La Roche-sur-Yon 2018 : Animal (Armando Bo)

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Animal

Argentine, Espagne, 2018
Titre original : Animal
Réalisateur : Armando Bo
Scénario : Armando Bo & Nicolas Giacobone
Acteurs : Guillermo Francella, Carla Peterson, Federico Salles, Mercedes De Santis
Distribution : –
Durée : 1h52
Genre : Drame
Date de sortie : –

Note : 2,5/5

Le grand écart entre une prémisse aux enjeux essentiels et son traitement tape-à-l’œil ne réussit pas toujours à ce film argentin, présenté en compétition au Festival de La Roche-sur-Yon. Animal, c’est en quelque sorte ce que d’abord le personnage principal, puis son entourage, devient quand la seule issue à une impasse vitale est le retour à une forme de barbarie, rompant complètement avec le semblant de civilisation et de foi en un système dysfonctionnel qui l’ont précédée. Cette perte de repères est accompagnée malheureusement par une mise en scène surchargée, qui, au lieu de laisser se développer l’intrigue par nature riche en revirements, force le trait en insistant là où le désarroi et la mise à nu affective du protagoniste auraient amplement suffi à nous impressionner. Le réalisateur Armando Bo orchestre certes avec application l’engrenage qui mènera le malade en attente de don d’organes à sa perte. Mais il le fait avec une telle frénésie névrotique, que le recul ironique – toujours une option dans ce genre d’histoire sur la paranoïa au sein d’une bourgeoisie en apparence conformiste – n’a point le temps de s’y aménager sa petite place de contrepoids dramatique. L’urgence de l’homme au seuil de la mort est donc la nôtre, alors que la subversion des conventions sociales et morales aurait pu être traitée d’une manière plus subtile dans ce film, qui ne tient pas entièrement ses promesses.

Synopsis : Deux ans après un grave malaise, Antonio Decoud attend toujours une greffe de rein qui lui éviterait de dépendre des aléas de la dialyse. Par miracle, son fils Tomas serait compatible avec lui, mais il refuse in extremis le don. Las d’attendre son tour sur une liste d’attente immuable, Antonio décide de chercher secrètement la solution sur le marché noir. Il entre en contact avec Elias, un jeune chômeur qui serait prêt au sacrifice de son rein, en échange d’une maison pour lui et sa copine enceinte. Après la confirmation de la faisabilité médicale, tout paraît prêt pour l’intervention, sauf que le couple ne tarde pas à faire des demandes de plus en plus extravagantes à leur bienfaiteur aux abois.

Un royaume pour un rein

Toute sa vie, Antonio a fait ce qu’il fallait : il est un père et mari aimant, il tire un certain orgueil du fait d’avoir arrêté de fumer, même si ça fait déjà plus de trois mille jours, et il œuvre vaillamment à sa carrière au sein d’une entreprise de traitement de viande. C’est un homme responsable et consciencieux, en somme, un bureaucrate du quotidien à qui l’indication pointilleuse à l’écran du temps écoulé depuis ses soucis de santé en jours plutôt qu’en années ne serait pas complètement étrangère. Or, la façade de son bonheur conjugal et familial va s’écrouler comme un château de cartes. Pas avec fracas, comme aurait pu le laisser croire son corps écroulé sans vie au bord de l’océan, mais par petites touches insidieuses, autant d’indicateurs de l’hypocrisie du statu quo que de l’inquiétude déraisonnable qui s’empare du protagoniste. Le retournement irrévocable du verre, à moitié plein tant que l’avenir lui souriait et désormais à moitié vide, puisqu’il a dû se rendre compte de la fragilité de sa propre vie, le conduira à toutes sortes de prises de décision irréfléchies. En même temps, le rythme effréné avec lequel il cherche une solution à son dilemme de santé et que la mise en scène traduit avec un peu trop d’empressement en termes filmiques, il se l’impose lui-même, convaincu de sa mort imminente s’il ne prend pas enfin son destin en main. Bref, tous les ingrédients étaient réunis pour en faire un conte moral austère et cruel, proche de l’univers de Michael Haneke par exemple.

On n’a pas toujours ce qu’on veut

Cela sent très tôt l’imposture technique dans Animal, qui s’ouvre sur un plan séquence au cours duquel s’opère la présentation de la famille et des circonstances de vie du personnage principal d’une manière assez forcée. Comme ce sera le cas encore plus tard dans le film, la caméra y bouge dans tous les sens, sans pour autant évoquer autre chose qu’une perte de repères généralisée. Ainsi, notre perception perd d’emblée pied, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, à condition de la mettre réellement au service du récit. Ce que la mise en scène peine à faire ici, alors que l’histoire en elle-même nous paraît assez forte pour se passer de pareille surenchère formelle. Le cauchemar d’un honnête homme, obligé de commettre le pire pour sauver sa propre peau, devient alors un exercice de style, pas non plus outrancièrement prétentieux, quoique trop encombré par son bagage visuel et son montage fiévreux pour mettre l’accent sur l’absurdité à l’état pur qui est à l’origine de cette dégringolade existentielle. Hélas, l’excès a eu le dernier mot ici, ayant pour résultat un film qui aurait pu exprimer plus sobrement la gestion calamiteuse d’une urgence vitale, peut-être plus fantasmée qu’avérée.

Conclusion

Voici donc la première légère déception dans notre emploi du temps festivalier. Animal est un film plein de potentiel, en humour noir, voire en méchanceté, qui a la fâcheuse tendance à dilapider ce capital dramatique dans un ton exagérément survolté. En dépit des yeux béants qui ne comprennent pas ce qui lui arrive de Guillermo Francella, assez attachant dans le rôle d’un homme qui ne pensait pas avoir raté à ce point sa vie, le deuxième long-métrage de Armando Bo, après Ultimo Elvis sorti en France en janvier 2013, nous laisse sur notre faim en termes de démontage malicieux des apparences de la bourgeoisie argentine.

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