A perdre la raison

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A perdre la raison

A perdre la raisonA perdre la raison

Belge, luxembourgeois, français, suisse : 2011
Titre original : A perdre la raison
Réalisateur : Joachim Lafosse
Scénario : Joachim Lafosse
Acteurs : Niels Arestrup, Tahar Rahim, Emilie Dequenne
Distribution : Les Films du Losange
Durée : 1h 51
Genre : Drame
Date de sortie : 22 août 2012

Globale : [rating:2][five-star-rating]

Lorsque, en 2006, le réalisateur belge Joachim Lafosse leur a offert coup sur coup Nue Propriété et Ca rend heureux, nombre de cinéphiles se sont réjouit de voir émerger un grand réalisateur, un réalisateur dont la suite de la carrière allait leur fournir film après film matière à se régaler, voire à s’extasier. Malheureusement, deux ans plus tard, Elève libre a fait pour beaucoup l’effet d’une douche froide. Qu’allait-il advenir de A perdre la raison, présenté dans la sélection Un Certain Regard du dernier Festival de Cannes ?

Synopsis : Murielle et Mounir s’aiment passionnément. Depuis son enfance, le jeune homme vit chez le Docteur Pinget, qui lui assure une vie matérielle aisée. Quand Mounir et Murielle décident de se marier et d’avoir des enfants, la dépendance du couple envers le médecin devient excessive. Murielle se retrouve alors enfermée dans un climat affectif irrespirable, ce qui mène insidieusement la famille vers une issue tragique.

A perdre la raison

A partir d’un fait divers

C’est un fait divers survenu en Belgique en 2007 qui a été à la source du nouveau film de Joachim Lafosse : l’histoire d’une femme qui a assassiné ses cinq enfants. Joachim Lafosse a vu dans ce drame la possibilité d’approfondir le thème récurrent de ses films précédents, le trop plein d’amour. Pas question pour lui de rechercher une vérité judiciaire mais plutôt de montrer que cet acte particulièrement monstrueux ne pouvait pas être le fruit du hasard. Nous voici donc invités à partager la vie et les problèmes d’un duo qui va vite se transformer en trio : depuis son enfance, Mounir vit chez le docteur Pinget qui, sans l’avoir adopté de façon officielle, le considère comme son fils. Par ailleurs, Mounir aime Murielle. Mounir épouse Murielle, Mounir et Murielle habitent dans la maison du docteur Pinget, Mounir et Murielle ont des enfants.

Du confort peut naître la tragédie

Malgré l’amour profond qui les unit, malgré l’aisance matérielle que leur fournit le docteur Pinget, la vie de Mounir et de Murielle n’est pas un long fleuve tranquille : Mounir est par trop dépendant d’André Pinget, l’homme à qui il doit tout ; pire encore, le couple n’a droit à aucune intimité dans cette grande maison. C’est ce que montre le réalisateur en utilisant une faute de cadrage volontaire. En effet, dans de très nombreux plans, le quart de l’écran, soit à droite, soit à gauche, est systématiquement flou. Un flou dans lequel on peut deviner, par exemple, un chambranle de porte. Des portes qui sont toujours ouvertes et qui permettent au docteur Pinget d’exercer facilement sa part de voyeurisme.

 A perdre la raison

Une quête d’intégrité mal maîtrisée

Dans ce contexte, ce qui intéresse Jérôme Lafosse, c’est l’évolution de Murielle : une femme amoureuse de son mari, une femme qui commence par s’attacher au docteur Pinget, une femme qui aime ses enfants ; une femme qui, petit à petit, se retrouve rabaissée par le médecin, par son mari et qui ne trouve un peu de réconfort qu’auprès de sa belle-mère. Une femme qui, in fine, va finir par craquer. Il faut reconnaître que la prestation d’Emilie Dequenne dans le rôle de Murielle fait partie des réussites du film. Elle a d’ailleurs obtenu le Prix d’interprétation féminine de la sélection Un Certain Regard. On retrouve par ailleurs le duo Niels Arestrup et Tahar Rahim qu’on avait déjà fort apprécié dans Un Prophète. Pourquoi donc, avec la présence de cet excellent trio, avec ce sujet si fort, est-on en droit de faire la fine bouche devant ce film ? Peut-être ne peut-on pas s’empêcher de penser à ce qu’auraient pu faire, sur ce même sujet tout à fait apte à les intéresser, trois parmi les plus grands réalisateurs du moment, les frères Dardenne et Michael Haneke ! En fait, le défaut principal de la réalisation de Joachim Lafosse est la recherche de l’intégrité absolue : à force de se retenir pour ne pas commettre le moindre impair, il en oublie trop souvent l’émotion, le frisson, la chair. Certes, il s’efforce de compenser en ajoutant une couche d’émotion avec la musique baroque, mais, face à ce qu’on voit, cette musique magnifique et émouvante (Scarlatti, Caldara) arrive à sonner faux, artificelle. Quant à l’effet tire-larmes de Murielle/Emilie Dequenne, assise dans sa voiture, écoutant et accompagnant Julien Clerc interprétant « Femmes je vous aime », on ne se sent pas forcément obligé de tomber dans le panneau.

Résumé

Il peut paraître surprenant de voir reprocher à un film sa trop grande intégrité. Pourtant, si on réfléchit bien, il y a, au minimum, deux sortes d’intégrité : d’un côté l’intégrité rigide qui enferme, qui coupe les ailes à toute envolée, qui interdit presque tout (pensez donc à la proximité entre intégrité et intégriste), de l’autre l’intégrité souple, « intelligente », celle qui libère, qui nous entraine toujours plus haut. Malheureusement, la recherche de l’intégrité absolue a, dans ce film, trop souvent poussé Joachim Lafosse dans les ornières de l’intégrité rigide. Trop souvent, mais, reconnaissons le, pas toujours !

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