Tobias Dunschen
Critique : Papa ou maman
Notre patience à l’égard du cinéma français populaire est mise à rude épreuve avec cette « comédie », qui aurait pu être drôlement méchante, mais qui n’est en fin de compte qu’un ignoble amas de bêtise nihiliste. La prémisse des parents qui souhaitent profiter du divorce pour se débarrasser de leur progéniture était déjà suffisamment suspecte pour nous mettre en garde. Ce que Papa ou maman en a fait dépasse cependant nos pires craintes, par le biais d’une histoire tellement cynique et bancale que l’on devrait retirer illico presto la garde des enfants aux malheureux scénaristes, producteurs et réalisateur qui ont commis cette purge, assorti d’une interdiction à vie de faire du cinéma ! Bien entendu, nous sommes conscients que pareil souhait n’a rien d’éthique, mais vu le niveau extrêmement bas auquel évolue ce film, ne pas devoir en subir d’autres comme lui serait sans aucun doute un cadeau fait à l’humanité toute entière.
Critique : Bis
Franck Dubosc et Kad Merad réunis dans le même film, cela ne peut donner rien de bon ! Notre appréhension ne résulte pas tant d’un a priori général à l’égard de la comédie populaire française, mais de l’absence d’évolution de la carrière de ces deux acteurs, qui paraissent incapables de transgresser les limites rigides des personnages caricaturaux grâce auxquels ils ont fait fortune. Dubosc, le bon vivant un brin libidineux, et Merad, le bon bougre qui se démène comme il le peut dans son existence de souffre-douleur, représentent certes une sorte de pilier du genre. Mais leurs frasques finissent rapidement par lasser, faute d’un quelconque renouvellement de leur registre. L’espoir de voir quelque chose d’à peu près frais s’estompe ainsi sans tarder face à cette comédie, qui recycle de surcroît bon nombre de dispositifs éculés du fantastique.
Critique : L’Enquête
Plus que toute autre chose, c’est l’argent qui fait tourner le monde. L’inflation des sommes a beau banaliser le pouvoir intrinsèquement lié au fric, avec des millions, voire des milliards empruntés ou dépensés sans compter à travers le monde, il ne reste pas moins vrai que les riches façonnent ce dernier selon leurs désirs plus ou moins avouables. En dépit d’une recrudescence récente de documentaires économiques, comme l’excellent Master of the Universe de Marc Bauder, sorti il y a deux mois, le cinéma éprouve le plus grand mal à représenter ce facteur d’influence plutôt abstrait autrement qu’en l’incluant dans une opposition platement manichéenne entre les pauvres justes et les riches corrompus. Par où et comment les pactoles mirobolants transitent, cela constitue un sujet bien trop complexe et pas assez intriguant pour qu’un film de fiction s’en préoccupe. Avec son troisième long-métrage, le réalisateur Vincent Garenq s’y essaie quand même, en s’appuyant avec un certain succès sur l’affaire notoire Clearstream, depuis un point de vue journalistique.
Critique : Annie
Les meilleures comédies musicales sont celles qui débordent de vie et d’énergie, en mesure de nous faire fredonner un peu honteusement devant l’écran et de nous faire ressentir cette existence hautement artificielle comme si elle était réelle. Hélas, à de très rares exceptions près, la grande époque du genre est derrière nous. Il faudra donc se contenter des quelques survivants, aussi perfectibles soient-ils. Ceci dit, nous n’apporterions pas énormément de modifications à cette adaptation filmique de Annie. Elle respire certes la facture synthétique et sirupeuse à chaque sourire désarmant de la héroïne. Mais en même temps, elle fait preuve d’un tel optimisme naïf qu’elle ne tarde pas à devenir pour nous un délicieux plaisir coupable.
Critique : Jupiter Le Destin de l’univers
Malgré toute sa splendeur visuelle, l’univers des Wachowski suscite chez nous presque toujours au moins autant de frustrations que d’admiration. Leur propension incontrôlable de conférer un fond lourdement philosophique à leurs aventures du futur finit ainsi invariablement par plomber l’envol esthétique de films, qui souffrent souvent de cette différence béante entre l’agilité de la forme et la pesanteur du fond. Leur nouvelle épopée ne fait point exception à la règle, puisque Jupiter Le Destin de l’univers conte une histoire ennuyeusement farfelue à travers des images sensiblement plus dépaysantes.
Critique : Une histoire américaine
Quand un amour se meurt, c’est rarement beau à voir. En conséquence et pour mieux répondre à sa vocation de divertissement, le cinéma préfère explorer l’extrémité opposée des aventures romantiques, lorsque au début tout paraît encore possible et que le partenaire ressemble à l’illusion d’un idéal féminin ou masculin. Rien que pour le fait d’oser nager à contre-courant, le deuxième film de Armel Hostiou mériterait nos félicitations. Il le fait de surcroît avec une telle franchise émotionnelle, nullement complaisante et pourtant capable de rendre attachant un personnage a priori odieux, que nous ne pouvons qu’en rester subjugués. Sans oublier qu’Une histoire américaine donne une fois de plus un rôle taillé sur mesure à Vincent Macaigne, le perdant piteux le plus sympathique du cinéma français actuel.
