Back To The Past #13

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Amis cinéphiles, bienvenue ! Ton site préféré te propose les Madeleines de Proust de David : par moult souvenirs et autres petites anecdotes, notre rédacteur te racontera comment s’est forgée sa cinéphilie durant sa prime jeunesse, laquelle a considérablement évolué durant son adolescence et son entrée dans l’âge adulte.

Cela s’appelle « Back To The Past », et vous retrouverez un nouvel article tous les vendredis. Au programme cette semaine, un camion, des serpents, et de l’asphalte !

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Sur une route désertique, quelque part aux Etats-Unis… Un homme de la ville, banal, dans une tenue signifiant une profession de représentant, se dirigeant vers une cabine téléphonique… L’homme appelle la police, il est affolé mais tente de parler avec calme… Il déclare à son interlocuteur qu’il est pourchassé par un camion… Un camion-citerne, rongé par la rouille, garé au loin… Ce dernier, alors que l’homme décline son identité, démarre, se dirige vers la cabine, et pulvérise celle-ci… le représentant de commerce s’est échappé tout juste de la cabine…

C’est sur ces quelques images énigmatiques et terrifiantes à la fois, rappelant à la fois le visionnage par votre serviteur de The Birds d’Alfred Hitchcock et ses mouettes attaquant les habitants d’une petite ville côtière, qu’est présenté un film, lors de sa sortie en VHS, quelque part au début des années 1990, réalisé par… Steven Spielberg ! Rien que le nom provoque tout de suite une envie incommensurable de découvrir cette œuvre de jeunesse du réalisateur américain, alors que j’étais encore traumatisé par la découverte de son chef-d’oeuvre de science-fiction Rencontres du troisième type !

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Miracle !… Le film en question, présenté comme la première œuvre du génie outre-Atlantique, est enfin diffusé… Un dimanche en fin d’après-midi ! Incroyable, non ?… Eh oui, cette chronique est pour moi l’occasion de vous évoquer encore un temps que les moins de vingt ans, etc, etc, vous connaissez la chanson. En effet, la télévision, cette boîte à images parfois vulgaires, parfois fascinantes, alors extrêmement lourde avec son tube cathodique (aujourd’hui, avec les écrans plats, on en a oublié le poids de cette saloperie de tube !) ne diffusait pas encore dans les années 1980 et 1990 des émissions débiles et régressives de télé-réalité à longueur de journée et des programmes inintéressants et déferlants de bêtise, de méchanceté et autres passions tristes. On pouvait encore voir alors des débats plus ou moins pertinents, des reportages faits avec objectivité… Et des films de genres et d’époques divers et variés, permettant à défaut d’avoir un vidéo-club ou une salle de quartier à proximité de chez soi de se forger une culture cinéphile, bien évidemment en fonction des choix de programmation.

C’était une époque où vous pouviez découvrir ici un C’est arrivé près de chez vous sur Arte un lundi soir en deuxième partie de soirée, là un Charles Bronson ou un film d’action de la Cannon avec Chuck Norris ou Jean-Claude Van Damme sur TF1 (parfois à 20h50 ! si, si !). On pouvait même, pour les plus anciens, découvrir (à 20h50 toujours !) un polar italien de Sergio Sollima avec Bronson ou un clone des Dents de la mer américano-italien des années 1970 (Orca) ! Mais là, le cas de Duel est différent : en effet, j’apprends par les informations du programme télé papier qu’il s’agit… d’un téléfilm !!!

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Oui, oui… C’est un téléfilm ! Un film produit pour la télévision américaine dans les années 1970 ! Alors que j’ai pour connaissance des œuvres produites pour la télé uniquement les trucs policiers « sentant le vieux » diffusés sur TF1 tels Navarro ou Commissaire Moulin, ce qui s’annonce comme une œuvre absolument maîtrisée a été tournée en peu de temps, avec un budget réduit.

