Jane Austen a gâché ma vie
France, 2024
Titre original : –
Réalisatrice : Laura Piani
Scénario : Laura Piani
Acteurs : Camille Rutherford, Pablo Pauly, Charlie Anson et Annabelle Lengronne
Distributeur : Paname Distribution
Genre : Comédie romantique
Durée : 1h34
Date de sortie : 22 janvier 2025
3/5
L’amour, l’amour, l’amour toujours ! Peu de thématiques ont à ce point exercé leur influence sur le cinéma que les tribulations romantiques. Et avant l’avènement du Septième art, les romans à l’eau de rose dominaient les cœurs du public, notamment grâce à l’autrice Jane Austen, l’une de ses représentantes les plus sophistiquées. De cet héritage littéraire, tout le monde ne s’est pas encore complètement remis, comme le montre assez gentiment ce premier long-métrage, présenté en compétition au Festival d’Albi.
Or, même s’il ne reste jamais moins que plaisant, Jane Austen a gâché ma vie tombe souvent victime de l’éternel dilemme entre l’hommage et la parodie. Parfaitement consciente des particularités du genre, tout comme de ses vicissitudes, la réalisatrice Laura Piani y bandine pas sans charme avec les troubles affectifs de ses personnages.
La pauvre Agathe en tête, qui cache la montagne de ses contradictions personnelles derrière un flegme tout britannique. Un rôle taillé sur mesure pour Camille Rutherford, à la fois fragile et blasée, consciente qu’elle sacrifie sa vie sentimentale pour l’attente d’un prince charmant qui ne viendra jamais et pourtant désarmée dès qu’il s’agit de jongler entre des propositions romantiques nullement parfaites.
Les hommes qui gravitent autour de ce personnage féminin, peut-être un peu trop cérébral pour son propre bien, sont interprétés avec la même petite dose d’ironie bienvenue par Pablo Pauly, côté français, et Charlie Anson, côté anglais. Ce qui pourrait être la recette idéale pour une comédie romantique pleine de verve et de second degré, si ce n’était pour un rythme narratif qui n’atteint jamais entièrement sa vitesse de croisière.
Synopsis : La vie, la libraire Agathe n’en rêve que par romans romantiques interposés. Tristement engoncée dans son quotidien sans variété, ni homme à ses côtés, elle évacue ses frustrations sentimentales dans des classes d’écriture tout aussi stériles. Seul son meilleur ami et collègue Félix semble la comprendre ou au moins vouloir la bousculer dans ses poses d’un cœur asséché. C’est également lui qui soumet à son insu les deux premiers chapitres de son roman à la Jane Austen Residency en Angleterre. Paniquée rien qu’à l’idée de devoir prendre la voiture, Agathe accepte avec beaucoup de réticence l’invitation d’assister pendant deux semaines à une résidence d’écriture, organisée par la vénérable institution.
Vivre avec son temps
La grande époque des adaptations de Jane Austen au cinéma, entre Raison et sentiments de Ang Lee en 1995 et Orgueil et préjugés de Joe Wright dix ans plus tard, ne semble plus qu’un vague souvenir. A l’image de ces comédies romantiques britanniques, qui florissaient à peu près à la même époque sur les écrans de cinéma du monde entier. Néanmoins, une telle conception globalement adulée de l’amour a dû laisser des traces dans la conscience collective. Jane Austen a gâché ma vie en est une preuve au demeurant pas déplaisante.
Le premier film de Laura Piani tente vaillamment l’exploit de faire revivre les grands coups de foudre décrits par Austen, tout en mettant en perspective cette frénésie des sentiments purs. Une approche pas sans mérite, quoique pas non plus exécutée avec une maestria toute personnelle. Pour le meilleur et pour le pire, elle reste tributaire de cette manière en fin de compte frustrante et hélas si prisée par les temps qui courent de vouloir tout interroger ou tourner en dérision.
Le cobaye de cette dissection en règle des lois qui régissaient l’univers fictif de Jane Austen s’appelle Agathe. Auparavant, on aurait sans doute confié ce genre de rôle à Hélène Fillières ou Anna Mouglalis. En 2024, il est tenu plus que convenablement par Camille Rutherford, l’une des étoiles montantes d’une nouvelle génération de comédiennes du cinéma français. Ainsi, elle a d’ores et déjà participé à deux Palmes d’or, La Vie d’Adèle de Abdellatif Kechiche et Anatomie d’une chute de Justine Triet, en plus de nombreuses collaborations avec des cinéastes prestigieux. Ici, elle s’approprie avec une assurance relative un personnage au fond pas si facile, dans son comportement névrosé et son refus de réconcilier la couleur de ses fantasmes romantiques avec la grisaille de sa vie ordinaire.
Salle de bain et température ambiante
Dès lors, c’est l’accumulation de petits détails mignons qui fait avancer l’intrigue, bien plus qu’une démarche dramatique parfaitement huilée. En effet, les grands retournements de situation paraissent presque toujours un peu forcés dans Jane Austen a gâché ma vie, alors que de brefs moments de grâce filmique surviennent sans crier gare. Autant on est agacé par le fil rouge romantique amplement prévisible, autant les petits détours et autres trouvailles ingénieuses ajoutent du piquant dans une intrigue qui en avait grandement besoin. Le tout sur fond d’un cadre bucolique, certes en référence directe aux demeures sophistiquées de l’univers de Jane Austen, mais qui laisse un léger arrière-goût de renfermé, jamais durablement aéré par des considérations iconoclastes à l’égard de l’autrice vénérée.
En somme, on vomit hors cadre dans le film de Laura Piani, bien que la réalisatrice cherche à récolter les bénéfices comiques de pareil écart dans une chambre digne d’une maison de poupées. Cette démarche à double tranchant, qui s’apparente à l’éternel dilemme entre le fait d’avoir le beurre ou l’argent du beurre, se solde par un récit raisonnablement divertissant, quoiqu’aussi chaque fois un peu frustrant par son incapacité à transcender réellement un genre fâcheusement codifié. Et si la narration avait visé un peu moins haut, en alimentant bêtement les différents dispositifs de la comédie romantique ? Ou bien, si elle avait procédé à son démontage sans vergogne, un cliché de bluette à la fois ? On aurait été face à une œuvre filmique probablement moins ambitieuse, mais plus linéaire et accessible dans son cheminement romantique.
Conclusion
Peu importe que vous aimiez le genre éculé de la comédie sentimentale ou que, au contraire, l’effusion d’émotions amoureuses sur grand écran vous insupporte, Jane Austen a gâché ma vie est fait pour vous. Mais, comment cela peut-il être possible ?! La jeune réalisatrice Laura Piani aurait elle réussi avec son premier long-métrage la quadrature du cercle en termes filmiques. Malheureusement pas tout à fait, en dépit d’une tonalité généralement bon enfant et bienveillante, qui finirait presque par nous faire gober ses rares énormités romantiques. Le vénérable Frederick Wiseman, devenu sur ses (très) vieux jours un acteur aussi attachant qu’improbable, semble approuver, puisqu’il y fait une apparition en tout fin du film. Ce qui constitue un clin d’œil infiniment plus habile que la conclusion précipitée et pourtant annoncée d’emblée.