Tempête
France, Canada, 2022
Titre original : –
Réalisateur : Christian Duguay
Scénario : Lilou Fogli et Christian Duguay, d’après un roman de Christophe Donner
Acteurs : Mélanie Laurent, Pio Marmaï, Carmen Kassovitz et Kacey Mottet Klein
Distributeur : Pathé
Genre : Drame
Durée : 1h50
Date de sortie : 21 décembre 2022
3/5
Appliquer la distinction entre des films du monde d’avant la crise sanitaire et ceux d’après, est-ce que cela a encore du sens, un an et demi après la réouverture des salles de cinéma en France ? Les préoccupations et les pratiques des spectateurs ont certainement connu une évolution profonde à partir de cet événement planétaire. Les créateurs de films dans leur ensemble, ont-ils su faire face alors à cette nouvelle donne ? La réponse à cette question, peut-être existentielle pour la survie du cinéma, devra se faire au cas pour cas.
Dans celui de Tempête, présenté en ouverture du 26ème Festival d’Albi, elle penche clairement du côté d’une ambition d’évasion pure et dure et donc fermement enracinée dans l’état d’esprit volontariste encore de rigueur il y a deux, trois ans. Ce qui est soit finement ironique, soit pleinement assumé, l’action de cette épopée séquestre s’achevant quasiment la veille de la pandémie mondiale, en janvier 2020.
Au moins, le style du réalisateur canadien Christian Duguay s’y montre moins tendancieux et emphatique que dans Jappeloup, sa dernière aventure de chevaux, sortie sur les écrans français en mars 2013. Qu’il n’y ait pas de malentendu : son film déborde de bons sentiments, aptes à redonner un peu de foi en la possible réussite de chacun malgré de graves obstacles, même aux spectateurs les plus cyniques. Le tout sur fond d’images de chevaux galopants sur de belles plages normandes. Et pourtant, on serait presque prêt à reconnaître une certaine retenue, sinon dans le propos, au moins dans la façon de transmettre le message édifiant de Tempête. Mieux encore, il y persiste carrément un peu d’humanité sincère, un cœur qui bat à un endroit pas nécessairement vital au déroulement prévisible du récit à forte tendance sirupeuse.
Synopsis : Quelques jours après la tempête du siècle, une double naissance fait tout le bonheur d’un couple d’éleveurs de chevaux, récemment arrivé en Normandie depuis la Camargue : celle de leur nouveau poulain, appelé à devenir un grand trotteur, ainsi que de leur premier enfant, Zoé. Alors que le haras familial gagne en cachet grâce à l’investissement du financier Cooper, Zoé devient l’amie inséparable des chevaux entraînés par son père, afin de concourir aux prix les plus prestigieux de France. Or, un autre soir de tempête, tous les rêves de la jeune fille risquent de se voir brisés.
Des gens spéciaux
Une plage déserte sur laquelle des chevaux courent en surimpression, un double événement heureux dans un haras globalement épargné par la tempête de fin décembre 1999, le tout accompagné par une musique d’ores et déjà imbue de sa propre importance : les premières minutes de Tempête n’étaient nullement disposées à dissiper notre appréhension face à ce film, à première vue le produit consensuel parfait pour les fêtes de fin d’année.
Toutefois, avant de s’élancer dans les hautes sphères du mélodrame indigeste, le film de Christian Duguay réussit in extremis à rester accessible, faute d’être crédible. Est-ce grâce à l’accumulation des contretemps financiers, sportifs et familiaux ou au contraire à leur surenchère, qui relativise automatiquement chaque nouveau coup du sort ? Toujours est-il que la synergie des bonnes volontés n’y fait pas de miracles cinématographiques, soit, mais qu’elle se développe à un rythme suffisamment tendu pour ne pas voir les personnages sombrer dans l’apitoiement sur eux-mêmes.
Cela vaut autant pour le couple parental de premier plan, Mélanie Laurent et Pio Marmaï dans des emplois qui ne leur demandent rien d’exceptionnel, que pour celui de substitution en quelque sorte, formé par Danny Huston et Carole Bouquet en guise de bienfaiteurs financiers à la patience de longue haleine. Dès lors, tout ce beau microcosme poursuit simultanément ses objectifs personnels, infiniment plus développés du côté masculin – on vous avait prévenus qu’il s’agit d’une histoire du vieux monde … –, ainsi que son rôle de soutien à la victime tout désignée de l’intrigue, la fille chérie de son père qui arrivera à se reconstruire grâce à la lucidité de sa mère. Rien de révolutionnaire à signaler ici, si ce n’est une certaine habileté à aménager un arc narratif épique sans négliger pour autant des incidents plus anecdotiques.
Les murmures du cœur
Néanmoins, notre perception se serait sans doute laissée aseptiser par le goût prononcé pour le superficiel de Tempête, si ce n’était pour un personnage à part dans ce cirque vaguement vaniteux, dispersé sur les différents hippodromes de l’Hexagone. Il s’agit d’un rôle potentiellement problématique, dont l’exécution subtile n’était pas forcément à la portée d’un réalisateur plutôt routinier comme Christian Duguay. Sa réussite raisonnable constitue alors la plus belle surprise du film, bien que le talent de Kacey Mottet Klein ne soit plus à prouver, près de sept ans après sa découverte dans Quand on a 17 ans de André Téchiné. Ici, il habite son rôle du palefrenier au comportement « différent » avec une chaleur et une modestie qui confèrent tout de suite une belle gravité humaine au récit.
Le cœur du film, c’est lui qui le fait battre. Ce qui est quand même le comble, quand on considère qu’il est très rarement l’acteur des malheurs successifs qui arrivent aux personnages soi-disant majeurs ! Sa richesse et sa force intérieure proviennent pourtant de cet effacement parfois borné, parfois servile, qui participe d’une manière au moins aussi décisive à la convalescence mentale de Zoé que toutes les bonnes volontés de ses parents réunies. En termes de contrepoids face à tant d’acharnement du sort, on n’aurait en effet pas pu trouver mieux que son calme et sa certitude, à l’écoute des bêtes et accessoirement du monde. Sans lui, toute cette agitation névrosée n’aurait été, au contraire, qu’un agacement interminable, ponctué de quelques coups d’éclat formels souvent pesants.
Conclusion
Nul besoin d’être un adepte inconditionnel du sport équestre pour apprécier tant soit peu Tempête ! Ni de croire corps et âme au conte sur la rédemption en dépit de toutes les adversités imaginables auxquelles le film de Christian Duguay confronte la plupart de ses personnages ! Non, dans toute sa grandiloquence, cette histoire familiale sait largement garder les pieds et les sabots sur terre, en célébrant davantage l’effort collectif que l’accomplissement personnel à tout prix. Et ça, c’est une valeur pas sans mérite, ni sans charme de l’ancien monde qu’il convient de colporter à l’avenir, même dans un film aussi peu singulier que celui-ci.