Dans les années 70/80, le polar français à papa se modifie légèrement : sous l’impact notable du cinéma populaire italien (notamment du néo-polar également appelé poliziesco all’italiana, et même du giallo – voir Peur sur la ville), les films de Belmondo et surtout d’Alain Delon commencent à prendre une tournure nettement plus brutale et sexy, affichant sans complexe des héros aux comportements borderline, n’hésitant pas à appuyer sur la gâchette s’ils considèrent que la personne à l’autre bout du canon l’a mérité.
La sortie simultanée en Blu-ray de Trois hommes à abattre et Pour la peau d’un flic sous les couleurs de Pathé nous permet donc aujourd’hui de revenir sur deux polars nerveux du tout début des années 80 mettant en scène Alain Delon…
Trois hommes à abattre
France : 1980
Titre original : –
Réalisateur : Jacques Deray
Scénario : Alain Delon, Christopher Frank, Jacques Deray
Acteurs : Alain Delon, Dalila Di Lazzaro, Michel Auclair
Éditeur : Pathé
Durée : 1h37
Genre : Policier
Date de sortie cinéma : 31 octobre 1980
Date de sortie DVD : 16 décembre 2015
Michel Gerfaut, vient au secours d’un homme blessé par balles gisant sur le bord de la route : considéré comme témoin gênant, il est pris pour cible par les tueurs. Mais Gerfaut, joueur de poker professionnel au passé riche d’expériences, ne se laissera pas abattre aussi facilement que l’organisation aurait pu le prévoir…
Tourné en 1980, Trois hommes à abattre est un exemple typique de ces nouveaux polars français sous très nette influence des bandes d’exploitation ritale. Intrigue politique bien populiste à forte tendance nihiliste, sous-entendant clairement toutes sortes de manipulations de la part des puissants de ce monde, débordements sexy et trash, dialogues secs (bordés de « putain », « merde », « chier », on est loin de la classe d’un Audiard !), tout est donc ici réuni pour livrer un spectacle populaire voué à faire renouer Alain Delon avec le succès public, qui s’était à l’époque pour un temps vaguement éloigné.
Bien sûr, Jacques Deray n’est pas Henri Verneuil, même si son film ne manque pas, par passages, d’une certaine efficacité. Désuet, par moments carrément mal torché (on sent que notre Alain national n’était pas forcément un adepte de la deuxième prise), desservi à la fois par le côté grotesque de ses enjeux politiques mais aussi par le jeu d’Alain Delon qui en fait un peu des caisses, Trois hommes à abattre demeure un « petit » polar pas foncièrement désagréable, mais bien éloigné des grands films du genre, passés et à venir.
Pour la peau d’un flic
France : 1981
Titre original : –
Réalisateur : Alain Delon
Scénario : Alain Delon, Christopher Frank
Acteurs : Alain Delon, Anne Parillaud, Daniel Ceccaldi
Éditeur : Pathé
Durée : 1h45
Genre : Policier
Date de sortie cinéma : 9 septembre 1981
Date de sortie DVD : 16 décembre 2015
Choucas est un ancien flic qui s’est reconverti dans le privé. Il reçoit la visite d’une vieille dame qui lui demande de retrouver sa fille aveugle mystérieusement disparue. Une affaire apparemment banale mais qui dégénère vite lorsqu’il abat un flic. C’est en menant minutieusement l’enquête avec l’aide d’un ancien inspecteur que Choucas se rapprochera du cœur de l’affaire…
Tourné l’année suivante sous la direction non plus de Jacques Deray mais d’Alain Delon lui-même, Pour la peau d’un flic reprendra l’essentiel du casting de Trois hommes à abattre. Aux côtés de Delon rempilent donc Michel Auclair, Pascale Roberts et Jean-Pierre Darras dans des rôles un peu différents, seule l’italienne Dalila di Lazzaro laisse la place à une jeune Anne Parillaud pas encore auréolée du succès de Nikita. Le film sera de plus, comme le précédent, écrit par Christopher Frank adaptant un roman de Jean-Patrick Manchette.
