Critique : Etre

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Etre

France, Belgique, 2014
Titre original : –
Réalisateur : Fara Sene
Scénario : Fara Sene et Daniel Tonachella
Acteurs : Bruno Solo, Salim Kechiouche, Benjamin Ramon, Djena Tsimba
Distribution : Cinétévé Distribution
Durée : 1h25
Genre : Drame
Date de sortie : 10 juin 2015

Note : 3/5

Quelle petite merveille insoupçonnée que ce premier film, qui ne paie pas de mine à première vue ! Pour tout vous dire, nous étions initialement allé le voir en projection de presse pour prendre des nouvelles de la carrière de Salim Kechiouche, l’ancienne icône du cinéma gay français qui, comme son contemporain Stéphane Rideau, a du mal à trouver des rôles en dehors du créneau du fantasme ténébreux ambulant. Le plaisir d’apercevoir cet acteur que nous avons toujours admiré dans le public à cette séance professionnelle a encore été décuplé par la découverte d’un nouveau talent prometteur derrière la caméra, en la personne du réalisateur Fara Sene. En effet, difficile à décider ce qui nous a le plus impressionné dans Etre : le courage téméraire de s’attaquer pour son premier long-métrage à un récit choral sur des tranches de vie très communes ou bien l’aisance et l’assurance avec lesquelles Sene remporte ce défi nullement gagné d’avance.

Synopsis : Les destins de quatre personnes vont se croiser dans une rue du 6ème arrondissement de Paris un soir fatidique. Pendant les dix-huit heures précédentes, leurs chemins se dirigent imperceptiblement vers ce rendez-vous important. L’existence du policier François ne tient plus qu’à un fil, à cause de sa femme malade et en dépit de son fils Diego qui vénère son père. L’étudiante Ester, fille adoptive, se rebelle contre sa mère et contre son histoire personnelle dont elle se sent dépossédée. Afin de mieux fuir les problèmes de sa vie quotidienne, elle incite une connaissance du monde virtuel, le fils de boulanger Christian, à tout plaquer chez lui en province et à monter à la capitale pour faire avec elle le tour du monde. Enfin, Mohamed, fraîchement sorti de prison, est tenté de reprendre les combines pour échapper à sa vie de famille terne et son travail de garagiste.

La Vie devant soi

Parmi les deux films que le réalisateur Fara Sene cite en tant qu’influences dans le dossier de presse, ni l’un, ni l’autre ne nous paraît particulièrement adapté pour tenir compte de la facture d’Etre. Et tant mieux pour ce dernier aurait-on envie de s’écrier, puisqu’il ne se focalise pas sur le monde de la pègre comme Amours chiennes de Alejandro Gonzalez Iñarritu et qu’il ne cherche pas non plus à mettre en avant les implications sociales de son intrigue comme Collision de Paul Haggis. La chose qui frappe d’emblée dans ce film-ci, c’est la justesse du regard de la mise en scène. Elle peut encore sembler un peu bancale lors de la séquence d’introduction, truffée de zones d’ombre et le point de départ du long retour en arrière qui constitue l’essentiel de l’histoire. Mais au plus tard dès que les petits gestes anodins, tel la répartition du jus d’orange au moment de la préparation du petit-déjeuner par François, ancrent l’action dans une réalité sans fard, tous les éléments du scénario se démarquent par une fraîcheur de ton assez incroyable, alors qu’ils auraient aisément pu verser dans le mélodrame digne d’un téléfilm.

Un montage qui coupe court à tout écart

Cette précision du point de vue bénéficie grandement de l’adresse du montage de Véronique Lange et Bruno Pons. Grâce à lui, toute tentative de tomber dans la tragédie lénifiante est vite écartée par le biais d’un agencement très fluide des différents fils de l’intrigue. Certains personnages ont ainsi beau se retrouver à l’hôpital, voire pire encore, le cours de la vie et du récit ne s’attarde pas outre mesure sur ces revers pour mieux distiller son message doucement fataliste. Même si la ville de Liège a parfois du mal à se faire passer pour Paris, un état d’esprit profondément solidaire traverse les rues de ce décor certainement trop optimiste, quoique pas non plus en proie à une exagération du trait à des buts moralisateurs. Par conséquent, la dimension sociale de l’histoire ne prend jamais le dessus sur le vécu individuel des personnages. Le peu de commentaire sur les préjugés les plus courants de notre époque se fraie presque délicatement son chemin, par exemple lors de l’assistance du groupe de « garçons » à Christian pour acheter son ticket de métro. Ce sont des détails comme celui-ci, en apparence sans importance mais en même temps très révélateurs de l’ouverture d’esprit appréciable de Fara Sene, qui confèrent ses lettres de noblesse à un film, qui n’est au demeurant pas à un revirement astucieux près.

Conclusion

Le dicton qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture s’applique parfaitement ici. Car contre toute attente, Etre s’avère être un film aussi touchant que peu complaisant. Sa forme chorale, qui aurait pu être un sérieux handicap, agît en fin de compte en faveur d’un équilibre prodigieux entre les personnages, tous crédibles et intéressants et tous interprétés avec une sincérité désarmante. Outre une rare incursion dans le registre dramatique – d’ailleurs tout à fait réussie – de Bruno Solo, signalons à ce sujet les interprétations à fleur de peau des jeunes comédiens Djena Tsimba et Kevyn Diana, respectivement dans les rôles de Ester et de Christian.

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