Albi 2022 : Annie Colère

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Annie Colère

France, 2022
Titre original : –
Réalisatrice : Blandine Lenoir
Scénario : Blandine Lenoir et Axelle Ropert
Actrices : Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair et Rosemary Standley
Distributeur : Diaphana Distribution
Genre : Drame social
Durée : 2h00
Date de sortie : 30 novembre 2022

3,5/5

Certains combats valent la peine d’être menés sur la durée. Puisque la liberté, ce bien si précieux, court en permanence le risque de se voir sapée par des forces obscurantistes de tous bords, un film comme Annie Colère est plus que jamais urgent, utile et nécessaire ! La croisade que la réalisatrice Blandine Lenoir y conduit a beau être celle des femmes, les victimes exclusives de pratiques sauvages d’interruption de grossesse jusqu’à la légalisation de l’avortement en France au milieu des années 1970, son troisième long-métrage est si généreux et bienveillant qu’il pourrait presque servir d’exemple universel au film idéal sur le militantisme. Tandis que l’adversaire des personnages, poussés à bout par leur situation personnelle inextricable, reste essentiellement hors cadre, en guise de chape de plomb de la position dominante des hommes au sein des civilisations patriarcales, la riposte féministe s’organise d’une manière impressionnante.

Or, autour d’un sujet de société pour le moins délicat, voire potentiellement clivant, ce très beau pamphlet cinématographique ne fait guère preuve de zèle tendancieux. A partir du constat que ces femmes dans le pétrin allaient avorter de toute façon, quitte à y laisser leur vie, l’intrigue suit sans le moindre préjugé le parcours sobrement exemplaire d’une mère qui fait rapidement carrière dans son mouvement contre le caractère clandestin de ces pratiques. Sauf que l’investissement d’Annie relève avant tout de l’engagement social. Son chemin ne la mènera donc pas sur les barricades, mais sur les bancs de l’école, histoire de rattraper toutes les opportunités que sa condition modeste de travailleuse lui avait fait louper auparavant.

Avant d’en arriver là, elle devient le témoin privilégié d’un soulèvement de femmes indignées, que le gouvernement ne pourra plus ignorer longtemps. Toute la qualité du film consiste alors à faire largement abstraction de la parole politique pour, au contraire, rester au plus près du quotidien doucement valorisant de ces combattantes de l’ombre.

© 2022 Aurora Films / Local Films / France 3 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Synopsis : En janvier 1974, quelques mois avant l’adoption de la loi Veil, Annie se résout avec l’accord de son mari à avorter. Puisque cette pratique est interdite au corps médical, elle fait appel au MLAC, une association qui propose dans une ville voisine de la sienne des avortements gratuits et selon de nouvelles méthodes peu douloureuses. Alors qu’Annie est tout à fait satisfaite de l’intervention, elle se voit mal abandonner ses responsabilités familiales afin de venir prêter main forte aux femmes qui l’ont si bien accueillie dans son moment de désespoir. Pourtant, sa fibre militante s’éveille brutalement, lorsqu’un drame dans son entourage lui rend palpable l’injustice que des centaines de femmes subissent chaque jour à travers le pays.

© 2022 Aurora Films / Local Films / France 3 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Vive le militantisme !

Une fois que le parti pris en faveur de l’égalité des droits des femmes est évident, Annie Colère avance comme sur des rails vers sa destination galvanisante. Contrairement à un hypothétique pendant américain – peut-être encore plus indispensable de nos jours là-bas, alors que le droit à l’avortement y est sérieusement mis en péril –, le film de Blandine Lenoir évite toute emphase héroïque pour rendre compte du valeureux combat de ces femmes des années ’70. La figure centrale en est certes Annie, un rôle d’une finesse et d’une sincérité comme seule Laure Calamy peut les dégager en toute modestie, elle s’inscrit sans relâche dans un effort de groupe qui ne pourra porter ses fruits que collectivement. Dans la reconnaissance de cette solidarité vitale entre femmes, mises au pied du mur par des hommes peu scrupuleux, réside son premier fait d’armes.

