Amis cinéphiles, bienvenue ! Durant tout cet été 2016, pour pallier à la morosité du calendrier proposé durant cette période où 7ème art rime avec blockbuster décérébré et peu original ou films de fond de catalogue dont on ne sait pas trop quoi foutre, ton site préféré te propose les Madeleines de Proust de David : par moult souvenirs et autres petites anecdotes, notre rédacteur te racontera comment s’est forgée sa cinéphilie durant sa prime jeunesse, laquelle a considérablement évolué durant son adolescence et son entrée dans l’âge adulte.
Cela s’appelle « Back To The Past », et vous retrouverez un nouvel article tous les vendredis de cet été. Au programme cette semaine, des photos, un couteau et un chien !
Erwin Leder… Un nom méconnu dans l’histoire du 7ème Art, mais une gueule d’une férocité, d’une animalité et d’un magnétisme que tous les cinéphages l’ayant croisé n’ont pas oublié… Deux ans après un second rôle dans Le Bateau (Das Boot) de Wolfgang Petersen, classique du film de guerre des années 1980, l’homme est propulsé au centre d’un petit film d’auteur européen, seul long-métrage du cinéaste autrichien dénommé Gerald Kargl qui ne fera pas vraiment carrière dans le cinéma, mais plutôt à la télévision, ayant été fortement endetté à la fin du tournage… Un film peu distribué voire interdit d’exploitation en raison de son contenu sulfureux, longtemps invisible en dehors du cercle des festivals de cinéma de genre peuplés de cinéphages fous durant les années 1980…
Massacre à la Tronçonneuse, Salo ou les 120 Journées de Sodome, Delivrance, Orange Mécanique, Les Chiens de Paille, La Grande Bouffe, Cannibal Holocaust, Maniac… Votre serviteur connaissait déjà, à l’aube de sa majorité civile, bon nombre de films sulfureux voire extrêmes, aujourd’hui plus ou moins reconnus comme des grands films ou des classiques, après avoir été littéralement conchiés par la critique, cette dernière n’hésitant pas à considérer leurs fabricants et leurs spectateurs comme des cerveaux malades… Mais tout cela est bien du petit lait, à côté de ce film méconnu, introuvable à la fin des années 1990 et évoqué par un des metteurs en scène les plus sulfureux du ciné français : Gaspar Noé…
A l’époque, vers 1998/1999, j’admirais le travail de ce réalisateur aux origines françaises et argentines, responsable d’un moyen-métrage, Carne, film dérangeant de 40 minutes sur un boucher devenant père, d’une fille handicapée sociale dans la France du début des années 1980. Un film sec, tendu, porté par une mise en scène incroyable et une interprétation tout aussi hallucinante d’un comédien méconnu : Philippe Nahon… Pareil que Leder : une gueule, un charisme, une diction que l’on n’oublie plus…
En attendant de voir la suite de ce petit film, Seul contre tous, présenté au Festival de Cannes 1998 et présentant déjà des images plus que prometteuses (souvenez-vous : le Journal du Cinéma d’Isabelle Giordano, époque où l’on parlait encore de cinéma à la télévision…), je lis dans un petit encart d’un numéro de la revue Starfix Nouvelle Génération quelques propos de ce que Noé considère comme le film l’ayant le plus influencé : un film autrichien de 1983 découvert en VHS au début des années 1990 par l’intermédiaire d’un responsable de l’ancien Starfix, aujourd’hui producteur (Insensibles, L’Étrange couleur des larmes de ton corps) : François Cognard. L’oeuvre déclenche immédiatement un choc chez le cinéaste franco-argentin, et sera dès lors visionnée par ce dernier plus de 40 fois. Le choc se reproduira chez d’autres amis cinéastes comme Marc Caro (Delicatessen) ou Jan Kounen (Dobermann, 99 Francs).
