Vingt dieux
France, 2024
Titre original : –
Réalisatrice : Louise Courvoisier
Scénario : Louise Courvoisier, Théo Abadie et Marcia Romano
Acteurs : Clément Faveau, Maïwène Barthelemy, Luna Garret et Mathis Bernard
Distributeur : Pyramide Distribution
Genre : Drame d’adolescents
Durée : 1h32
Date de sortie : 11 décembre 2024
3/5
Un jeune paumé dans un univers rural, abandonné à lui-même, contraint pour exister de s’imposer dans une discipline qui n’est à première vue pas la sienne. Les deux films que l’on a vus plus ou moins au début et à la fin de notre couverture de l’Arras Film Festival se renvoient curieusement la balle. Comme si le skate dans Ollie de Antoine Besse et le fromage dans Vingt dieux étaient les vecteurs insoupçonnés d’un beau compte d’apprentissage. Certes, le premier long-métrage de Louise Courvoisier s’approprie les états d’âme de son protagoniste par des moyens filmiques différents, mais il arrive néanmoins à la même conclusion. A savoir que la richesse du chemin devra toujours l’emporter sur le but à atteindre, aussi illusoire soit-il.
L’idée fixe de Totone, ce jeune adulte à la tête de gamin, de résoudre tous ses problèmes matériels en produisant un fromage digne d’être primé ne peut être que condamnée à l’échec. Un minimum de recul et de connaissance du milieu fromager auraient dû permettre à ce petit ange aux habitudes de canaille d’arriver à la même conclusion. Sauf qu’il n’y aurait pas eu de film dans ce cas-là. Dès lors, on assiste donc doucement hébété aux différents stratagèmes – aucun d’entre eux particulièrement honnête, faut-il le préciser – qui sont censés amener au bonheur.
Un bonheur qui se situe finalement ailleurs : dans les relations à approfondir avec sa petite sœur et ses potes de toujours, dans les premiers balbutiements d’un amour qui n’a rien de romantique, dans l’ajustement rugueux entre ce que l’esprit mal dégourdi d’un enfant imagine comme faisable et ce que le monde réel l’autorise en fait d’accomplir. Tout un programme que la mise en scène accompagne avec son regard plein de bienveillance et sans emphase.
Synopsis : A peine âgé de dix-huit ans, Totone passe sa journée à traîner avec ses deux meilleurs potes et à faire le fou dans les fêtes de la région. Il ne s’intéresse ni au métier de son père fromager, ni à sa petite sœur. Quand toute la responsabilité familiale lui tombe soudainement dessus, il n’a pas d’autre choix que de brader le matériel professionnel de son père, puis de chercher un travail. Licencié au bout de quelques jours à peine en raison de son tempérament querelleur, Totone a alors ce qu’il considère comme une idée de génie : produire par ses propres moyens un Comté, qui gagnera le premier prix au concours local.
T’es con, t’es jeune
On ignore si Louise Courvoisier a voulu se laisser inspirer par le néoréalisme à l’italienne pour son premier long-métrage. Toujours est-il que dans Vingt dieux convergent différentes influences qui donnent un produit cinématographique final du plus bel effet. Du néoréalisme, on y trouve une façon sans fard d’évoquer cette enfance laissée à l’abandon, qui aurait pu sombrer dans la misère, mais qui réussit petit à petit à persister. Face à une absence criante des adultes – mieux vaut ne pas être parent pour espérer survivre à notre sélection personnelle de films à l’Arras Film Festival ! –, l’autarcie des enfants s’y met en place avec un pragmatisme bluffant. Finies les beuveries suivies de bagarres stériles, désormais Totone devra subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa sœur.
Pourtant, ce coup du destin, assené sèchement et sans pathos, ne fait pas comme par miracle du chenapan un saint. Le charme de Clément Faveau dans ce rôle plus ambigu qu’il ne paraît nous permet dès lors de prendre partie pour lui et son entreprise insensée, voire aussi un peu idiote. D’autant qu’en parallèle se trame une action annexe mi-sexuelle, mi-romantique entièrement à l’image de la vie à la campagne telle que Vingt dieux nous la présente.
Là où Totone adore frimer, en dépit de quelques pannes de virilité – un autre drôle de thème récurrent du festival –, sa nouvelle conquête, jouée sans le moindre glamour par Maïwène Barthelemy, fraîchement présélectionnée au César des révélations, a une conception plus terre à terre de la chose. Ce qui n’est pas pour déplaire à son gus faussement précoce, ni à nous, plus très habitués de voir sur grand écran une sexualité si naturellement fonctionnelle.
Ingénieux par nécessité
Le même pragmatisme est à l’œuvre lorsqu’il s’agit de transformer le crétinisme d’antan en or du futur. Grâce à la mise en scène subtile de Louise Courvoisier, on s’éprend corps et âme pour cette conquête par voie d’inconscience du monde des fromages. Rien ne la prédestinait à aboutir et – sans vouloir trop vous en dévoiler – ne vous attendez pas à un retournement final digne des contes édifiants venus d’Hollywood. L’enjeu du film se situe clairement ailleurs.
D’abord dans cette manière qui relève encore de l’enfance de s’enthousiasmer pour une chose, sans en mesurer nécessairement toutes les implications. Puis, justement, dans une prise de conscience salutaire, qui permet à Totone de comprendre, un jour à la fois, que la vie continue malgré et contre tout, que la place que l’on occupe au sein d’une société locale très renfermée sur elle-même peut quand même évoluer au fil du temps.
Néanmoins, toute la prouesse du propos de Vingt dieux réside dans sa capacité à fournir au public ce type de suggestions de réflexion, tout en laissant ses personnages entièrement libres de leurs paroles et de leurs actes. Ainsi, ce n’est pas parce que Totone a tenté pour la première fois de mener à bien un projet personnel qu’il finira meilleur artisan du Jura. Au contraire, il est même plus probable qu’il restera fidèle à sa philosophie de vie du moindre effort.
A l’image de la course de voitures sur laquelle se termine le film, où c’est le plus casse-cou, prêt à se donner en spectacle, qui gagne et non pas celui au parcours le plus sécurisé. Le rythme nullement stressé du récit paraît prêt à accepter cette option, en conformité parfaite avec le regard nullement intrusif, quoique pas artificiellement bucolique non plus, que la réalisatrice porte sur la campagne française et ses vestiges d’une innocence guère dupe des faits de la vie.
Conclusion
La campagne, les jeunes, la précarité matérielle qui pousse à agir d’une façon ou d’une autre : Louise Courvoisier n’a pas choisi le terrain de jeu thématique le plus aisé pour son premier long-métrage. Heureusement, elle s’en sort plus qu’honorablement avec Vingt dieux, une histoire de conquête du monde dont les échecs consécutifs nous apprennent infiniment plus sur ses personnages touchants que n’importe quelle défiance héroïque du destin n’aurait pu le faire. Car des héros, Totone et sa bande hétéroclite ne le sont pas du tout. A moins de considérer leur état d’esprit en décalage avec les exigences du monde matériel comme un atout à la valeur inestimable …