The old guard
États-Unis : 2020
Titre original : –
Réalisation : Gina Prince-Bythewood
Scénario : Greg Rucka
Acteurs : Charlize Theron, Chiwetel Ejiofor, Matthias Schoenaerts
Distributeur : Netflix France
Durée : 2h05
Genre : Action, Science-Fiction
Date de sortie : 10 juillet 2020
Note : 3/5
Une petite bande soudée de mercenaires immortels, dirigée par la redoutable Andy, se bat depuis des siècles pour protéger les humains. Mais tandis que le groupe est engagé pour une mission des plus périlleuses, ses pouvoirs hors du commun sont soudain révélés au grand jour. C’est alors qu’Andy et Nile, tout dernier soldat à avoir rejoint l’équipe, doivent tout mettre en œuvre pour neutraliser leurs ennemis. Car ces derniers ne reculeront devant rien pour détourner les pouvoirs des immortels à leur profit…
Pluie de comics sur Netflix
Bien désireux de concurrencer Disney sur le terrain du film de super-héros, Netflix enchaine les adaptations de comics, multipliant les superproductions et les séries issues des pages de comics parfois prestigieux. The last days of american crime, Tyler Rake, Polar, The end of the f***ing world, Locke & Key, Umbrella academy, Warrior nun, V Wars, October faction… Et ce n’est pas fini ! Mark Millar vient en effet d’annoncer une adaptation de The magic order, et étant donné que le géant de la SVOD vient de signer des accords avec Boom Studios et Dark Horse Comics, on peut croiser les doigts pour voir prochainement débarquer films et séries autour de Something is killing the children, Once & future, Lumberjanes, Hellboy, The mask, Sin City, Barb Wire, Timecop, Dr. Rictus, etc.
The old guard quant à lui est adapté du « premier arc » de la série de comics éponymes, sortis chez Image Comics en 2017 (puis chez Glénat en France, début 2019). Greg Rucka et Leandro Fernández ont repris la série parallèlement au tournage du film, proposant un deuxième chapitre dont le cinquième et dernier volume sortira d’ailleurs le 15 juillet 2020, soit quelques jours à peine après la sortie du film sur Netflix. Sympathique sans être totalement ni novateur ni réellement original, le récit imaginé par Greg Rucka, mis en images par le talentueux Leandro Fernández, suivait une bande de mercenaires immortels menés par Andromaque de Scythie, alias Andy. Dynamique, très visuel et volontiers bourrin, le comic-book ne demandait qu’à être adapté avec la même énergie.
Charlize Theron veut botter des culs
Comme Disney ne semble pas des plus désireux de lui proposer un rôle dans l’univers Marvel, Charlize Theron a donc décidé de prendre le taureau par les cornes et de saisir sa chance elle-même. Quelques années après Aeon Flux, la revoilà donc en tête d’affiche d’un film d’action, coproduit par Skydance et Denver and Delilah Productions, la boite de production de l’actrice. Mais quinze ans après Aeon Flux, les choses ont considérablement changé à Hollywood, et Charlize Theron s’est souvent faite l’écho, et même le porte-étendard, de certaines des mutations du système de production Hollywoodien, reposant de nos jours beaucoup sur le buzz et les réseaux sociaux. Tous les films produits par Charlize Theron par le biais de Denver and Delilah Productions se sont donc affirmés comme des longs-métrages « conscientisés » : on ne peut aujourd’hui plus se permettre de simplement faire dans le divertissement, il faut faire le buzz.
Par conséquent, à l’image de Scandale, le précédent film produit et interprété par Charlize Theron, The old guard se verra récupéré d’un point de vue idéologique et affirmé « comic-book féministe », tout simplement parce qu’il met en scène –entre autres – une femme. C’est pile dans l’air du temps, on avait déjà eu le cas de figure avec la sortie de Wonder Woman en 2017. De nos jours, de toute façon, si une œuvre n’est pas misogyne, on peut automatiquement l’étiqueter féministe. D’ailleurs, rien que le fait d’écrire des aventures de Wonder Woman, Harley Quinn, de Black Canary ou de Black Widow suffit à être durablement considéré comme féministe. Greg Rucka l’avait déjà fait par le passé (notamment avec le formidable « Wonder Woman : Hiketeia »), The old guard et son personnage d’Andy enfoncent le clou. Vous pourrez ainsi lire certains de nos confrères dans la presse ou sur Internet affirmant le plus sérieusement du monde que le comic book ainsi que le film diffusé depuis hier sur Netflix s’inscrivent dans la mouvance de mouvements sociaux, progressistes et égalitaires de type #metoo ou « Black Lives Matter ».
Communication et récupération féministe
Blague à part, la récupération féministe du projet est d’autant plus flagrante que Charlize Theron, en habile maitre des marionnettes, a distribué de nombreux rôles techniques à des femmes sur The old guard. Tout d’abord, tout comme Wonder Woman il y a trois ans, le film est réalisé par une femme, Gina Prince-Bythewood. On ignore, au regard de sa filmographie, ce qui a pu l’attirer aux commandes d’un tel film d’action. Est-elle une « femme de paille » de la production ou entretient-elle une passion cachée pour les films de baston ? Dans le même ordre d’idées, la direction photo est co-signée par un homme et une femme (Barry Ackroyd et Tami Reiker), et le montage est également réalisé par une femme (Terilyn A. Shropshire). Tout a donc été orchestré par Charlize Theron pour mettre en avant « son » Wonder Woman à elle, et sa stratégie de communication semble avoir fonctionné, puisque l’arrivée de The old guard sur Netflix s’est de plus faite à grands renforts de publicité, avec une campagne d’affichage old school dans la France entière. Comme pour une sortie cinéma !