Dès la promotion de son second long-métrage, sorti sur les écrans français en février 1999, et même lors de la promotion conséquente (dû à la présence de Vincent Cassel, Monica Bellucci et Albert Dupontel) du « scandale » Irréversible en 2002, le metteur en scène, en véritable porte-parole et supporter du long-métrage, ne cessera de clamer son admiration sans borne à ce film autrichien auto-financé de 83 minutes, allant plus loin dans la figure du psycho-killer que Henry, Portrait of a Serial Killer.
Depuis 2012, et après de longues années d’attente et même une projection au Festival du Film Fantastique de Gerardmer 2006, le film est enfin disponible en DVD et Blu-ray en France dans une version remastérisée, véritable exhumation effectuée par l’éditeur Carlotta.
10 ans auparavant… Votre serviteur, à la recherche de nouvelles VHS afin de garnir sa collection et dépenser ses maigres sous gagnés lors de son entrée dans la vie active, découvre, totalement par hasard, dans un petit magasin miteux de la banlieue d’Epinal, au milieu d’un petit rayonnage de K7 vidéo toutes plus inintéressantes les unes que les autres, LE SAINT-GRAAL ! La fameuse VHS de chez Carrère Vidéo présentant la version intégrale de ce petit trésor de cinéma extrême que je souhaitais découvrir depuis pas mal de mois !
83 minutes plus tard, j’en ressors groggy, terrassé, déboussolé… Le film n’est pas une expérience, il EST l’expérience ! Après un prologue digne d’un documentaire constitué de photos (idée reprise dans Seul contre tous), le métrage nous propose de suivre jusqu’au générique de fin d’écouter les pensées, même jusqu’à entrer dans la tête d’un tueur en série qui, à peine sorti de prison, cherche à faire de nouvelles victimes et, à la suite d’une tentative infructueuse sur une chauffeuse de taxi, va massacrer une famille de trois personnes, tout en imaginant ces projets ultérieurs et nous racontant son passé tout en exécutant avec froideur ces victimes.
Le dispositif de mise en scène (cadres maîtrisés, voix-off), les couleurs froides, les protagonistes ternes, presque sans humanité, la musique électronique obsédante de Klaus Schulze (membre de Tangerine Dream) et, rappelons-le, l’interprétation hallucinée, à la limite de la folie, d’Erwin Leder… Tout concourt à créer un sentiment de malaise, bien plus encore que d’autres films de serial killers tels L’Etrangleur de Boston, Maniac ou Henry, Portrait of a Serial Killer. Trop extrême pour un film d’auteur, trop radical pour être un simple film d’exploitation, on peut comprendre que cette œuvre choc ait effrayé les distributeurs, tant elle repousse les limites d’immersion du 7ème Art et marque de son empreinte indélébile tout spectateur s’étant retrouvé sur son chemin.
Mes chroniques sont toutes destinées à vous conseiller de voir ou revoir le film en question, car elles ont été pour moi une grande découverte dans mon parcours de cinéphile, et m’ont permis de découvrir une nouvelle facette de mes goûts pour les genres du 7ème Art : la science-fiction avec Rencontres du Troisième Type, le péplum avec Ben-Hur ou bien la comédie débridée avec The Rocky Horror Picture Show mais je ne peux que vous recommander avec la plus grande prudence ce long-métrage. L’avertissement « destiné à un public averti » n’a jamais été aussi pertinente pour cette œuvre, car elle pousse son visionnage durant le spectateur dans ses derniers retranchements, de part son ambiance malsaine, froide, clinique.
Mais si vous êtes à la recherche d’expériences extrêmes, sans compromis, alors plongez durant 80 minutes dans la folie de ce psycho-killer dont, tel votre serviteur, vous n’oublierez jamais ni le visage ni la voix…
En complément, un bonus de l’émission BiTS, une production ARTE CREATIVE créée par le journaliste Rafik Djoumi, où Gaspar Noé revient sur ses principales influences, dont bien sûr le film de Gerald Kargl. Et puis, très beau texte de Guillaume Gas, lors de la sortie vidéo du film chez Carlotta Films, pour le site Courte-Focale.