ce film, je sais dorénavant qu’il n’y a pas que l’aventure, la science-fiction et l’aventure, voire le fantastique et que des films dramatiques ou même mélodramatiques peuvent me plaire énormément, même si je ne fais pas forcément l’unanimité à la cour de récré du collège aussi triste et ennuyeux que l’hôpital décrit par Forman. En fait, durant toute ma vie, j’aurai l’impression de revoir cet hôpital et ses règles aussi absurdes qu’aliénantes : le lycée, l’administration en général, mes premiers jobs… Je serai très souvent confronté à ces environnements où règnent l’ennui et le manque d’épanouissement de soi-même. En fait, cet hôpital psychiatrique, c’est un peu une part de la vie de tout le monde : un endroit où la création n’a pas lieu d’être, où la liberté est très surveillée, où l’État aura toujours le dernier mot en cas de désobéissance.

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Juillet 2008. Je suis à deux doigts de péter un câble. Je n’ai pas eu une nuit correcte depuis 4 mois, je suis à bout de forces, je suis au bord de l’épuisement à cause d’un boulot usant, fatiguant, nécessitant deux heures de transports publics, et ce pour un salaire dérisoire pour un travail intérimaire. Je suis à deux doigts de pleurer de rage sur mon lieu de travail, étant sans cesse surveillé, considéré comme du bétail, poussé à bout par des objectifs commerciaux impossibles à tenir… Je n’ai pas le choix, je dois m’arrêter, aller voir un médecin, j’ai besoin de repos, sinon, je risque de m’en prendre physiquement ou de détruire du matériel informatique, tellement je frissonne de rage et de tristesse et d’épuisement à la fois. Quelques semaines plus tard, je ferai une cure de sommeil dans une maison de repos…

Aujourd’hui, je porte toujours plus ou moins les séquelles de cette période horrible et, tel Forman quittant son pays natal pour fuir la répression soviétique, je pense à tous les collègues que j’ai abandonnés ce jour-là : des collègues que j’aurais aimé aider, faire sortir de leur torpeur, leur faire comprendre qu’ils peuvent faire autre chose de leur vie. Et je ne désespère pas, un jour, de me rendre à cet endroit, près de dix ans plus tard, pour essayer de réveiller ces gens…

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