On aurait tendance à l’oublier tant ses films américains ont marqué les mémoires, mais Ang Lee a commencé sa carrière avec deux films sortis en France au début des années 90, qui avaient d’ailleurs rencontré un joli petit succès d’estime avant de retomber dans l’oubli, tandis que les films Hollywoodiens du cinéaste d’origine taïwanaise (entre autres Chevauchée avec le diable, Brokeback Mountain ou L’odyssée de Pi) prenaient l’ascendant sur toutes les mémoires.
Pourtant, Ang Lee semblait déjà à cette époque avoir établi, avec Garçon d’honneur (1993) et Salé Sucré (1994), toutes les bases de son cinéma à venir ; aujourd’hui, grâce à Carlotta Films, le spectateur va pouvoir (re)découvrir ces deux films essentiels…
Garçon d’honneur
Taïwan, États-Unis : 1993
Titre original : Xi yan
Réalisateur : Ang Lee
Scénario : Ang Lee, Neil Peng, James Schamus
Acteurs : Winston Chao, May Chin, Ya-Lei Kuei
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h46
Genre : Comédie, Drame
Date de sortie cinéma : 6 octobre 1993
Date de sortie Blu-ray : 25 novembre 2015
Taïwanais naturalisé américain, Wei-Tong habite à New York avec son compagnon Simon. Ses parents, restés en Asie, ignorent son homosexualité et font tout pour lui trouver une femme. Simon a alors une idée : que Wei-Tong épouse Wei-Wei, sa locataire chinoise en quête d’une carte verte. C’est alors que les parents de Wei-Tong débarquent à New York pour le mariage…
Salé sucré
Taïwan, États-Unis : 1994
Titre original : Yin shi nan nu
Réalisateur : Ang Lee
Scénario : Ang Lee, James Schamus, Hui-Ling Wang
Acteurs : Sihung Lung, Yu-Wen Wang, Chien-Lien Wu
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 2h04
Genre : Comédie, Drame
Date de sortie cinéma : 5 octobre 1994
Date de sortie Blu-ray : 25 novembre 2015
M. Chu est le plus grand chef cuisinier de Taipei. Veuf depuis seize ans, il élève seul ses trois filles : Jen, professeur de chimie à la religiosité exacerbée, Kien, séduisante businesswoman qui rêve de prendre son indépendance, et Ning, jeune étudiante qui travaille dans un fast-food. La vue de la famille Chu est réglée par ces rituels immuables que sont les repas, préparés avec une minutie extrême par le père. Renfermé et peu loquace, la cuisine est pour lui la seule façon de communiquer…
Poids des conventions sociales ou de la tradition, relations parents / enfants, émancipation, acceptation de la différence – Ang Lee avait choisi d’aborder de front ces thèmes forts, comme il était en vogue de le faire dans les années 90 dans bien des pays occidentaux. A Taïwan bien sûr, la donne est légèrement différente, et peu de films abordent de front la question de l’homosexualité comme Garçon d’honneur ou l’émancipation féminine à la façon de Salé, sucré ; afin de représenter le poids castrateur de la tradition tout en lui donnant un visage humain, chaleureux et aimant, le cinéaste a choisi l’excellent Sihung Lung, figure paternelle des plus attachantes, présent dans les deux films.
Respectivement sortis sur les écrans en 1993 et 1994, Garçon d’honneur et Salé Sucré sont donc deux comédies de mœurs absolument charmantes, pleines d’un esprit et d’une fraicheur qui rappellent forcément les films indépendants US de l’époque (Atom Egoyan, Hal Hartley, Spike Lee…). Quelque part entre le « cool » affiché des productions indé et le côté « intime » d’un Nanni Moretti, Ang Lee dresse des portraits doux-amers de ses contemporains, auxquels vient toujours s’ajouter un petit côté « vaudeville », que l’on retrouve dans les deux films, qui enchaînent divers quiproquos tous plus cocasses les uns que les autres.
Mais comme chez les modèles ricains, sous la jovialité de façade se cache le mal-être, et une vraie distance vis à vis du modèle familial. Qu’il s’agisse du fils expatrié de Garçon d’honneur ou des trois jeunes filles de Salé sucré, un fossé insurmontable semble séparer les jeunes de leurs aînés. Heureusement, avec de l’amour, une bonne dose d’humour décalé et surtout de bons repas (qui tournent parfois à la catastrophe), tout s’arrangera dans ces deux très jolis films s’imposant comme un exemple inattendu de cinéma sentimental délicat et souvent amusant, dont on pourra cela dit regretter le classicisme forcené et quelques baisses de rythme.
Les Blu-ray
[4,5/5]
En attendant décembre et sa sortie très attendue de Body double, Carlotta Films nous invite donc à redécouvrir Garçon d’honneur et Salé sucré sur support Blu-ray. Le bond qualitatif par rapport aux DVD sortis il y a une dizaine d’années est clair et net, le boulot de restauration est indéniable, le grain argentique est préservé et le piqué et les couleurs prennent un coup de fouet, dans les limites de la photographie des films indépendants de l’époque évidemment. Côté son, l’éditeur nous propose deux pistes sonores en DTS-HD Master Audio 2.0 d’origine, se concentrant essentiellement sur la restitution des dialogues.
Dans la section suppléments, Carlotta nous offre sur les deux galettes une série d’entretiens avec Ang Lee et James Schamus, son producteur et occasionnellement co-scénariste, qui reviennent d’abord ensemble sur leur rencontre et leur collaboration, et aborderont indépendamment leur ressenti sur les deux films. A leurs passionnants propos, on pourra ajouter un entretien avec Mitchell Lichtenstein, « l’américain » de Garçon d’honneur et un intéressant making of sur la galette de Salé sucré.