Compte-rendu Brive 2015 chapitre premier

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Départ de la gare d’Austerlitz pour Brive en ce vendredi 17 avril à 6h38 en mode warrior (c’est vraiment trop tôt pour un grand stressé du « mais non je ne vais pas louper mais peut-être que oui vais-je me réveiller suis-je encore endormi ») pour rejoindre le festival de Brive et sa love room (non mais c’est quoi ce porte-clefs ?) où l’on m’attribuera, en cette année où sept épisodes du Prisonnier Patrick Mc Goohan seront projetés, la chambre… numéro 6 (la preuve ci-dessous avec ma photo de la clef de l’amûr si j’arrive à la télécharger).

Pourquoi si tôt ? Stratégie militaire pour pouvoir 1) ne pas rater la séance de 12h30 car Paris – Brive, c’est cinq heures de train et partir à 7h45 cela veut dire que l’on arrive pile poil pour la séance et ça, ce n’est pas possible car cela veut dire, pas de déjeuner digne de ce nom et ne pas manger décemment à Brive, c’est comme ne pas voir de moyens-métrages à Brive (dans l’une des trois belles salles du Rex, voir la plus grande ci-dessous) ou ne pas tomber sur au moins l’un des deux frères Dardenne à Cannes.

BRIVE REX

Cheval de guère adulte

À propos des frères Dardenne (ça c’est de la transition), l’on retrouve leur Gamin au Vélo Thomas Doret dans un récit initiatique très masculin dans un centre de formation de jockeys où la compétition (beaucoup d’appelés, peu d’élus) exerce une pression de tous les instants et où le droit à l’erreur n’existe pas vraiment. Petit homme de Jean-Guillaume Sonnier saisit une attirance trouble entre le frêle blond (David) pour son camarade Eliab (Kamza Meziani) qui fait le mur chaque soir et le fascine comme l’être parfait auquel il voudrait ressembler voire plus si affinités. Il semble simplement curieux de la raison de cette fugue nocturne quotidienne mais la réalité est peut-être toute autre, ses questions ressemblant à un prétexte pour l’aborder. Il le suit du regard lorsqu’Eliab se déshabille en cachette de ses camarades pour vérifier qu’il est bien dans la limite du poids autorisé.

Petit homme 01

La forme de ce récit bien mené reste plutôt classique mais se suit plutôt agréablement avec des questionnements sur la bonne apparence, la bonne taille, les bonnes orientations et même si c’est sans grande surprise, entre la façon dont ils s’apprivoisent, se rapprochent, deviennent amis et confidents, jusqu’à une double trahison, se révèle être un regard juste sur l’adolescence et ses affres, dans les rapports intimes et de groupe. Après Olivier Gourmet et Jérémie Rénier dans La Promesse, Emilie Dequenne et Fabrizio Rongione dans Rosetta, Déborah François dans L’Enfant, Arta Dobroshi dans Le Silence de Lorna, Thomas Doret suit une impressionnante lignée d’acteurs contemporains majeurs du cinéma contemporain découverts par les Dardenne qui sont certainement surpris par une telle réussite, leur approche étant, à l’image d’un Robert Bresson et dans une moindre mesure (car l’on n’a pas encore assez de recul) de Bruno Dumont, de trouver l’interprète juste pour un film bien précis sans qu’ils soient destinés à une longue carrière.

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Déjà revu entre temps dans Renoir, il grandit sous nos yeux et affiche une présence saisissante, doublé d’un léger air de famille avec l’anglais Thomas Brodie Sangster. Malgré quelques maladresses ou lourdeurs (l’orgasme chevalin mécanique semblant surligner inutilement le ressenti inavoué du personnage de Doret), ce moyen-métrage de trente minutes fut une belle porte d’entrée vers le festival 2015. Le film est de nationalité suisse, preuve que Thomas Doret a bien fait d’apprendre à faire du vélo, car après la Belgique des Dardenne et la France de Renoir, la bicyclette est un moyen pratique pour se forger une carrière internationale. À moins qu’il ne prenne le train, mais là déjà ça fait moins rêver.

