Leurs enfants après eux
France, 2024
Titre original : –
Réalisateurs : Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma
Scénario : Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma, d’après le roman de Nicolas Mathieu
Acteurs : Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami et Gilles Lellouche
Distributeur : Warner Bros. Discovery France
Genre : Drame d’adolescents
Durée : 2h21
Date de sortie : 4 décembre 2024
2,5/5
De quelle partie des années 1990 pourrait-on bien être nostalgique ? De notre jeunesse, peut-être, mais pas sûr, puisque l’on se sent quand même bien plus serein à l’heure actuelle que lors de nos errements divers et variés de la vingtaine. D’une certaine insouciance qui bordait parfois à la naïveté donc. Mais certainement pas d’un manichéisme primaire contre lequel les prises de conscience collectives de ce quart de siècle passé ont su faire front ensemble.
Il y a un peu de tout cela dans Leurs enfants après eux, l’adaptation du Prix Goncourt 2018, déjà passé et primé au dernier Festival de Venise et présenté en avant-première à l’Arras Film Festival. Cette fresque d’une adolescence aux forts accents tragiques n’hésite hélas pas trop d’alimenter les clichés les plus courants sur cette époque pas si lointaine. Elle s’y emploie suffisamment pour nous faire voir les grosses ficelles du récit de l’apprentissage laborieux de la vie, malgré quelques éléments à l’impact plus profond.
Le hic principal du film de Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma, c’est qu’il repose essentiellement sur un personnage à la passivité frustrante. Malgré les efforts honorables de Paul Kircher dans le rôle principal, celui-ci reste emmuré dans sa distance envers les autres et sa gêne de passer à l’action, sans doute représentatives de l’état d’esprit d’un jeune ordinaire des années ’90. Les plus anciens d’entre nous se souviendront d’une publicité de la banque postale à ce sujet.
Toutefois, en tant que force motrice d’un arc narratif plutôt épique de près de deux heures et demie, on aurait préféré avoir plus vigoureux comme soutien. Pourtant, ce n’est rien comparé aux traits extrêmement tendancieux avec lesquels la face sombre de la médaille est dépeinte. Dans le rôle ingrat de Hacine, Sayyid El Alami est fâcheusement réduit au cliché du beau ténébreux issu de l’immigration, prédestiné à tourner mal en devenant un caïd.
Synopsis : L’été 1992, le jeune Anthony s’adonne au farniente avec son cousin. Ensemble, ils vont à une plage isolée, afin d’y mater les filles supposément peu habillées. Finalement, ils n’y rencontrent que deux amies des plus respectables, dont Stéphanie qui les invite à une fête le soir même. Le seul moyen de s’y rendre, c’est d’emprunter en cachette la moto du père d’Anthony, un homme colérique et sévère. Une fois arrivé sur place, Anthony ne réussit guère ses manœuvres maladroites de séduction à l’égard de Stéphanie. Il attire par contre l’attention en provoquant Hacine, un jeune de la cité venu s’incruster à la fête. Au petit matin, au moment de partir, Anthony découvre avec horreur que la moto de son père a disparu.
Quatre étés, quatre ambiances
A aucun moment de la vie, on n’évolue plus vite qu’à l’adolescence. Tandis que l’enfance voit défiler à toute vitesse les transformations physiques, c’est entre douze et dix-huit ans que se profile le caractère de l’adulte en devenir. Si l’on a bien compris, c’est de cela que veut nous parler Leurs enfants après eux. De cette difficulté en apparence insurmontable de devoir devenir un autre, quelqu’un qui assume désormais seul ses actes en somme, alors que l’âme d’enfant, pas encore tout à fait disparue, aurait tant besoin d’être réconfortée et guidée. Tant pis pour Anthony alors, que ses parents ne lui servent aucunement de compas moral. Ce qui n’est pas du tout la faute de Ludivine Sagnier et de Gilles Lellouche, également producteur ici, qui brillent au contraire dans des rôles à fort risque de misérabilisme.
Néanmoins, Sagnier en mère incapable d’imposer son autorité à son fils et Lellouche en père insensible aux véritables préoccupations de sa progéniture fournissent une dimension tragique des plus précieuses dans le contexte d’un film qui, sans eux, aurait tendance à lorgner beaucoup trop du côté du mélodrame. Or, en parallèle de leurs trajectoires diamétralement opposées – la mère qui assume de plus en plus son indépendance envers son mari, alors que le père s’enfonce dans la spirale infernale de l’alcoolisme –, celle d’Anthony demeure tristement plate. Rien ne paraît lui réussir dans sa jeune vie. Ce qui n’a pas l’air de trop le déranger, puisqu’il accumule sans broncher les impasses d’une future vie sans ambition, voire sans le socle d’une vie de famille, à laquelle cèdent tôt ou tard ses compagnons de route.
Pour aller nulle part
Lui par contre, il se laisse porter au gré du vent, d’un lieu d’oisiveté à l’autre. On sent certes que ça bout quelque part à l’intérieur de lui-même, mais que cette révolte, plus instinctive que mûrement réfléchie, devra rester quasiment indétectable, vue de l’extérieur. Par exemple, Anthony n’aura jamais le cran de jouer au vrai truand, comme le fait un temps éphémère Hacine. Ni à partir dans des délires toxiques et violents comme le personnage très secondaire, interprété avec son intensité habituelle par Raphaël Quenard, décidément partout en ce moment. Non, ce protagoniste à la tronche de chien battu, il ne poursuit qu’un seul et unique but dans la vie : conquérir le cœur de Stéphanie.
Pour ce faire, il est prêt à tout, dans sa course insensée à l’humiliation, qui passe autant par le coup d’envoi d’une avalanche d’événements néfastes que par des avances jamais réellement retournées. Le temps qui passe lui permet finalement de se faire dépuceler. Mais du côté romantique, c’est son échec sentimental récurrent qui le définira jusqu’à la fin.
De quoi nous frustrer un peu plus avec chaque nouveau saut dans le temps de deux ans. Une frustration accrue encore par le fait que ses parents jouent un rôle de moins en moins important dans sa vie et que les jeunes de son âge participent à un élan collectif d’assagissement, qui leur fait tôt ou tard arrêter les bêtises d’avant. Rien de tout cela n’est à déceler chez Anthony, qui reste ennuyeusement égal à lui-même, c’est-à-dire borné et surtout incapable de se donner les moyens afin de réaliser ses modestes ambitions de cœur.
Conclusion
Peu importe que ce soit dans les années ’90 ou trente ans plus tard, l’adolescence n’est un cadeau pour personne. Néanmoins, nous en avons déjà vu bon nombre de traitements plus inspirés que cette adaptation du roman de Nicolas Mathieu entreprise par les frères Boukherma. Si Leurs enfants après eux réussit tant soit peu le volet adulte avec ces loques humaines plus ou moins fonctionnelles que Ludivine Sagnier et Gilles Lellouche incarnent avec brio, le côté jeunes montre plus périodiquement des faiblesses. Par conséquent, le sentiment doux-amer de la nostalgie n’y opère que partiellement. Aussi à cause d’une mise en scène pas toujours engagée dans une démarche nuancée, lorsqu’il s’agit de bien camper la duplicité des personnages dans leur ensemble.