Amour
France, Allemagne, Autriche : 201
Réalisateur : Michael Haneke
Scénario : Scénario
Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert
Distribution : Les Films du Losange
Durée : 2h07
Genre : Drame
Date de sortie : 24/10/2012
Globale : [rating:4,5][five-star-rating]
Il y a encore 6 mois, ils étaient 6 réalisateurs à faire partie du club des « double-palmés »du Festival de Cannes : Francis Ford Coppola, Bille August, Shohei Imamura, Emir Kusturica, Jean-Pierre et Luc Dardenne. Le 26 mai 2012 a vu l’arrivée d’un 7ème membre, Michael Haneke. Une récompense méritée pour le réalisateur autrichien qui aura attendu bien (trop?) longtemps pour gravir enfin la plus haute marche du podium avec Le Ruban blanc, mais qui, finalement, n’est que le 2ème, après Bille August, à obtenir la Palme d’Or pour 2 films consécutifs.
Synopsis : Georges et Anne sont octogénaires, ce sont des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Leur fille, également musicienne, vit à l’étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale. Lorsqu’elle sort de l’hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d’un côté. L’amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve.
L’amour le plus absolu
Connaissant le goût prononcé de Michael Haneke pour filmer la violence sans jamais la montrer, on pouvait se demander quel genre de copie ce roi du hors-champ allait nous rendre sur un film sobrement intitulé Amour. Eh bien, c’est l’amour le plus absolu qu’il a choisi de nous décrire, l’amour des moments les plus difficiles, l’amour d’un homme de 80 ans pour sa femme, une femme dont il sait qu’elle va rencontrer la mort dans peu de temps et à laquelle il va consacrer ce qui lui reste de force pour lui rendre cette période la moins difficile possible. Cette fin inéluctable, Haneke nous la dévoile dès le début du film : la porte d’un appartement bourgeois est forcée par la police, on découvre le cadavre d’une femme sur un lit, l’odeur doit être pestilentielle car policiers et pompiers se bouchent le nez. Dans le flash-back qui suit, le spectateur rencontre un couple qui, après s’être rendu à un concert au Théâtre des Champs-Elysées, rejoint son appartement. Certes, ils sont âgés, mais ils semblent encore plutôt alertes et leur passion commune pour la musique, dont on devine qu’elle a cimenté leur couple et accompagné toute leur existence, est, de toute évidence, toujours très vive. Lui, c’est Georges, elle, c’est Anne, elle a été professeur de piano et c’est le concert d’un de ses anciens élèves qu’ils sont allés voir. Cet appartement que le couple rejoint, le film, dorénavant, ne le quittera plus. C’est là qu’Anne va avoir sa première absence, une absence qui annonce une paralysie du côté droit et, après une nouvelle attaque, c’est la possibilité de s’exprimer par la parole qui devient de plus en plus difficile. C’est le comportement de Georges face cette détérioration progressive de l’état de sa femme qui, plus que tout, justifie pour Haneke le mot Amour : Georges veut tout faire pour éviter à Anne la fin qu’elle redoute dans un hôpital et il va lui consacrer tout son temps, toutes ses forces, tâche ingrate et difficile pour le vieil homme qu’il est. Certes, il lui arrive de craquer et c’est une gifle qu’il lui inflige lorsqu’elle refuse de boire. Quant à son dernier geste d’amour, il sera encore plus brutal mais ô combien rempli de compassion.