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Si t’as pas vu le Free Cinema, t’as rien compris

Dans le cadre du Focus sur le Free Cinema, deux grands moments du cinéma anglais, avec d’abord Momma Don’t Allow de Karel Reisz et Tony Richardson (1956), documentaire où les prolétaires Teddy boys se mêlent aux bourgeois bohème Toffs un samedi soir dans un club de Londres, le Wood Green Jazz Club où le jazz à l’américaine échauffe les esprits. Une captation vibrante et exaltante de la jeunesse et de la libération des mœurs saisie par la caméra experte et vive de Walter Lassally, l’un des grands noms de cette période et l’un de ses derniers témoins encore en vie qui nous a gratifié d’une belle rencontre de cinéma à la Cinémathèque voici seulement quelques semaines. La projection en pellicule nous a permis de retrouver l’essence et le sens de l’image de Lassally à qui l’on doit dans un toute registre le noir et blanc de Zorba le Grec.

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Ce tout premier film co-signé Karel Reisz et Tony Richardson est autant un exercice de style visuel qu’un document historique ancré dans son temps sans être figé dans un passé lointain. La classe ouvrière est au paradis du jazz, de la danse et de la bonne bière avec un regard fin sur le rapport de classes qui pourrait s’évanouir le temps d’un intermède musical. Après ce coup de maître partagé, les réalisateurs vont faire de très beaux débuts dans le long-métrage, Tony Richardson avec Look Back in Anger en 1958 et Karel Reisz avec Samedi soir dimanche matin le film qui fit d’Albert Finney en 1960 un espoir du cinéma britannique, l’un des rares longs-métrages qui sera présenté à Brive.

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Deuxième moment de ce cinéma en toute liberté, Together permet de rappeler, l’air de rien, une triste réalité : le cinéma féminin anglais n’existe pas. C’est raide mais c’est hélas bien vrai. Rare film réalisé par une femme au sein de l’industrie britannique, Together est signé Lorenza Mazzetti… d’origine italienne. Aucune autre réalisatrice au sein du Free Cinema, peu d’autres depuis jusqu’aux arrivées tardives de Beeban Kidron, Andrea Arnold ou Lynne Ramsay.

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Londres affiche encore les ravages de la Seconde Guerre Mondiale, à l’image de la capitale italienne saisie par Roberto Rosselini dans Rome, ville ouverte dix ans plus tôt (nous sommes en 1956, ce qui fait peur). Les protagonistes sont deux dockers sourds-muets qui sont comme une version mélancolique de Laurel et Hardy sortis du cinéma muet pour être eux-mêmes sourds et muets dans un monde sonore agressif et dans un contexte ouvrier noir et sans perspective de bonheur. Le duo est interprété par le peintre anglais Michael Andrews («Laurel») et le sculpteur écossais Eduardo Paolozzi («Hardy») un pionnier du pop art.

Eduardo Paolozzi et Michael Andrews
Eduardo Paolozzi et Michael Andrews

 

La réalisatrice saisit une vérité sensorielle et physique de l’époque, sans dialogues ou presque, en dehors de quelques chansons prononcés par les enfants, des comptines à l’aura menaçante. Dédié aux habitants de l’East End de Londres, Together pourrait donc être une franche comédie mais vire au tragique et au désespoir total, à l’image des premières apparitions déjà sinistres de ces enfants laissés à l’abandon dans un bidonville à ciel ouvert et jouant dans des terrains vagues à perte de vue. Ils sont libres de harceler ce duo de travailleurs pauvres, isolés par leur handicap, solidaires mais solitaires, condamnés au choix au mépris ou aux quolibets, aux moqueries. Ces gamins faussement innocents sont comme des évadés d’un cinéma d’horreur à l’italienne, plus dérangeants que dans Le Village des Damnés, annonçant les terrifiants bambins des Révoltés de l’an 2000.

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Le décor est un cadre tristement parfait pour ce récit post-apocalyptique avec ces gravats et ces ruines que l’on s’étonne de découvrir dix ans après la fin de la guerre. Visuellement la mise en scène est mouvante, accompagnant les errances silencieuses du duo avec de jolis idées comme un plan terrible sur un plan d’eau trop calme ou une séquence d’amour superbement cadrée, en deux temps, un couple s’embrassant dans l’embrasure d’une porte de chambre en ombres chinoises d’abord puis éclairé par une lampe à l’intérieur de la même chambre. Comme Momma Don’t Allow, le film est éclairé (parmi d’autres signataires) par Walter Lasally, John Fletcher signant encore le montage et la captation des bruits, participant à l’atmosphère inquiétante du son et de son absence de cette tragédie working class. Un peu du René Clair période À nous la liberté dans ce couple presque bonhomme, une influence probable sur l’oeuvre de Bill Douglas, l’un des héritiers du Free Cinema dans sa façon de saisir l’horreur d’être pauvre, Together est un jalon important du cinéma anglais, le découvrir un pur bonheur pour tout cinéphile.

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