Arras 2024 : L’Attachement

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L’Attachement

France, 2024
Titre original : –
Réalisatrice : Carine Tardieu
Scénario : Carine Tardieu, Raphaële Moussafir et Agnès Feuvre, d’après un roman de Alice Ferney
Acteurs : Valeria Bruni Tedeschi, Pio Marmaï, Vimala Pons et Raphaël Quenard
Distributeur : Diaphana Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h46
Date de sortie : 19 février 2025

3,5/5

En termes de drames familiaux, le fil est ténu entre notre appréciation à leur égard ou au contraire leur rejet catégorique. Difficile de trouver le ton juste, celui qui nous fait adhérer à ces tranches de vie, tout en aménageant des espaces de singularité qui vibrent à leur propre rythme. Découvert en avant-première à l’Arras Film Festival, L’Attachement fait partie de ces perles rares, en mesure de nous toucher profondément, tout en affirmant une personnalité filmique autonome. Carine Tardieu y conte avec un sens prodigieusement aigu des ellipses une histoire de voisinage à première vue banale, au cours de laquelle se révèle chez ses personnages l’humanité dans toutes ses contradictions.

La fragilité des liens et des sentiments y est sublimée par l’équilibre savant entre des tragédies de la vie familiale d’un côté, ainsi que de l’autre, des périodes creuses en apparence. Elles forgent pourtant un type de relation rarement célébré au cinéma, en France ou ailleurs : celui d’une solidarité amicale qui fonctionne à double sens.

Cette assurance dans la navigation entre les hauts et les bas de la première année de vie d’une jeune fille se retrouve également du côté de la direction d’acteurs. Car pour notre plus grand bonheur, Valeria Bruni Tedeschi abandonne ici son stéréotype perfectionné depuis des années de la femme névrosée et incapable de contempler autre chose que son mal-être personnel, au profit d’un portrait toujours au féminin, quoiqu’infiniment plus nuancé.

Le fait qu’elle ne tire pas la couverture de l’attention – à la fois la nôtre et celle de la mise en scène – exclusivement vers elle, qu’elle laisse respirer cette famille recomposée au gré des mois après la perte brutale de la mère, y est tout à son honneur. Cela ouvre le récit à des points de vue multiples, sans que pareille structure chorale n’entrave notre impression générale, enthousiasmée par un tel mélange à la fois fin et profond entre la tragédie et la comédie de la vie.

© 2024 Karé Productions / France 2 Cinéma / Umedia / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Sandra, une libraire d’une cinquantaine d’années farouchement indépendante, n’avait guère pensé que sa voisine Cécile reviendra sur sa proposition de garder son fils Eliott en cas de complications avec sa grossesse. Pourtant, un beau samedi matin, Cécile et son mari Alex doivent partir d’urgence à l’hôpital, puisque leur fille a décidé de venir au monde en avance. Contrainte d’adapter sa journée aux besoins du jeune garçon, la célibataire endurcie finit néanmoins par y prendre goût. D’autant plus qu’un événement triste tendra à renforcer les liens du voisinage.

© 2024 Karé Productions / France 2 Cinéma / Umedia / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Il aurait été facile de faire de L’Attachement un hommage appuyé à toutes les mères, biologiques ou bien improvisées. Et même si le cinquième long-métrage de Carine Tardieu regorge de prises en considération sincères de la force maternelle, à travers toutes les générations, le cœur de son sujet n’est guère celui-là. Ce qui n’empêche pas les esquisses joliment complémentaires des grand-mères d’apporter une touche supplémentaire de pluralité familiale. Avec d’un côté Catherine Mouchet en présence discrète et dépassée par les événements et Marie-Christine Barrault en génératrice de femmes indépendantes de l’autre. Elles gravitent autour d’un centre de force affective à variables multiples, dont tout le monde ou presque sort miraculeusement gagnant.

Tandis que l’âge en mois de la petite Lucille ponctue les chapitres du récit et qu’Eliott sert à plus d’une reprise de révélateur aux sentiments qui animent réellement les personnages adultes, ceux-ci s’y séparent et se regroupent selon un cahier de charges dramatiques des plus abstraits. Personne ici ne répond docilement aux attentes que les conventions du mélodrame filmique nous ont apprises depuis des décennies. Mais cet assemblage d’électrons libres ne se solde pas non plus par une intrigue aux revirements indigestes. Bien au contraire, puisque la richesse de chaque personnage – même le père biologique désinvolte qui est incarné par … Raphaël Quenard, encore et toujours – ouvre très grand le spectre des possibilités. Le tout saupoudré d’un formidable droit à l’erreur et à l’imperfection dont chacun use, sans pour autant en abuser.

© 2024 Karé Productions / France 2 Cinéma / Umedia / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Une fois le choc initial passé, avec toute la tristesse du monde marquée sur le visage de Pio Marmaï, L’Attachement ne s’évertue point à nous faire traverser les étapes successives du deuil. Astucieusement, la narration de Carine Tardieu permet aux obligations de la vie courante de prendre le dessus sur l’abattement et la dépression qui auraient légitimement pu gagner ce veuf malheureux. Sa reconstruction passe par bien des chemins de traverse, au fil d’une crise de sa vie affective que son entourage observe plus qu’il ne le soigne activement.

Ainsi, les femmes dans la vie d’Alex auraient presque tendance à tout pardonner à ce père de famille abandonné à lui-même, en quête de bouées de sauvetage là où il pense pouvoir en trouver une. A commencer par la pédiatre à laquelle Vimala Pons confère un esprit de lucidité et d’abnégation que l’on a malheureusement très peu la chance de croiser au cinéma.

Or, son arrivée dans le cercle familial n’en perturbe pas durablement la mécanique. Tout simplement parce que le récit opère d’emblée sur le ton de l’imprévu et de l’improvisation, à l’image du jazz manouche que le père tente de transmettre et à son fils, et à sa future femme. Et c’est peut-être de la sorte que la boucle est bouclée, que l’esprit d’indépendance de Sandra a pu faire des émules dans l’appartement d’en face, tout comme cette quiétude familiale, filmée avec une sincérité désarmante, lui a permis de sortir de sa bulle d’intellectuelle sans attaches. Pareil cheminement, tout en tâtonnement et en revirements doucement rocambolesques, a rarement été offert à Valeria Bruni Tedeschi. Un cadeau venu du ciel cinématographique que l’actrice accepte avec une retenue et une douceur conciliante que nous ne lui connaissions pas jusqu’à présent.

© 2024 Karé Productions / France 2 Cinéma / Umedia / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Même si vous n’êtes pas particulièrement férus d’enfants, L’Attachement pourrait quand même vous faire changer d’avis le temps d’une séance de cinéma. Carine Tardieu n’y fait pas semblant que la maternité ou la paternité soit un long fleuve tranquille. Ni que le bonheur romantique existe sous une seule forme clairement définie, à cueillir au prochain coin de la rue. Non, la réalisatrice y réussit quelque chose de sensiblement plus ingénieux : de nous faire partager sans le moindre pathos, mais avec beaucoup de cœur et de compréhension, la montagne russe émotionnelle que représente la première année de vie d’un enfant, déjà dans un cadre familial préservé et à plus forte raison dans ce labyrinthe de dysfonctionnements imaginé avec une sensibilité hors pair par Tardieu. Tout en permettant à Valeria Bruni Tedeschi de se glisser dans la peau d’une femme prête à quitter sans regret son microcosme à fort potentiel hystérique.

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