L’Origine du mal
France, Canada, 2022
Titre original : –
Réalisateur : Sébastien Marnier
Scénario : Sébastien Marnier
Acteurs : Laure Calamy, Doria Tillier, Dominique Blanc et Jacques Weber
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Genre : Thriller / Avertissement
Durée : 2h03
Date de sortie : 5 octobre 2022
3/5
Séance de rattrapage au Festival d’Albi, où nous avons donc pu déguster ce thriller malicieux, sorti initialement en octobre dernier. Une preuve supplémentaire, s’il y en avait encore besoin, que le cinéma de genre à la française peut aisément rivaliser avec son pendant anglais et américain. Car rien ne dépasse dans le troisième long-métrage de Sébastien Marnier. Tout y est savamment agencé pour que la tension monte progressivement d’un cran. Dans L’Origine du mal, toutes les fausses pistes mènent invariablement vers une révélation plus machiavélique que la précédente. Avec toujours en arrière-plan un malaise persistant, né de notre prise de conscience que, en fait, il n’y a pas un personnage ici pour rattraper moralement l’autre.
La reine des manipulatrices est un rôle de plus taillé sur mesure pour Laure Calamy. Très présente sur les écrans du festival où ont également été présentés Les Cyclades de Marc Fitoussi et Annie Colère de Blandine Lenoir, l’actrice y excelle une fois de plus dans ce mélange envoûtant entre l’innocence, le calcul malsain et la folie dont elle détient le secret. A ses côtés, les vraies intentions ne sont guère plus faciles à déceler sur les visages pleins de fourberie de Doria Tillier, Jacques Weber et surtout Dominique Blanc dans le rôle peut-être le plus ambigu du film. A moins que sa mère, trompée de toute part et accro des achats impulsifs, soit le maillon faible d’une famille digne des Borgia.
Synopsis : Employée sans histoires dans une usine de conserves, Stéphane rêve depuis longtemps de rencontrer enfin son père qu’elle n’a jamais connu. Elle finit par avoir le courage de l’appeler. L’accueil sur l’île de Porquerolles de la part de Serge, ancien dignitaire et homme d’affaires physiquement sur le déclin, est plutôt chaleureux. C’est du côté du reste du clan des Dumontet que ça se gâte. En effet, ni Louise, la femme de Serge, ni sa fille George ne voient d’un bon œil l’arrivée de cette nouvelle prétendante à la fortune familiale.
La femme derrière la porte
Personne ou presque n’est ce qu’il ou elle prétend être dans ce thriller globalement haletant. Les masques y tombent au fur et à mesure, alors que ce jeu cartes sur table ne participe en rien à la clarification des choses. Les motivations demeurent autant dans le flou astucieux dans L’Origine du mal que la véritable nature des alliances, vite fait réarrangées au moindre coup d’éclat. L’enjeu de l’intrigue ne paraît pas tant être l’appât du gain que le placement prévoyant de ses pièces sur l’échiquier de la manipulation suprême. Tour à tour ouvrière courant le risque de devenir marginale, compagne dévouée qui se déplace au parloir même si personne ne veut l’y voir et orpheline aux anges quand elle ose enfin renouer le lien familial, le personnage interprété avec maestria par Laure Calamy ne tarde pas à prendre un tournant plus inquiétant.
Sauf que Stéphane est tombée, bien malgré elle, dans un véritable nid de vipères. Ce n’est pas exclusivement la décoration surchargée de la demeure qui tangue dangereusement, mais de même, au choix, le sens de l’accueil vénéneux des hôtes, le dessein de l’invitée cachottière ou bien sa vie en dehors de ce paradis factice, de plus en plus tributaire de sa réussite sur cette scène du faire-semblant en toute circonstance. Avec chaque nouvelle séquence, l’intrigue se corse, jusqu’à ce que cette femme de plus en plus aux abois n’ait d’autre choix que de recourir à la violence brute. Au détail près que cette catharsis meurtrière ne fait rien pour résoudre ses problèmes en forte croissance. Pire encore, ce sont les autres qui profiteront de ses méfaits, tandis que Stéphane se voit finalement rabaissée au rang subalterne de membre facilement dispensable et maniable de la famille sous sa nouvelle composition.
Le beurre et l’argent du beurre
On ne vous donnera pas tort, si vous avez ressenti plus haut un certain embarras de notre part d’en dire ni trop, ni pas assez par rapport à l’intrigue et aux ressorts de L’Origine du mal. En effet, dans ce genre de film sous forme de puzzle, chaque pièce a son importance. Jusqu’à une partie de l’écran divisé – un dispositif d’ailleurs pas toujours employé à bon escient par le réalisateur – sur laquelle apparaît soudainement la messagère du malheur. Or, à force de vouloir démultiplier les pistes, le récit court parfois le risque de s’éparpiller, par exemple au niveau du volet carcéral. Ce dernier s’avère certes essentiel à un moment donné. Mais jusque là, le personnage que Suzanne Clément interprète avec son intensité habituelle a tout loisir d’apparaître comme un prétexte à la complication narrative de trop.
Car au fond, à quoi prétend réellement l’intrigue si savamment orchestrée jusqu’au revirement final ? A proposer un divertissement de haut vol, tout à fait. A tendre la glace à une forme de jalousie sociale qui ne peut mener qu’au désastre, on n’en est pas si sûr. Pour cela, la mise en scène est trop préoccupée par le maintien de l’équilibre délicat de ses leurres, là où une véritable mise en abîme du projet d’usurpation de Stéphane aurait pu la rendre réellement monstrueuse. Dans l’état, le spectateur jouit du bénéfice à double tranchant de ne savoir à aucun moment à quoi s’attendre exactement, une source égale de frustrations et de surprises aussitôt eues, aussitôt oubliées.
Conclusion
Loin de nous l’idée de prétendre qu’on n’ait pas pris un malin plaisir à regarder L’Origine du mal ! Pourtant, en grande partie, le film de Sébastien Marnier se contente d’être le mécanisme redoutable d’une manipulation des attentes du spectateur. Ce qui n’est déjà pas si mal en soi, d’autant plus que les interprétations moins grandiloquentes que méchamment subtiles sont au rendez-vous de ce jeu à double fond plutôt fascinant.