Alice et le maire
France, 2019
Titre original : –
Réalisateur : Nicolas Pariser
Scénario : Nicolas Pariser
Acteurs : Fabrice Luchini, Anaïs Demoustier, Nora Hamzawi, Léonie Simaga
Distributeur : Bac Films
Genre : Satire politique
Durée : 1h45
Date de sortie : 2 octobre 2019
3/5
Les Français, ce beau peuple révolutionnaire qui paraît préparer en permanence la prochaine grève ou le prochain soulèvement populaire, et les politiciens qui sont censés les représenter, ces hommes et ces femmes qui semblent plus penser à leur parcours personnel qu’au bien de leurs administrés, font rarement bon ménage. Et comment pourraient-ils y arriver, dans un contexte de préoccupations si difficiles à concilier ? Le cinéma s’est en quelque sorte fait le reflet de cette relation orageuse, servant avant tout la cause de la dénonciation des pratiques malhonnêtes dans les plus hautes sphères de l’appareil de l’état, depuis le J’accuse de Abel Gance du temps du muet jusqu’à celui de Roman Polanski, à l’affiche actuellement. Présenté initialement à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et en séance de rattrapage au Festival d’Albi, Alice et le maire aborde l’épineuse question de la politique sous un angle légèrement détourné. La pratique fastidieuse de la fonction est autant au cœur du film de Nicolas Pariser que ses aspirations en fin de compte illusoires vers une vision plus philosophique du train-train quotidien des rendez-vous représentatifs. En ce sens, la qualité principale de cette satire à l’humour fin consiste à oser le discours intellectuel, voire le mélange à première vue impossible entre ce dernier et le fonctionnement sclérosé des différents niveaux hiérarchiques au sein d’une mairie de province. Bien au delà du rapport anecdotique que l’intrigue peut entretenir avec les années Collomb à Lyon, le film dresse un bilan mi-alarmiste, mi-amusé sur la pratique de la politique en France : un engrenage en surchauffe qui brasse moins les idées que les postures.
Synopsis : Fraîchement revenue de l’université d’Oxford, la jeune intellectuelle Alice Heimann est impatiente de commencer son travail à la mairie de Lyon, dans l’équipe du maire légendaire Paul Théraneau. Elle déchante pourtant rapidement, puisque le poste pour lequel elle a été embauchée n’existe plus. Il a été remplacé par la tâche très vague de fournir des idées au patron de la ville, depuis un moment en panne sèche de carburant idéologique. Alice se prête plus ou moins volontairement à ce travail, qui lui permet pourtant de gagner petit à petit la confiance de Théraneau. Sa montée en prestige n’est pas forcément vue d’un bon œil par ses nouveaux collègues.
De la suite dans les idées
Les contes du poisson hors de l’eau dans le monde professionnel ont toujours su nous charmer par leur capacité à rendre joliment accessibles des microcosmes sinon hermétiquement fermés aux regards trop curieux de l’extérieur. Accompagner la nouvelle conseillère à la réflexion dans le faste des salons feutrés de la mairie de Lyon, cela n’est ainsi pas si différent de l’incursion d’une assistante au code vestimentaire détendu dans le saint des saints de la mode internationale dans Le Diable s’habille en Prada. Comme le faisait déjà le film de David Frankel il y a treize ans, Alice et le maire profite de ce point de vue privilégié, afin de dévoiler les dysfonctionnements d’une entreprise en apparence si performante. Et comme Andy Sachs, aveuglée par la perfection faite femme en la personne de l’impitoyable Miranda Priestly, Alice risque de se prendre au jeu de la roublardise publique, au fur et à mesure qu’elle croit prendre en toute discrétion l’ascendant sur le vieil animal politique, interprété à son habitude avec une incroyable nonchalance fascinante par Fabrice Luchini. Or, son séjour éclair à la mairie n’est point placé sous l’étoile d’un agenda personnel clairement prémédité. Car autant le maire Théraneau fait figure de représentant universel de tous ces barons de province, qui tournent à vide à force d’avoir exercé le pouvoir local depuis des décennies, autant sa nouvelle assistante s’inscrit volontairement dans la génération bo-bo, hautement lucide à l’égard de l’état du monde et de la place qu’elle peut y prendre, quoique complètement paumée lorsqu’il s’agit de passer à l’action de façon constructive et suivie.
Risque ou rente
A l’image de l’action politique en France, plus que jamais animée par une grande volonté de réforme et une encore plus grande frilosité à imposer ces mesures, le personnage principal du film paraît préparer beaucoup de chantiers pour se retrouver à la fin devant un terrain vague, où tout reste à faire. Sauf qu’il ne devient jamais tout à fait clair qui a contaminé qui dans ce cercle vicieux de l’inaction bien intentionnée : le maire au timing politique perfectible, qui change de conviction comme de chemise, ou Alice, qui sait préserver jusqu’au bout une certaine part d’innocence, si bien exprimée à travers les grands yeux de Anaïs Demoustier ? La brutalité du monde politique, mise en scène surtout ici sur le thème de l’urgence grotesque, par exemple lors de la séquence du message percutant à communiquer dans un laps de temps restreint, afin de rassurer l’allié écologique sur le positionnement environnemental du maire, ne semble pas être la cause majeure de cette impuissance chronique, observée de façon multilatérale. Ce serait peut-être davantage l’équation impossible entre la mondanité d’un côté et la modestie de l’autre, entre le socialisme à l’ancienne et les contours approximatifs des idéologies plus contemporaines, dépourvues d’emprise sur la communication hystérique à l’âge des réseaux sociaux. Toujours est-il que ce film au ton malicieux traverse avec une aisance remarquable le no man’s land de la politique locale et régionale, quitte à adopter par moments le même tempérament empreint de précautions excessives qui le caractérise. L’approche ironique s’en voit alors temporairement diminuée, au profit d’un flottement thématique entièrement en phase avec l’agitation désordonnée digne d’un poulailler, qui semble régner à la mairie de Lyon et sans doute un peu partout ailleurs.
Conclusion
Le public français n’est pas fan de politique et encore moins de films qui évoquent ce monde codifié au possible. Pourtant, Alice et le maire avait rencontré un joli succès lors de sa sortie en octobre dernier, ce qui nous paraît amplement mérité, maintenant qu’on a pu le rattraper grâce à la sélection « Coup de cœur » du Festival d’Albi ! C’est un film aussi fin que le phrasé sophistiqué de Luchini et au charme aussi désarmant que la passivité aux intentions guère sournoises de Anaïs Demoustier. Bref, il s’agit de la bête rare d’un film, qui réussit de parler de politique de manière divertissante, sans brusquer quelque sensibilité politique que ce soit, mais sans tomber dans les lieux communs lâchement moqueurs non plus.