Critique : Le Masque arraché
La troisième édition du Festival International du Film restauré « Toute la mémoire du monde », actuellement en cours à la Cinémathèque Française, permet d’élargir la mission de cette auguste institution du cinéma sous toutes ses formes. D’abord en termes de public, puisque les salles sont remplies en semaine d’élèves adolescents, qui s’y rendent plus par devoir que par passion, et puis, surtout, parce que pendant quatre jours, nous pouvons y découvrir des trésors cachés du Septième art, à condition de ne pas être réfractaire aux restaurations numériques. Présenté dans le cadre d’un hommage à la Collection Cohen, Le Masque arraché est l’une de ces perles rares, qui nous invitent à explorer dans les meilleures conditions techniques une époque révolue du cinéma hollywoodien. Le mélodrame et le suspense y font bon ménage, sur fond de croisement de trajectoire de deux vedettes démesurées : Joan Crawford et Jack Palance.
Critique : La Rançon de la gloire
La plupart des films de Charles Chaplin sont inspirés, légers et rythmés par une alternance prodigieuse entre la comédie et la tragédie. Pour faire bref, ce sont des classiques indémodables, qui raviront pour l’éternité un public plus ou moins jeune. Cet hommage maladroit en est l’opposé absolu. S’il n’était fautif qu’en termes de manque d’envergure et d’intérêt de cette histoire grotesque d’une subtilisation de cercueil, il produirait seulement chez nous un ennui mortel. Hélas, les dégâts sont plus amples, puisque La Rançon de la gloire manque cruellement de cohésion entre les parties qui le constituent.
Critique : Mon amie Victoria
Cette adaptation d’un roman de Doris Lessing suit plutôt consciencieusement le destin d’une femme moins volage que passive dans les choix de vie qu’elle subit. Ce n’est sans doute pas par hasard que la narration n’a pas opté pour un point de vue direct pour évoquer cette histoire d’une lente et subtile dépossession. La privation de la parole commence dès les premières minutes du film, lorsque Fanny, qui est comme une sœur pour Victoria, accapare la voix off, par le biais de laquelle elle jettera ensuite un regard parfois réprobateur sur l’existence chahutée de son amie. Ce filtre permet néanmoins à Mon amie Victoria de ne pas trop s’égarer dans des états d’âme abstraits, ne serait-ce que grâce à la structure sobre du scénario en quatre chapitres.
Critique : Toute première fois
La vitesse à laquelle la représentation des gays au cinéma a accompli son cercle de vie n’est pas vraiment faite pour nous réjouir. Après des décennies de discrimination et quelques années d’affirmation valorisante, elle est désormais arrivée au stade de la ringardise. Puisque tous les cas de figure de découverte et d’acceptation de l’homosexualité paraissent d’ores et déjà avoir eu droit à un film qui en traite, il ne reste plus qu’à emprunter le chemin inverse, c’est-à-dire de fuir la banalité supposée de l’amour entre hommes ou entre femmes, pour mieux redécouvrir la complémentarité d’un couple hétérosexuel. Pareil raisonnement très suspect aboutit à des films aussi navrants que Toute première fois, une comédie mi-figue, mi-raisin, qui ne fait guère rire, mais qui, par contre, en dit long sur l’état d’esprit somnolent des Français au sujet des couples gays.
Critique : Les Règles du jeu
Difficile de démarrer dans la vie active, alors que le contexte économique est morose et qu’aucun aspect du CV ne permet de se distinguer des milliers d’autres jeunes en quête d’un premier emploi. Pour faire la différence, il faudra alors savoir vendre une personnalité guère séduisante, qui traîne encore avec elle les attributs physiques et mentaux de l’adolescence. Quel est donc notre soulagement de ne pas être au chômage et, en même temps, quelle belle leçon en réalisme social que ce documentaire, qui suit une poignée de jeunes postulants à l’attitude et au destin fort variés !
Critique : Le Temps de l’innocence
Sublime, tout simplement sublime ! Un mot suffirait pour exprimer ce que ce chef-d’œuvre de Martin Scorsese nous inspire toujours, après l’avoir revisité maintes fois depuis sa sortie au milieu des années 1990. Le faste enivrant des décors et des costumes y est au service d’une histoire, qui traite justement du poids écrasant des obligations sociales, face aux questions plus passionnelles du cœur. Le contexte historique est transcendé par la valeur universelle de cet amour impossible, tout comme Le Temps de l’innocence est un film qui se bonifie avec le temps. A moins que ce ne soit notre regard sur l’existence, enrichi par vingt ans d’expérience de vie personnelle, qui y rajoute progressivement des niveaux de lecture complémentaires.