Suite de mon compte-rendu sur le Festival de Brive, on est toujours le vendredi 17 avril, la journée fut bien dense… la première partie, c’est ici. Au programme de cette deuxième partie : des mineurs ukrainiens pour qui Germinal n’est pas du passé, un homme-poulet, un monstre à tête de bite, des enfants dans une soucoupe volante, des racistes, du bizarre en veux-tu en voilà mais aussi des madeleines au chocolat !
Mines et (no) récréations
Dans la compétition, quelques beaux moments de cinéma sur lesquels on reviendra plus en détails, comme Vous qui gardez un cœur qui bat d’Antoine Chaudagne et Sylvain Verdet, Les Enfants de Jean-Sébastien Chauvin et Notre-Dame-des-Hormones de Bertrand Mandico dont la vision déjà fort marquante fut enrichie par la qualité des débats menés avec intelligence et pertinence par la déléguée générale du festival, Elsa Charbit, qui a marqué les festivaliers par la richesse des débats proposés que l’on adhère ou non aux projets de cinéma présentés. Antoine Chaudagne a ainsi évoqué ses nombreux voyages en Ukraine pour saisir l’intimité de mineurs gaziers dans ce que représente leur travail et leur impossible vie à côté, les dangers de leur métier, «la vie de merde» qui en résulte, la mort, la peur et l’ennui, avec une empathie et un vrai sens du cinéma dans ce documentaire où un argot fleuri contraste avec des intermède littéraire, où le grain du 16 percute les images (hideuses) d’un ordinateur, rare contact des mineurs avec l’extérieur et preuve rassurante (?) qu’ils ne vivent pas en autarcie. La tragédie du monde ouvrier captée sans détour avec deux personnages là encore percutants par deux réalisateurs qui se sont investis dans ce projet qui s’est préparé puis tourné sur une période de sept années. Cette idée de mêler social et cinéma est bien dans l’esprit du Free Cinéma, même si l’approche n’est pas strictement la même, autres temps, autres mœurs même si le calvaire ouvrier repose sur un cycle qui n’est pas loin du mythe de Sisyphe dans une souffrance sans fin. Évoquons plutôt une affinité d’esprit des réalisateurs, de leurs sujets et de l’équipe de sélection du festival.
Mon frère, ce héros…
Intermède comique et tendre aussi avec Mon héros de Sylvain Desclous qui change de registre après le plus strictement mélancolique Le Monde à l’envers, avec Myriam Boyer et Vincent Macaigne. Poulet sandwich dans un espace commercial anonyme, Yan distribue des prospectus dans un déguisement ni neuf ni propre et se montre soudain intéressé par un homme en costumes qui tente de vendre un vague terrain vague à des investisseurs chinois. Le hasard vient ainsi de réunir Yan et son frère Rémi qu’il n’avait pas vu depuis la mort de leur mère. Les situations comiques s’enchaînent malgré cette notion de tristesse qui imprègne l’arrière-plan au détour d’une phrase (« elle me manque » dit l’un, « moi aussi » réplique l’autre) et la relation tendue entre ces deux frères qui ne semblent avoir rien à se dire. Ils sont piégés dans leur vie de loser, pas heureux du métier qu’ils exercent ni de leur mode de vie, l’un prospecteur en investissement, l’autre sans réelle ambition professionnelle, juste heureux (au moins en apparence) de survivre et de s’amuser avec ses amis. Aucun des deux n’est vraiment satisfait de sa vie, ils font avec, leurs costumes leur permettant de se cacher leur ressenti profond comme des costumes de super-héros protègent l’identité secrète de ceux qui les portent.
De la rigolade franche mais aussi un vrai sens du cinéma avec ce plan où des éoliennes en action entourent un van au centre de l’image et qui se rapproche ou lorsque Rémi est assis sur un quai de train au centre du cadre là encore, une mise en place qui annonce que quelque chose de significatif va se placer, comme quoi la vision comique d’un auteur briviste peut être graphiquement soignée.
Signalons enfin last but not least la présence réjouissante d’Esteban en copain (forcément) rigolo. L’acteur le plus space du cinéma français se plaignait dans la bande-annonce du festival réalisée une nouvelle fois par Vincent Dietschy de ne pas aller à Brive. Voilà, c’est fait aussi grâce à son apparition dans une bétaillère, rajoutant une nouvelle apparition bizarre à sa carrière hétéroclite, souvent dans des moyens & courts-métrages qui sont souvent bien plus que moyens. On aimerait le voir un peu plus souvent dans des longs, comme dans La Fille du 14 juillet car Dieu soit loué pour Esteban (sans prosélytisme). Bienvenue à Damien Bonnard que l’on verra dans au moins deux autres films de la compétition, Petit lapin et La Terre penche, c’est un petit monde ma bonne dame, faisant de lui un successeur aux autres réguliers acteurs brivistes : Vincent Macaigne, Bastien Bouillon, Esteban donc ou Laetitia Dosch, notre héroïne 2014. Son frère déguisé en poulet est interprété par Guillaume Viry et tous deux forment ce nouveau beau duo dans un festival qui n’en manque pas. Comme Inupiluk de Sébastien Betbeder, Mon frère confronte des étrangers qui découvrent la France à des français à leurs yeux pittoresques et cette rencontre enrichit un peu tout le monde. Un peu de gravité tranquille derrière l’humour très bon enfant dans ce film de potes, de frères, frais et bien plaisant, chaleureux et à l’esprit débridé sans être vain. On attend son premier long-métrage sans trop d’inquiétude sur sa qualité éventuelle, le tournage de Vendeur où il dirige Gilbert Melki, Pio Marmaï, Sara Giraudeau, Pascal Elso et Clémentine Poidatz étant déjà lancé.
