Jacques Demy Le Rose et le noir
France, 2024
Titre original : –
Réalisatrice : Florence Platarets
Scénario : Frédéric Bonnaud
Distributeur : –
Genre : Documentaire de cinéma
Durée : 1h29
Date de sortie : –
3/5
Comme le disait si bien le présentateur de la séance de Jacques Demy Le Rose et le noir au Festival d’Albi, il existe déjà un certain nombre de films sur l’auteur de ces chefs-d’œuvre intemporels que sont Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort. Celui qui nous avait particulièrement marqués au moment de sa sortie est Jacquot de Nantes de Agnès Varda. À l’époque, qui remonte quand même à plus de trente ans, cette docu-fiction avait galvanisé au plus haut point notre cinéphilie balbutiante, bien qu’on ait eu alors une connaissance très partielle de la filmographie de Jacques Demy.
Depuis, on n’a jamais osé revisiter cette évocation de la jeunesse du réalisateur, sans doute par peur de ne pas y retrouver la même déclaration d’amour passionnée au cinéma qu’on avait adorée au début des années 1990. Ce documentaire-ci, présenté cette année à Cannes Classics, allait-il amorcer avec la même fougue notre engouement pour le cinéma en général et pour l’univers de Demy en particulier ?
Ce n’est pas seulement la fatigue propre à la fin d’un long cycle de festivals cet automne qui parle, quand nous affirmons que le documentaire de Florence Platarets remplit surtout un rôle de vulgarisation. Cela est déjà beaucoup par les temps qui courent, où bon nombre de jeunes amateurs de cinéma pensent que son Histoire a commencé avec Les Dents de la mer de Steven Spielberg et où il est difficile de ne pas tomber tôt ou tard dans des querelles de chapelle.
Grâce à son point de vue d’une grande objectivité et au temps accordé à peu près équitablement à chaque film réalisé par Demy, des plus célèbres aux plus obscures, il en résulte un portrait global sorti tout droit de la bouche de son sujet. En effet, le scénario agencé par l’actuel directeur de la Cinémathèque Française Frédéric Bonnaud se base principalement sur des extraits d’entretiens de Jacques Demy, faisant dès lors l’impasse sur quelque relecture rétrospective que ce soit par l’intermédiaire d’intervenants contemporains.
Synopsis : Mordu depuis son plus jeune âge de la passion du cinéma, qui s’était alors traduite par le dessin des actualités de guerre sur de la pellicule reconditionnée, Jacques Demy avait fait ses premiers pas professionnels en tant que membre de la Nouvelle Vague. Après deux premiers succès d’estime, Lola et La Baie des anges, il s’impose sur la scène du cinéma français, voire international grâce aux deux comédies musicales Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort. Un succès planétaire qui ne restera pas sans conséquences, puisque le réalisateur cherchera désormais à se renouveler, quitte à ce que sa carrière suive à partir de la fin des années ’60 et jusqu’à sa disparition fin octobre 1990 une trajectoire en dents de scie.
Les madeleines de Jacques
On ne va pas les citer une troisième fois en quatre paragraphes, puisque tout le monde où presque connaît ces deux œuvres maîtresses de la filmographie de Jacques Demy. Ajoutez y pour la bonne mesure ce conte de fées pas si innocent qu’est son adaptation de Peau d’âne et vous aurez assemblé l’intégrale des films pour lesquels le réalisateur demeure célèbre jusqu’à ce jour. Sans oublier que ses descendants, ainsi que sa veuve jusqu’à sa mort en mars 2019, ne ménagent pas leurs peines pour garder son souvenir vivant. D’une certaine façon, Jacques Demy Le Rose et le noir s’inscrit parfaitement dans cette démarche de la sauvegarde du patrimoine cinématographique, en bien meilleur état dans le cas de ce cinéaste-là que dans celui de la plupart de ses confrères.
Néanmoins, il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas sur Jacques Demy, un homme qui avait apparemment une aversion de parler de lui-même. Ce qu’il ne fait pas non plus en abondance ici, malgré ces nombreux extraits d’entretiens dénichés dans les archives audiovisuelles de la télévision française. Étudier le cas Demy, ce n’est pas lire dans un livre ouvert, mais plutôt entre les lignes d’une existence d’artiste qui dépasse de loin la partie émergée de son iceberg créatif. Sauf que l’ambition première de ce documentaire paraît être de faire un tour d’horizon exhaustif de la filmographie du réalisateur, plutôt que de fouiller dans sa vie privée, de scruter le grand écart formel entre les films d’Agnès Varda et les siens et de souligner les thématiques clés de son univers, finalement plus hétéroclite qu’il ne paraît.
Un monstre des mers
Au moins en partie, le parcours de Jacques Demy s’apparente à celui du réalisateur anglais Michael Powell, qui avait également fait l’objet d’un documentaire informatif, découvert récemment dans le cadre d’un festival, avant sa diffusion en ligne ou sur le petit écran. Comme lui, il n’avait jamais vraiment su faire perdurer le succès commercial et artistique des quelques films pour lesquels les spectateurs se souviennent de lui encore aujourd’hui avec affection.
Le fait de laisser passer en revue ces carrières nullement linéaires nous rappelle alors à quel point il est rare d’en mener en toute liberté financière, tout en ayant le luxe de choisir sans trop de contraintes les sujets que l’on souhaite traiter. Jacques Demy n’y est parvenu que très partiellement, puisque l’échec de ses films à partir du Joueur de flûte en 1972 l’avait propulsé dans le camp des pestiférés de l’industrie du cinéma, dont il n’a plus jamais réussi à sortir par la suite.
Le noir dans le titre du documentaire fait-il allusion à cette partie sombre ou en tout cas tombée dans l’oubli de la douzaine de films mis en scène par Jacques Demy ? Probablement, puisqu’aucun côté réellement ténébreux ne sort du portrait qu’il dresse du réalisateur. Le propos factuel par lequel il se distingue n’offre ainsi guère de piste d’interprétation plus singulière des errements artistiques dont on pourrait accuser celui qui avait trouvé peut-être un peu trop tôt la formule de son film parfait. Car tout ce qu’il avait fait à partir de son exil temporaire aux États-Unis avec Model Shop pourrait être interprété comme une réaction d’affranchissement de ce diptyque de films pour l’éternité. Toute la tragédie symbolique de Jacques Demy se trouve là, tandis que celle qui relève de la réalité se situe bien entendu du côté de sa mort honteuse du sida, annoncée jadis comme étant due au cancer.
Conclusion
Quel est le rôle d’un documentaire comme Jacques Demy Le Rose et le noir ? Premièrement, de nous donner envie de voir ou revoir les films du maître de la comédie musicale. Puis de nous faire prendre conscience de certains tenants et aboutissants insoupçonnés d’une carrière tout de même célébrée à intervalles réguliers. A ces deux niveaux-là, le documentaire de Florence Platarets remplit solidement sa tâche. C’est lorsqu’il s’agit d’aller au delà de ces prérogatives de base que son approche montre ses limites. Après tout, ce n’est pas bien grave, même si entre les mains inspirées de sa veuve Agnès Varda, le même parcours de vie avait abouti à des mises en abyme sensiblement plus fascinantes.