J’apprendrai plus tard que le film TV a eu un tel succès qu’il sera décidé de créer une exploitation cinéma, et pour cela de tourner des scènes additionnelles afin d’obtenir un métrage de 90 minutes.

Première œuvre cinématographique de Spielberg (officieusement, donc, mais ne chipotons pas), le film est écrit par Richard Matheson, célèbre écrivain américain de science-fiction et d’épouvante, récemment décédé en 2013. Il est l’auteur de célèbres romans tels L’Homme qui rétrécit, Je Suis Une Légende ou Le Jeune Homme, L’Amour et le Temps et de nombre de nouvelles mais a également croisé le chemin des studios de cinéma en adaptant pour le producteur de séries B Roger Corman des œuvres d’Edgar Allan Poe (La Chute de la Maison Usher, La Chambre des Tortures, Le Masque de la Mort Rouge) et même d’un superbe film britannique des studios Hammer, Les Vierges de Satan avec l’immense Christopher Lee confronté à une secte d’aristocrates vénérant le Prince des Ténèbres.

L’anecdote racontée par Matheson lui-même veut que ce dernier ait imaginé l’histoire de ce cadre en commerce poursuivi par un camion… lors d’un trajet en voiture avec un ami sur une route déserte de Californie, le 22 novembre 1963, jour de l’assassinat du président Kennedy. Submergé par l’émotion en apprenant la funeste nouvelle, Matheson fait un geste brusque au volant sans avoir aperçu l’énorme semi-remorque lancé derrière chez lui. Le chauffeur, dont Matheson ne distinguera pas le visage, tentera de l’écraser avant de disparaître aussi vite qu’il est apparu… Spielberg dévorera la nouvelle en déclarant que c’est du pur Hitchcock : une situation extraordinaire s’insinuant brusquement dans le quotidien de tout un chacun !

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On comprend à la vision du film pourquoi le succès critique et public fait immédiat, tellement le métrage est d’une telle maîtrise pour un jeune réalisateur. Tournées en 3 semaines environ pour un budget de 300 000 dollars, ces 70 minutes de suspense sont d’un rythme impeccable, agrippant le spectateur à son siège dès les premières minutes pour ne plus le lâcher jusqu’au dénouement final. Par sa mise en scène, son interprétation, sa bande originale aussi discrète que marquante, le film marque le jeune cinéphile que je suis dès sa première vision, d’autant plus que Spielberg choisit de ne jamais montrer le conducteur du semi-remorque, hormis son bras faisant signe au commerçant de passer ou ses santiags lors d’un arrêt au premier acte du film. L’on verra également son bras actionnant le frein à main, donnant l’impression d’une vie subjective !

Inutile de vous dire que découvrir ce genre de films un calme dimanche de fin d’après-midi, quelques heures avant de reprendre l’école, est un souvenir inoubliable, souvenir amplifié par la vision de la version salles plus tard, en VHS, avec l’ajout d’un superbe générique de près de 4 minutes, filmant « à vue de pare-choc » la voiture du représentant, et son arrivée progressive dans le désert californien

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Mais ce temps-là est terminé, aujourd’hui… Avec l’avènement d’Internet, la multiplication des écrans et des possibilités (légales ou non) de découvrir les films, la programmation cinéma des chaînes de TV actuelles (pourtant plus nombreuses qu’à l’époque) est assez quelconque, proposant souvent DTV de seconde ou troisième zone et blockbusters déjà rediffusés. Il n’y a qu’ARTE, chaîne franco-allemande de la Kulture, qui nous propose une sélection bien souvent riche et stimulante, pour les téléspectateurs n’ayant pas les moyens de se payer un bouquet de chaînes cinéma. Il est (presque) fini, ce temps où l’on pouvait découvrir un film en ayant vu le moins d’images et extraits possibles ; découvrir le cinéma vierge de tout à priori pour être mieux émerveillé par la suite…

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