Si tu es raciste, c’est mal, si tu manges une banane, tu tues un taliban
Suite avec deux films qui, sans démériter, ne sont pas raccord avec mes envies de cinéma. Avec Souvenirs de la Géhenne, Thomas Jenkoe va à la rencontre d’habitants de Grande-Synthe pour les interroger sur le meurtre en 2002 d’un Maghrébin de 17 ans qui fut abattu par un certain J.D. dont les propos sont reconstitués d’après le dossier d’instruction de son procès. Le rapport au crime via les lieux familiers où le tueur est passé rappelle la théorie du paysage chère à Masao Adachi (Paysage de 17 ans réalisé par Koji Wakamatsu en restant l’étendard) mais on reste un peu à la porte de ce film trop long (plus de 50 minutes) dont le propos n’est pas d’une folle originalité et hélas pas transcendé par sa forme. L’Étranger de Camus est toujours d’actualité, « Killing an arab » (pour reprendre le titre d’une chanson de The Cure inspirée de ce texte) restant toujours aussi une soupape d’évacuation de l’ennui, de la vacuité pour des esprits affaiblis par le vide de leur vie. Les témoignages qui se succèdent sont comme sortis d’un micro-trottoir peu inspiré. Le réalisateur ne s’implique pas suffisamment et se contente de rappeler avec une absence de rythme dans le montage que l’on est toujours l’étranger d’un autre dans ces commentaires où explosent ces méfiances de communautés envers d’autres et ces théories du complot désarmantes de naïveté crasse. La France de ce film n’est pas belle, fait presque gerber, avec des propos haineux qui soulignent que nous n’irons pas au paradis car l’enfer est ici. Le propos est fort certes, mais où est la dimension cinématographique de l’oeuvre ?
Dans son documentaire expérimental Mamma är Gud, Maria Bäck filme ses conversations sur Skype avec sa mère dont les propos incohérents trahissent ses troubles psychiques : « les fleurs peuvent communiquer leurs pensées à ceux qui dorment », « chaque fois que tu manges une banane, tu fais mourir un taliban », variation étonnante sur la battement d’ailes du papillon. Nous ne voyons pas son visage dans le film. Le dispositif de mise en scène montre la réalisatrice lovée au bord de sa fenêtre, de profil, et en lieu et place de champs / contre-champs des plans interchangeables. La démarche pourrait émouvoir mais ce work in progress dont on peut saluer le style libre laisse indifférent. Un joli travelling avant dans un sentier ne suffit pas pour justifier la vision de cet essai trop personnel, presque gênant .
Pour me remettre de ce programme plombant, je profite d’un peu de temps libre dans un agenda de brut pour une PAUSE GOURMANDISE qui me permet de découvrir LA boulangerie de Brive, la boulangerie Golfier avec sa vitrine alléchante qui regorge (entre autres bons petits produits) de superbes madeleines aériennes et délicieuses avec un nappage chocolat qui a du bon goût de chocolat. Voyez ci-dessous, c’est un vrai coup de cœur. Pour Christophe Lemaire c’est le Cash Converters, pour moi c’est les gâteaux. Et pour ne rien gâter Françoise Lebrun partage mon enthousiasme !
Promenons-nous dans les bois pendant que le loup y est
Retour au cinéma avec une belle soirée riche en propositions de cinéma de genre. Dans Les Enfants de Jean-Sébastien Chauvin, une mère et ses deux enfants fuient une maison où un monstre semble enfermé dans le grenier et se réfugient dans la forêt. Ce récit fantasmagorique conservera jusqu’au bout sa part de mystère sur la séparation entre rêve et réalité. Un film enthousiasmant, sur une musique de Ulysse Klotz qui accompagne bien cet étrange objet sous influence spielbergienne avec des enfants qui vivent de grandes aventures, un père absent et guère flatté, une lumière venue de ciel (à la E.T.), des effets spéciaux minimalistes. On commence dans le réel bien gentil avant de déraper dans le gore, la fuite se faisant dans une brume enveloppant la campagne puis dans une forêt utilisée à la fois pour son aspect protecteur qu’inquiétant. On peut donc faire du fantastique en France, dans un beau cinémascope en plus, sans naturalisme à la française sur signifiant. Ici la direction d’acteurs est parfaite, les effets spéciaux a minima sont d’une belle simplicité et la profondeur du récit en non-dits sur cet étrange univers laisse de la place (mais pas toute la place non plus) à l’imagination du spectateur encouragé par celle des enfants qui sont les moteurs de cette étrange fable.
