Anna Karenine
Angleterre : 2012
Titre original : Anna Karenina
Réalisateur : Joe Wright
Scénario : Tom Stoppard d’après Léon Tolstoï
Acteurs : Keira Knightley, Jude Law, Aaron Taylor-Johnson
Distribution : Universal Pictures International France
Durée : 2h11
Genre : Drame
Date de sortie : 05 décembre 2012
Globale : [rating:4][five-star-rating]
Un parti pris totalement anti tolstoïen qui finit par rendre à Tolstoï tout le panache de son génial roman, telle est la prouesse réalisée par Joe Wright dans cette nouvelle adaptation des aventures amoureuses d’Anna Karénine. La distribution y est par ailleurs d’une belle homogénéité, « détail » sur lequel de nombreuses précédentes adaptations avaient fait l’impasse.
Synopsis: Anna quitte Saint-Pétersbourg, en y laissant mari et fils, pour réconcilier son frère Stiva et son épouse Dolly après un adultère. Sur le quai de la gare, elle fait la connaissance du Comte Vronski. C’est le coup de foudre suivi d’une passion qui mènera Anna vers une fuite improbable, son époux arcbouté sur des principes ne lui laissant comme seule échappatoire que de rentrer dans le rang ou de disparaître.
Pari gonflé, pari gagné
Les aventures de celle que d’aucuns surnomment l’Emma Bovary russe (hérésie absolue, Tolstoï n’ayant jamais affiché le moindre cynisme envers son héroïne à l’inverse de Flaubert avec la sienne) sont de celles qui se prêtent de manière pléonastique à l’adaptation cinématographique. Celles d’ « Anna Karénine » qui, bien qu’inférieures à celles des « Misérables », dépassent la vingtaine. L’histoire du cinéma aura surtout retenu les versions avec Garbo (1927 et 1935), Vivien Leigh (en 1935 par Julien Duvivier), Tatiana Samoïlova (1967) et Sophie Marceau (1998). Quatre comédiennes qui, à l’époque où elles endossèrent les somptueuses toilettes d’Anna telles que les décrit minutieusement Tolstoï dans son roman, étaient déjà des stars qui effacèrent le personnage romanesque. La construction très « scénarisée » du roman fut également un écueil autant que son intouchabilité, les cinéastes ayant opté pour une adaptation plutôt linéaire, à l’exception de celui de Bernard Rose qui opta comme point de vue celui du personnage de Levine, double romanesque de Tolstoï. Joe Wright, en s’emparant du matériau littéraire, signe une adaptation audacieuse dont la mise en scène mérite pleinement son sens si souvent galvaudé.
Un spectacle permanent
Tolstoï, dont Tchekhov fut le souffre-douleur, détestait le théâtre. Le parti pris que propose pourtant Wright consiste à présenter son adaptation comme une pièce de théâtre, ainsi que le suggère clairement la somptueuse affiche du film. Un contresens absolu que le cinéaste assume et surtout parvient à retourner contre les gardiens du temple tolstoïen. Le cadre de la scène théâtrale, quasi omniprésent, parvient à se faire oublier, et ce même pour les épisodes les plus improbables. On ne citera pour exemple que la magistrale course de chevaux, moment clé du roman car Anna s’y trahit publiquement, et qui, à l’instar de tout le film, fait de nous les spectateurs privilégiés de ce drame, pour ne pas dire les voyeurs.
La caméra de Wright, virtuose, aérienne, accomplit de véritables prouesses, chorégraphiant les gestes les plus anodins, entraînant les personnages dans un tourbillon vertigineux. Tout n’est ici que spectacle, chaque protagoniste rassemblé par cette unité de lieu se retrouvant de facto spectateur de l’intégralité de l’histoire, procédé qui accentue l’isolement du personnage éponyme, élément essentiel des intentions de Tolstoï. Anna, marionnette de son créateur, est ici le fruit d’une manipulation par le prisme de la théâtralisation de ses aventures. La magnificence des décors, des costumes et le remarquable travail sur la musique parachèvent ce parti pris.
Constituant souvent l’acmé de la carrière des comédiennes ayant incarné le rôle-titre, le personnage de Tolstoï en a souvent perdu de son authenticité brute. De fait, le couple Anna/Vronski s’est-il souvent trouvé totalement dépourvu de crédibilité. L’équilibre dans cette nouvelle adaptation s’avère un des atouts majeurs de sa réussite. Keira Knightley et Aaron Taylor-Johnson, tous deux excellents, forment un très beau couple de cinéma sans que la presque trop parfaite beauté de Jude Law dans le rôle de Karénine ne leur fasse ombrage. On regrettera juste que Levine, personnage essentiel de la ligne contrapunctique du couple Anna/Vronski, soit devenu un sympathique benêt, tellement loin du double de Tolstoï qu’il incarne dans le roman. Un bémol qui n’en ternit toutefois pas le panache de cette adaptation réussie.
Résumé
Énième adaptation du chef d’œuvre de Tolstoï qui réussit le pari de restituer les étapes essentielles du roman sans le dénaturer et ce malgré un parti pris particulièrement audacieux. Le couple principal fonctionne à merveille. Un spectacle d’amour à mort plastiquement irréprochable.
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