A la surprise générale (ou individuelle, selon que vous soyez accompagné ou pas pendant le visionnage), Pour la peau d’un flic se révèlera finalement globalement plus attachant et sympathique que le film précédent. Comme son modèle, le film de Delon est sous perfusion très nette de néo-polar italien, et nous proposera tous les passages obligés du genre : inutiles dérives violentes et sexy, poursuites effrénées en voiture… Mais le tout est tellement décomplexé ici, qui plus est saupoudré d’un certain humour, que cela en devient nettement plus amusant. Delon s’amuse, sourit même à l’écran (incroyab’), use et abuse de l’utilisation des « boubouboubou » du morceau d’Oscar Benton, et multiplie les clins d’yeux au spectateur dans le but d’amuser la galerie : il évoque dans une mémorable ligne de dialogue son rival de toujours l’inusable Bébel, et place par ci par là devant la caméra des caméos destinés à renforcer la complicité avec son public. Au détour de quelques séquences, il manquera donc d’écraser en voiture sa « grande sauterelle » de compagne Mireille Darc, se fera railler par Etienne Chicot, donnera un petit rôle de speakerine évoquant Denise Fabre à Claire Nadeau, ou un rôle « parlant » d’infirmière à Brigitte Simonin, actrice ayant tourné beaucoup de films la décennie précédente et plus connue sous le nom de Brigitte Lahaie.
L’ensemble est donc à l’image d’Alain Delon lui-même : d’une incontestable « beauferie », mais à tout le moins, celle-ci s’avère clairement affichée et pour le moins décomplexée – Pour la peau d’un flic ne cherche pas à péter plus haut que son cul, et s’assume clairement en tant que divertissement populaire.
C’est d’ailleurs en revoyant ce film que nous apparaît aujourd’hui le plus nettement la façon dont l’acteur a pu « mal vieillir » en l’espace de trente ans : si autrefois il filmait des polars à destination d’un public simple, d’une « France d’en bas » qu’il aimait et estimait avec sincérité, aujourd’hui la donne semble avoir changé – probablement sûr de sa supériorité sur le petit peuple, l’acteur tant raillé pour s’être parfois laissé aller à parler de lui à la troisième personne s’en est récemment pris par voie de presse aux deux millions de « cons » qui selon lui regardent chaque soir l’émission de Cyril Hanouna Touche pas à mon poste. Que l’on apprécie ou pas le trublion du PAF, difficile d’adhérer réellement au mépris condescendant derrière lequel se cache Delon avec ce type d’assertions gratuites. On notera cependant que les utilisateurs des réseaux sociaux Twitter et Facebook ont promptement réagi aux propos de l’acteur en créant le hashtag #TouchePasAMesCons
Les Blu-ray
[4,5/5]
Fidèle à son excellente réputation en matière de Blu-ray de patrimoine, Pathé nous livre avec ces deux polars restaurés en 2K deux galettes assez exemplaires : préservant la granulation d’origine tout en nous proposant une image propre, stable et imposant sans peine un piqué précis et des couleurs naturelles (bien que peut-être un poil froides), ces deux Blu-ray font réellement honneur au support. Pas de bidouillages numériques à l’horizon, c’est du tout bon. Côté son, Trois hommes à abattre s’impose dans un DTS-HD Master Audio 2.0 d’origine d’origine tout ce qu’il y a de plus correct, tandis que Pour la peau d’un flic s’offre quant à lui un étonnant mixage DTS-HD Master Audio 5.1, étonnant dans le sens où la jaquette comme le menu n’indiquent que du mono. Respectueuse du mono d’origine, la piste est remarquable d’intelligence vis à vis de cette spatialisation « forcée » et reste essentiellement frontale, utilisant les enceintes surround de façon parcimonieuse et habile (musique…).
Du côté des suppléments, outre les bandes-annonces d’usage, l’éditeur nous propose de découvrir deux documentaires rétrospectifs d’une vingtaine de minutes chacun, orchestrés par Jérôme Wybon et faisant se succéder les images d’archive opposant Delon aux journalistes TV et les souvenirs et propos plus récents d’Olivier Rajchmann et Alain Terzian. Anecdotique mais intéressant.
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