Dès lors, elle mettra tout en œuvre pour passer le relais : aux femmes qui ont osé soulever le rideau de la permanence cachée à l’arrière-boutique d’une librairie, comme elle l’avait fait au début du film, et même à sa propre fille adolescente, dans un magnifique geste de réécriture du contrat des générations en termes de connaissances sexuelles. L’atout majeur que la narration abat avec un sens aigu de la bonne mesure consiste à ne jamais dramatiser outrancièrement un sujet d’emblée en proie à des prises de position enflammées. L’opération dédramatisation de ce que certains esprits étriqués peuvent juger profondément immoral y fonctionne à merveille, aussi grâce à l’entrain désarmant avec lequel les actrices habitent leurs personnages précurseurs.

A première vue, Zita Hanrot et India Hair côté femmes et Eric Caravaca et Yannick Choirat côté hommes n’ont pas grand-chose à faire. Leur présence rayonnante, engagée mais tout à fait consciente des montagnes à déplacer avant d’arriver à un changement acceptable du statu quo, suffit pourtant à conférer une âme et de multiples visages à leur mission historique. Sans oublier ces nombreuses patientes, à l’anonymat parfaitement assumé et au temps de passage à l’écran réduit à l’essentiel, qui opèrent comme autant de représentantes fières et courageuses d’un non-dit faussement honteux.

© 2022 Aurora Films / Local Films / France 3 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Rien n’est gratuit dans la vie

Car la gestion de l’urgence permanente, semaine après semaine, sur laquelle les femmes bénévoles s’échinent dans Annie Colère ne doit nullement faire oublier le fond nauséabond de cette problématique vieille comme le monde. Heureusement, la réalisatrice sait qu’il ne sert à rien de forcer le trait dans un domaine si polarisant. Ce n’est pas pour autant qu’elle occulte les véritables enjeux, encore plus apparents par le biais d’un coloris d’époque des plus convaincants, de la cafetière jusqu’à la calculatrice. Ainsi, ce sont les femmes qui font tourner le monde – reconnaître une poêle, est-ce vraiment si difficile, monsieur le syndicaliste et mari plutôt ouvert d’esprit ? –, mais ce ne sont pas elles qui ont leur mot à dire dans une affaire primordiale de leur vie.

Le discours de Delphine Seyrig, véritable égérie féministe de l’époque, que les copines militantes regardent avec enthousiasme à la télévision, nous paraît alors emblématique de certains rendez-vous manqués entre la gent féminine et masculine au fil des décennies. Ce que l’actrice de L’Année dernière à Marienbad y dit est des plus véridiques et ne soulèverait sans doute plus beaucoup de polémiques de nos jours. Rien que le dispositif aucunement paritaire dans lequel elle énonce son constat désarmant, un plateau de télé peuplé d’hommes d’un certain âge, en atténue fortement l’impact, les esprits d’il y a un demi-siècle – et peut-être même ceux de tout temps – n’étant guère disposés à entendre une femme s’exprimer si librement.

Espérons que l’approche presque décontractée de Annie Colère aura un effet diamétralement opposé. Par sa liberté de ton et son engagement sans faille en faveur de ses personnages d’abord et de la cause contre l’avortement clandestin seulement après, le film de Blandine Lenoir donne simultanément une belle leçon de cinéma et de civisme. Avec encore et toujours cette capacité extraordinaire de faire passer un message essentiel de la plus subtile des façons. Ni tranche de vie mélodramatique, ni prêche grossier et tendancieux, ce film a réussi à nous émouvoir jusqu’au plus profond de notre jeune être militant, grâce à son aspect humain hors pair.

© 2022 Aurora Films / Local Films / France 3 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Pour nous, le Festival d’Albi est hélas déjà terminé. Quel soulagement alors d’emporter dans nos bagages le souvenir d’un film aussi frais et curieusement léger, aussi sérieux et sûr de sa cible à atteindre que Annie Colère ! Blandine Lenoir y excelle à rendre le drame des proies des faiseuses d’anges accessible, tout en inscrivant cette tragédie au féminin dans un beau roman d’apprentissage, à la portée de toutes et également de tous. Car ce qu’Annie y accomplit n’est rien d’autre que l’acquisition d’une conviction, qu’elle a eu l’opportunité de se forger progressivement, sans jamais jouer à l’héroïne extravagante. Après tout, n’est-ce pas à cela que chaque homme et chaque femme devrait aspirer tôt ou tard : de se rendre utile, sans se mettre en avant, mais en servant selon ses capacités une cause perçue comme juste ?

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