La Pampa
France, 2024
Titre original : –
Réalisateur : Antoine Chevrollier
Scénario : Antoine Chevrollier, Bérénice Bocquillon et Faïza Guène
Acteurs : Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard et Florence Janas
Distributeur : Tandem Films
Genre : Drame d’adolescents
Durée : 1h43
Date de sortie : 5 février 2025
3/5
En fonction de votre degré d’assiduité dans les salles obscures et devant les services de vidéo en ligne, votre parcours personnel de découverte du talent indéniable de l’acteur Sayyid El Alami va forcément varier. Peut-être l’avez-vous remarqué une première fois à partir de mai 2022 dans la mini-série « Oussekine » sur Disney+. Ou bien, votre introduction à ce jeune espoir du cinéma français aura-t-elle lieu d’ici quelques jours à peine à travers son rôle surchargé en stéréotypes dans Leurs enfants après eux des frères Boukherma. On vous souhaite que le hasard de vos visionnages sur grand écran ou en ligne vous laisse encore un peu dans un état de douce ignorance à son sujet, afin de tomber sur le film qui devrait le révéler à un public plus large : La Pampa de Antoine Chevrollier.
Présenté d’abord à la Semaine de la Critique cannoise, avant de faire la tournée des festivals d’automne, dont le Festival d’Albi, ce premier film est porté à bout de bras par le jeune comédien, qui y traverse avec une intensité rarement prise en défaut tout ce qui peut tourner mal dans l’âge difficile de l’adolescence. Son personnage, Willy, est celui qui encaisse sans cesse. Celui à qui son entourage ne laisse guère le temps de faire son deuil. En même temps, le seul qui sortira grandi de cette intrigue un peu lente au démarrage, mais qui vous ne lâchera plus par la suite.
Sa passivité et son avancement en tâtonnant n’y sont pas considérés comme une faiblesse, mais plutôt comme un pôle de stabilité, alors que tout dans son entourage est en train de se défaire. Bref, c’est un tour de force remarquable, intense en émotions, quoique juste ce qu’il fallait pour un récit pas avare en retournements tragiques.
Synopsis : Willy et Jojo sont des amis d’enfance inséparables. Leur passion commune est le motocross dans lequel ils espèrent exceller suffisamment pour pouvoir partir de leur province natale. Le premier comme mécanicien, le deuxième comme pilote, ils font la fierté du père de Jojo et de leur entraîneur Teddy, à l’approche des dernières épreuves du championnat de France. A la maison, la vie de Willy est moins joyeuse, puisqu’il ne s’est toujours pas remis de la mort de son père, tandis que sa mère a d’ores et déjà tourné la page avec un autre homme, Étienne. Pas facile de se préparer sereinement au bac dans ces conditions, d’autant moins que Willy apprend un secret sur Jojo, que son meilleur ami lui avait caché jusque là.
Irremplaçable
Il existe trois temps de narration distincts dans La Pampa. Le premier, sans doute le moins réussi, nous permet de faire connaissance des personnages et de leur milieu provincial, sans autre point marquant que les compétitions de motocross. C’est grâce à ces dernières que le duo d’amis espère s’en sortir, de faire abstraction d’un quotidien ponctué par des missions de soutien aux métiers de leurs parents respectifs.
Leur rêve partagé n’est peut-être pas grand-chose. Il leur permet cependant de se distinguer des trois autres membres de leur bande de potes, qui ne pensent qu’à l’oisiveté, aux vannes et à une sexualité jugée plus ou moins ouvertement inaccessible aux jeunes hommes de leur âge et de leur condition sociale. Contrairement aux fantasmes puérils que leur inspire Marina, de quelques années leur aînée, qui étudie les Beaux-arts à Angers et à qui les ragots locaux ont fait une réputation peu recommandable.
Ce statu quo lénifiant subit un premier coup de fouet salutaire, par le biais d’une révélation qui n’est pas vraiment celle à laquelle on aurait pu s’attendre. Toujours est-il que désormais, les attitudes se décoincent et, après une brève parenthèse de gêne entre les deux amis, leur complicité redevient presque comme avant. En termes d’évolution du traitement des thématiques LGBT+, le film de Antoine Chevrollier est alors tout à fait représentatif d’une inclusion malgré tout plus grande, ainsi que d’une façon d’envisager l’orientation sexuelle des uns et des autres presque comme une source d’amusement bon enfant, mais en tout cas pas tel une raison qui justifierait l’ostracisme sans appel des personnes concernées.
Hélas, notre dernière phrase ne s’applique qu’à l’amitié inébranlable entre Willy et Jojo, le joug de l’homophobie sous sa forme la plus froide et cruelle ne tardant pas à s’abattre plus ou moins directement sur eux.
La fin d’un monde
Le récit de La Pampa aurait très bien pu en rester là, dans cette exclusion catégorique et ses dommages collatéraux : la lâcheté des uns, l’impuissance des autres et surtout la chape de plomb du conformisme généralisé, qui recouvre sans tarder les espaces d’échange virtuels et réels. Pourtant, pour Willy et les autres, la vie doit continuer, qu’ils le veuillent ou non. C’est alors que s’enclenche le troisième temps du film. Nécessairement plus grave, il est toutefois celui qui permet au protagoniste de grandir le plus.
Faire face à ses démons et ses difficultés d’intégration – la disparition de ses proches en premier, sa réussite scolaire en deuxième –, devient dès lors une question de survie pour celui qui n’était juste là qu’un bon gars au comportement turbulent. Désormais en panne totale d’exemples à suivre, Willy devra avoir à cœur de se réinventer, voire de s’inventer lui-même en toute autonomie pour la première fois dans sa vie.
Car les adultes qui gravitent autour de lui n’ont strictement rien d’inspirant. Ce qui n’est nullement la faute de leurs interprétations respectives, ni celle d’un scénario qui les dépeindrait tous, sans exception, comme des loques humaines. Non, le portrait social s’avère tout de même plus nuancé que cela et de surcroît exempt de solution faciles. Dans un film plus consensuel, la présence calme et apaisante de Mathieu Demy en futur beau-père aurait fait le plus grand bien à sa progéniture par alliance en pleine révolte. Ici, elle exacerbe au contraire le rejet violent et la souffrance de la part du personnage principal.
De même, ses deux autres figures de référence par défaut bénéficient du talent de Damien Bonnard et de Artus – qui figure pour une fois au générique avec son nom d’état civil –, afin de leur conférer une énergie aux pieds d’argile. Ni l’un, ni l’autre ne sauront assister Willy dans son lent travail de reconstruction, empêtrés qu’ils sont dans les événements autour de Jojo.
Conclusion
C’est la force vive, certes meurtrie mais décidée d’avancer coûte que coûte que l’on retiendra de La Pampa en général et de l’interprétation de Sayyid El Alami en particulier. Le réalisateur Antoine Chevrollier n’y réinvente certes pas le genre fortement balisé du drame d’adolescents. Il sait par contre se mettre à la place de ces jeunes hommes qui ne rêvent que d’une chose, qui n’osent pas imaginer que leur statu quo personnel puisse évoluer un jour et qui seront bien obligés de s’adapter le moment fatidique venu. La mise en scène a beau y accentuer un peu trop les extrêmes – en cela, elle n’est guère aidée par la bande originale de Sacha Galperine et Evgueni Galperine –, dans l’ensemble, elle sait mener à bon port une intrigue, qui aurait aisément pu bifurquer à de multiples reprises vers le mélodrame tendancieux.