Un brin de perversité
Michael Haneke a dû trouver que le fait de laisser le spectateur seul avec ce couple serait peut-être un peu traumatisant. C’est sans doute pourquoi il a introduit quelques « plages de récréation », telles la visite inopinée d’un pigeon dans l’appartement, quelques scènes oniriques un peu déconcertantes ou les courtes visites d’Eva, leur fille, qui vit à l’étranger avec Geoff, son mari. Un mari qui la trompe : tous les couples ne sont pas fusionnels, loin de là ! Une autre visite s’avère également très intéressante, celle d’Alexandre, l’ancien élève d’Anne qu’ils étaient allés voir en concert. Très intéressante car elle permet à Haneke de satisfaire les spectateurs qui lui reprochent sans cesse une certaine perversité. En effet, il est de notoriété publique que la captation cinématographique de la prestation d’un comédien interprétant le rôle d’un grand instrumentiste pose toujours un problème aux réalisateurs : que faire au moment où le comédien se retrouve face à « son » piano ou à « sa » guitare ? Prendre une vue de l’ensemble du comédien, tête, corps et main ? On s’apercevra vite de l’absence de concordance entre ce qu’on voit et ce qu’on entend. Mise à part l’obligation faite au comédien de suivre une formation d’instrumentiste lui permettant d’être à peu près crédible à ce moment là, il ne reste que des pirouettes : s’arranger pour qu’on ne voit jamais simultanément la tête et les mains du personnage, soit en alternant les plans sur la tête du comédien et ceux sur les mains d’un véritable musicien, soit en cachant les mains tout au long de la prestation ? C’est cette toute dernière solution qu’a choisi Haneke lorsqu’il filme Alexandre interprétant une bagatelle de Beethoven sur le piano du salon lors de sa visite à Anne et à Georges. La perversité d’Haneke ? Figurez vous que c’est Alexandre Tharaud, un grand pianiste de concert, qui joue le rôle d’Alexandre et tout autre réalisateur se serait régalé à exploiter à l’image ses talents de musicien ! Haneke, fidèle à ses principes, préfère suggérer plutôt que montrer !
La recherche de la perfection
Perfectionniste, Haneke l’est, c’est évident. C’est ainsi qu’il a tenu à ce que l’appartement de Georges et d’Anne ressemble le plus possible à l’appartement de ses parents, à Vienne. Cela lui permettait de mieux appréhender les distances que ce soit pour les déplacements des comédiens ou pour ceux de la caméra. Avec son Directeur de la photographie Darius Khondji, avec qui il avait déjà tourné Funny Games U.S. et qui a également travaillé sur les 2 derniers films de Woody Allen, il a utilisé à la perfection l’espace restreint de cet appartement en alternant les plans fixes et de courts travellings dans les couloirs, les conversations entre Georges et Anne se partageant entre des champs contrechamps et des plans fixes réunissant les 2 personnages. Autre choix important, celui des comédiens. Concernant l’interprète de Georges, c’était très simple : soit Jean-Louis Trintignant acceptait de revenir sur sa décision prise il y a près de 10 ans d’abandonner le cinéma, soit Haneke abandonnait purement et simplement le projet. L’estime qu’il porte à Haneke a heureusement réussi à faire fléchir Trintignant. Quant au rôle d’Anne, il a finalement retenu Emmanuelle Riva dont l’interprétation dans Hiroshima, mon amour l’avait marqué. Et Isabelle Huppert, qui joue Eva, la fille d’Anne et de Georges, un rôle secondaire mais quand même important ? C’est la 3ème fois qu’on la retrouve dans un film de Haneke et elle montre, a contrario de In another country, quelle bonne comédienne elle peut être lorsqu’elle est bien dirigée. Bilan : une interprétation magistrale, même si, parfois, le jeu de Trintignant apparaît un brin théâtral. Par ailleurs, on ne peut pas ne pas parler de l’utilisation que fait Haneke de la musique. En effet, a priori, tout concourait dans ce film à une utilisation massive de la musique, qui plus est sous forme de flonflons plus ou moins sirupeux : ce thème de la mort qui approche, les sentiments puissants qui lient Anne et Georges, leur passion commune pour la musique. Avec Haneke, et c’est heureux, rien de tout cela : à peine entend-on des bribes d’impromptus de Schubert, quelques mesures d’une bagatelle de Beethoven et une petite dose d’une transcription pour piano d’une œuvre de Bach. Après tout, un grand film a-t-il absolument besoin d’une avalanche de musique ?
Résumé
Il est évident qu’un film qui raconte l’histoire d’un couple dont l’un des membres est en train de vivre, dans la souffrance, ses derniers moments, ne peut pas être d’une grande légèreté. Toutefois, même celles et ceux qui n’apprécient pas toujours la marque de Haneke ne pourront qu’être touchés par la puissance émotionnelle dégagée par Amour, par la tendresse des gestes de Georges / Jean-Louis Trintignant envers Anne / Emmanuelle Riva, par les sentiments profonds qui se dégagent sans aucun pathos . Quant aux autres et, en particulier, celles et ceux qui pensent que Haneke est le plus grand réalisateur vivant, ils rangeront Amour très haut dans la hiérarchie de ses films, aux côtés des premiers, réalisés en Autriche, qui, pour beaucoup, restent toujours ses meilleurs. Un grand film en tout cas.
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