Ce talent pour faire monter la sauce, on le doit indéniablement à Charlize Theron, business woman agressive ayant parfaitement compris la façon dont fonctionne Hollywood aujourd’hui, et qui est parvenue à faire de The old guard un des événements cinéma de l’année. Cette façon d’utiliser tel un requin les codes de la communication à des fins promotionnelles est remarquable. C’est d’autant plus clair quand, en face d’elle, des actrices moins calculatrices telles que Milla Jovovich (Resident Evil) ou Kate Beckinsale (Underworld) ne parviennent plus à faire vivre leurs films, alors qu’ils utilisent purement les mêmes ficelles.
Des scènes d’action ternes et sans âme
Carré mais sans grâce, The old guard s’impose en effet comme un divertissement honnête, mais en aucun cas comme la claque attendue. Car ce que Charlize Theron a fait gagner en « respectabilité » à la série de comic-books, elle le lui a fait perdre en énergie. On a déjà évoqué à de nombreuses reprises ces derniers mois (notamment à l’occasion de la sortie de Tyler Rake sur Netflix) la tendance du cinéma d’action contemporain à nous proposer des films d’action « de cascadeurs », uniquement tournés vers la performance, le rythme et les exploits physiques et/ou techniques. Cette mode du bourrinage a littéralement envahi le cinéma d’action ces dernières années, pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire. Ce n’est pas du tout le cas avec le nouveau film de Charlize Theron. Comme on a tenté de l’expliquer quelques lignes au-dessus, il ne s’agit pas ici d’un film d’action « de cascadeur » mais d’un film d’action « de productrice ». Par conséquent, The old guard restera désespérément statique dans ses scènes d’action. Très limité techniquement par une Gina Prince-Bythewood prouvant, séquence après séquence, son incapacité à insuffler une quelconque énergie à son film, The old guard pèche finalement par là même où il aurait dû s’imposer, par manque de scènes d’action et de grand spectacle.
C’est dommage quand on pense à l’énergie et à l’inventivité que certains cinéastes auraient pu amener au projet. On admettra par ailleurs que ce manque d’efficacité et de gros morceaux spectaculaires fait perdre beaucoup de son intérêt au spectacle des aventures de ces immortels œuvrant dans l’ombre pour le bien de l’humanité. Si on ne se désintéresse jamais totalement de leur sort, on ne se passionnera pas non plus de savoir ce qu’il adviendra d’eux. C’est particulièrement dommage en ce qui concerne le personnage de Charlize Theron, dont la destinée change énormément en l’espace des deux heures que dure le film.
Pas féministe, mais progressiste
En guise de « féminisme », le film de Gina Prince-Bythewood s’échine essentiellement à retourner les archétypes virils du cinéma d’action, mais en ce qui concerne les femmes, The old guard est loin, très loin d’avoir été le premier à le faire. Sur l’équipe de cinq immortels, deux sont des femmes. L’homosexualité du personnage incarné par Charlize Theron est sous-entendue, ce qui, admettons-le tout de même, est un peu inhabituel dans un film d’action familial. C’est dans sa représentation franche et visuelle de l’homosexualité masculine que The old guard pourra surprendre en revanche. Sur les trois hommes, deux sont ouvertement homosexuels, et le film de nous réserver une petite surprise avec un bon gros french kiss échangé entre deux hommes à l’écran, chose rarissime au cœur du genre.
Mais à force de vouloir faire du zèle en affichant de façon claire des idées progressistes, le film finit par en tomber dans les excès inverses. Le troisième immortel de la bande, incarné par Matthias Schoenaerts, sera malmené par le scénario, qui le présente comme un personnage versatile et enclin à la trahison. Si l’on pousse le raisonnement un peu plus loin, on peut être à peu près sûr que The old guard n’est pas un film qui plaira beaucoup à Éric Zemmour, dans le sens où la représentation du seul « homme blanc hétérosexuel » de la bande se fait sous un jour négatif.
Solide, carré, très proprement et professionnellement mis en boite, The old guard est un film d’action de super-héros. Un pur divertissement donc, qu’on a arbitrairement voulu cataloguer « féministe » pour être dans l’air du temps, quitte à lui retirer sa raison d’être : divertir avec de grosses scènes d’action et de la castagne dans tous les coins. Restent cependant une poignée de séquences amusantes, une facture formelle globalement correcte ainsi qu’un début de « mythologie » qui pourrait aisément articuler une petite poignée de suites si le film rencontre le succès sur Netflix. Et si l’on en croit les grosses perches qui nous sont tendues en fin de métrage, on peut supposer que l’homosexualité de l’héroïne ainsi que ses relations avec le personnage incarné par Veronica Ngo seront au centre des débats dès le deuxième épisode.