On sort de là ému et émerveillé dans cette ode à l’enfance torturée que l’on verrait bien développée sur un long-métrage, il y a suffisamment de matière pour, dans cette histoire imaginée avec la romancière Héléne Frappat. Le cosmos est réinventé comme dans un dessin d’enfants avec un final étonnant qui lorgne vers l’origine du monde. Les rochers granitiques de Huelgoat agissent comme une porte vers une autre dimension de réalité, un peu comme dans Pique-Nique à Hanging Rock, Chauvin n’étant ni plus explicite ni plus rassurant que Peter Weir dans la captation d’un fantastique dans un cadre réaliste mais certainement pas naturaliste, avec une sensibilité française d’épouvante et une dimension plus universelle avec monstre (une rareté tout de même dans le cinéma français) et soucoupe volante (encore plus).
Cinéma de monstre encore mais encore plus frappadingue avec Notre-Dame-des-Hormones de Bertrand Mandico à qui l’on devait l’étonnant Boro in the box (critique). Le cinéma est riche en grands moments d’actrices au bord de la crise de nerfs, ou sur le point d’être rejetées de l’Histoire, les deux chefs d’oeuvre indépassables étant Sunset Boulevard de Billy Wilder et Eve de Joseph Mankiewicz. Ici l’on pense plus à Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich ou Femmes Femmes de Paul Vecchiali (critique). Deux actrices passent un week-end dans une maison de campagne afin de répéter une pièce de théâtre (Oedipe), c’est l’idée de départ qui sera vite expédiée ad patres même si la question du jeu et de la scène sert de cadre à cet étrange objet de cinéma.
Lors d’une promenade dans les bois, l’une d’entre elles déterre une créature immonde qui devient un objet de convoitise pour les deux femmes, prêtes à tout pour la posséder aux dépends de l’autre. Deux grandes actrices Elina Löwensohn (révélée par Hal Hartley) et la rivettienne Nathalie Richard (Haut, bas, fragile) sont Lune et Lautre qui s’affrontent, agissent comme des ennemies implacables mais dont la vie dépend de la poursuite de leur duel qui repose sur l’idée de « ni avec toi, ni sans toi », leur rivalité semblant être le moteur de leur vie au quotidien. Tout séduit ici, la photo de Pascale Granel, le cadre, la mise en scène et l’imagination de Mandico, son goût pour les filtres. Chaque plan est un tableau qui fait avancer l’histoire grâce au montage de Laure Saint-Marc, aux décors de Astrid Tonnelier, aux costumes de Sarah Topalian, au son et aux effets spéciaux de David Scherer, génie du maquillage et de création de créatures bizarres. Celle du film (à la tête de bite, faut bien le dire), en latex, poils, liquides divers et confiture est championne du monde dans le genre, à la hauteur de son travail sur L’étrange couleur des larmes de ton corps ou Theatre Bizarre. Tourné en dix jours pour des raisons éminemment financières, le film n’est jamais victime de son économie modeste. À l’écran, de la belle image en super 16mm, des trésors d’imagination et de créativité, sous influence mais trouvant son propre style. Sans que cela soit écrasant, l’on pense à Mario Bava et sa Planète des Vampires, Paul Vecchiali et ses femmes démentes, Borowczyk lui-même dans son rapport à l’étrange, Jacques Demy avec ce salon de thé en plein air qui est d’une grande normalité dans le contexte, tout comme les chandeliers vivants à la Cocteau.
Mandico développe pourtant son registre à lui, son travail est artisanal mais précis. La pellicule assume son statut de matière sensible tout comme l’est cet ofni hilarant, crade, cruel, beau, inventif porté par ses deux magnifiques comédiennes soutenues elles-mêmes par la narration bonhomme de Michel Piccoli. La recréation du son en post-synchro crée un détachement, une forme d’hypnose, soulignant par petites touches la dimension hilarante de cette comédie expérimentale et viscéralement drôle avec plans soignés où tout passe, même l’improbable et de l’improbable, on en trouve beaucoup ici ! Comme le dirait Christophe Lemaire, «un film qui commence par la musique de Cannibal Holocaust (du regretté Riz Ortolani) est forcément bon». Bien vu (ou entendu) et bien dit ! Et bravo en passant à Christophe Taudière, de France 2, dont le réalisateur et l’actrice Elina Lowensöhn ont souligné le fantastique soutien qui a permis à cette créature étrange qu’est Notre-Dame-Des-Hormones de sortir des bois.
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