Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part
France, 2019
Titre original : –
Réalisateur : Arnaud Viard
Scénario : Arnaud Viard, Vincent Dietschy, Emmanuel Courcol & Thomas Lilti, d’après le livre de Anna Gavalda
Acteurs : Jean-Paul Rouve, Alice Taglioni, Benjamin Lavernhe, Camille Rowe
Distributeur : UGC Distribution
Genre : Drame familial
Durée : 1h29
Date de sortie : 22 janvier 2020
3/5
Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part : mais qu’est-ce que c’est que ce titre ?! Il a été repris du livre de Anna Gavalda, certes, mais il nous inspire néanmoins un fort sentiment d’indécision entre sa prétention manifeste et un fond mi-philosophique, mi-poétique. Nous ne sommes du reste pas les seuls à nous en offusquer, puisque le personnage interprété par Nicolas Vaude – un acteur qui cumule décidément les emplois ingrats pendant cet Arras Film Festival, après son rôle de père de patient inquisiteur dans Docteur ? de Tristan Séguéla – rouspète de même contre cette accroche peu commerciale en sa capacité d’éditeur parfaitement prétentieux, lui aussi. Le film qui se cache derrière cette façade discutable tente pourtant d’être au plus près de ses personnages, de leurs soucis existentiels équitablement repartis, auxquels il apporte des réponses pas dépourvues de subtilité. Le troisième long-métrage de Arnaud Viard, qui a donc résisté à la tentation de s’appeler Arnaud fait son 3e film, est une fresque familiale intimiste et plutôt sombre, ne serait-ce qu’à cause d’un revirement majeur qui survient au bout d’une heure environ. Le fait d’être scindé de la sorte en deux parties distinctes ne fait toutefois pas du tort au récit, puisque cette coupure tragique accentue encore le malaise de ceux qui restent. Désormais confrontés à leur deuil et surtout aux impasses dans leur vie personnelle, qui paraissent alors encore plus inextricables, ils gagnent paradoxalement en joie de vivre grâce à cette épreuve douloureuse. Décrite ainsi, cette histoire pourrait relever clairement du mélodrame générateur d’un flot ininterrompu de larmes. La sobriété de la narration et du jeu d’acteurs l’en préserve heureusement, même si ce n’est pas forcément le genre de film à regarder en plein cafard hivernal.
Synopsis : A la fin de l’été, toute la famille s’est réunie afin de célébrer les 70 ans d’Aurore. Il y a son fils aîné Jean-Pierre, devenu précocement le chef de famille après la mort de son père, qui jongle comme il le peut entre sa propre famille, la gestion des petites crises de vie de sa fratrie et les retrouvailles avec l’actrice Héléna, le grand amour de sa jeunesse. Puis sa fille Juliette, prof de français qui rêve encore de devenir écrivain et qui attend son premier enfant, ainsi que les deux plus jeunes, Margaux, l’artiste radicale de la famille qui ne vit que pour la photo, et Mathieu, discrètement amoureux d’une collègue de bureau.
Attendez-moi !
C’est la dure réalité du quotidien que Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part impose pas sans finesse au spectateur pendant sa première partie. Chacun des personnages y est d’ores et déjà fixé dans ses habitudes et ses petites frustrations qui empêchent les grandes ambitions de se réaliser. Jean-Pierre est tellement écartelé entre ses responsabilités qu’il n’est réellement présent nulle part. A moins que cette interprétation du personnage soit faussée par notre regard rétrospectif, son engagement sans compter ni ses heures, ni son argent ayant malgré tout quelque chose d’héroïque. Autant à l’aise dans le registre comique que dans des rôles plus sérieux, Jean-Paul Rouve confère en tout cas une tristesse diffuse à ce père sollicité de toutes parts, pleinement conscient de ses limites et pourtant incapable d’appeler à l’aide avec perspicacité. C’est que son entourage est encore moins bien loti que lui, affectivement parlant. Ses sœurs et son frère cadet se battent vaillamment contre un certain conformisme, là où l’aîné semble avoir définitivement fait une croix sur ses aspirations de comédien débutant. Les uns comme l’autre pataugent cependant dans une morosité ambiante, contre laquelle aucun remède constructif n’est susceptible d’agir. On pourrait citer toutes sortes de raisons pour ces parcours accidentés à de multiples reprises – sociales, personnelles ou bien professionnelles – , sauf que le scénario se garde bien de pareils raccourcis paresseux. Il préfère construire un microcosme familial qui paraît fonctionner malgré cette accumulation de contretemps, qui sont, admettons-le, de nature mélodramatique, mais qui prennent plutôt un aspect de galères collectives ici, rendant le noyau des proches plus fort.
Partir le cœur plein de joie
Jusqu’à cet événement qui met tout en cause. Si vous savez lire entre les lignes ou si vous disposez d’une imagination pessimiste, vous aurez peut-être compris de quoi il s’agit. Sinon, la façon très anodine par laquelle est amenée la séquence cruciale fera certainement son effet, aussi parce que la mise en scène y laisse librement s’opérer le choc entre le cadre anonyme – une chambre d’hôtel, cet endroit si familier des vagabonds festivaliers – et le drame personnel. Dès lors, c’est la reconstruction de la famille qui importe, tout comme la prise de conscience que la vie est précieuse et que le temps presse pour éviter de le perdre. Au lieu de basculer maladroitement dans le conte volontariste, le film ajoute quelques touches cocasses au travail de deuil terne de la famille. Cela peut prendre la forme d’un médecin qui communique béatement le taux de spermatozoïdes à son patient à la libido inquiète – Eriq Ebouaney qu’on n’a pas vu au cinéma depuis un moment – ou d’un bachelier émotif qui sait transmettre sa passion de la poésie, avant de devenir une bouée de sauvetage insoupçonnée – Quentin Dolmaire qu’on aimerait y voir plus souvent. Quelles que soient ces digressions, elles s’inscrivent sans faille dans une démarche étonnamment sobre de la célébration de la solidarité familiale. Sur cette dernière, Aurore Clément veille avec une dignité remarquable, de nos jours en grand-mère qui avait tant besoin de son fils pour gérer les affaires de son clan aux tempéraments disparates et sur des photos prises par Dean Tavoularis et par conséquent a priori datant de l’époque de la plantation française dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.
Conclusion
Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part n’est pas un film sur lequel il est facile d’écrire, sans révéler une partie essentielle de son intrigue. Nous ne sommes même pas tout à fait sûrs que ce soit un film facile à aimer, voire que le dessein du propos de Arnaud Viard se situe de ce côté-là en termes de séduction du public. Par contre, c’est une œuvre qui sait parler de la dépression sans nous rendre dépressifs, grâce à son lien étroit avec une notion très concrète de la vie, qui doit continuer coûte que coûte.