Quatre légendes, mythes et figures importantes (et autres superlatifs plus que mérités) du cinéma mondial seront honorés dans cette sélection de très haute tenue qui vient d’être annoncée par les membres du Board of Governors de l’Académie des Oscars.
Le scénariste français Jean-Claude Carrière, le réalisateur japonais Hayao Miyazaki et l’actrice américaine d’origine irlandaise Maureen O’Hara recevront des Oscars pour l’ensemble de leur carrière et l’acteur, chanteur et militant américain Harry Belafonte, né dans les Caraïbes, sera honoré du prix Jean Hersholt qui honore autant sa carrière d’artiste que ses activités humanitaires. Cette année, pas de trophée Irving G. Thalberg qui honore à intervalles (trop) irréguliers des producteurs, le dernier ayant été remis à Francis Ford Coppola en 2010.
Né en 1931, Jean-Claude Carrière avait déjà reçu un Oscar en 1963 pour le court-métrage de fiction Heureux anniversaire réalisé avec Pierre Étaix pour qui il écrira quasiment tous ses courts et longs-métrages dont ses chefs d’oeuvre Le Soupirant, Yoyo, Tant qu’on a la santé et Le Grand Amour. Il a depuis été nommé à trois reprises à l’Oscar du scénario, la dernière fois pour L’Insoutenable légèreté de l’être de Philip Kaufman (adaptation de Milan Kundera, 1989) et les deux autres pour des films de Luis Buñuel, Le charme discret de la bourgeoisie en 1973 et Cet obscur objet du désir en 1978 d’après La Femme et le Pantin de Pierre Louÿs. Il a également écrit pour le cinéaste espagnol Le Journal d’une femme de chambre d’après Octave Mirbeau, Belle de jour d’après Joseph Kessel, La Voie lactée et Le Fantôme de la liberté et signe avec lui une adaptation du Moine de Matthew Gregory Lewis réalisé par Ado Kyrou.
Il collabore souvent avec Louis Malle (Viva María !, Le Voleur, Milou en mai), Jacques Deray (La Piscine, Borsalino, Un papillon sur l’épaule), Volker Schlöndorff (Le Tambour, Un amour de Swann, Le Roi des aulnes), Milos Forman (Taking Off, Valmont) et occasionnellement avec Marco Ferreri (Liza), Philippe de Broca (Julie pot de colle), Patrice Chéreau (La Chair de l’orchidée), Joël Santoni (Ils sont grands, ces petits), Claude Pinoteau (L’homme en colère), Jean-Luc Godard (Sauve qui peut (la vie)), Jean-Paul Rappeneau (Cyrano de Bergerac, Le Hussard sur le toit), Andrzej Wajda (Danton, Les Possédés). L’Alliance de Christian de Chalonge restera comme l’une des oeuvres les plus marquantes des années 70, un conte fantastique cruel et paranoïaque avec l’une des fins les plus surprenantes du cinéma et dont il tient le premier rôle, celui d’un vétérinaire qui se marie par l’intermédiaire d’une agence matrimoniale avec Anna Karina dans ce qui reste comme son apparition devant la caméra la plus marquante parmi ses rares incursions.
Au milieu des années 80, il écrit Max mon amour pour Nagisa Oshima avec son histoire d’amour pour le moins originale. Jamais figé dans les registres, il est autant à l’aise dans les adaptations de grand romans (citons encore Le Général de l’armée morte de Luciano Tovoli, d’après Ismail Kadare), les faits historiques, les films noirs et les comédies, les drames et la science-fiction ou l’étrange, les auteurs à la réputation inattaquable ou les iconoclastes (qui sont parfois les mêmes!), travaillant par exemple avec l’unique Jess Franco à ses débuts pour Le Diabolique Docteur Z (ou Dans les griffes du maniaque) et Cartes sur table. Pour Peter Brook, il a adapté plusieurs textes pour le théâtre dont Le Mahabharata qui fut capté pour Arte (la Sept à l’époque) dans une mise en scène inoubliable. Plus récemment, il a signé des oeuvres très différentes sur le fond et la forme, comme Birth de Jonathan Glazer, L’Artiste et son modèle de Fernando Trueba et Syngué sabour, Pierre de patience de Atiq Rahimi d’après le Prix Goncourt de ce dernier. Il a obtenu le César pour Le Retour de Martin Guerre, et trois autres nominations pour Cet obscur objet du désir, Danton et Cyrano de Bergerac. Enfin, il a écrit de très beaux téléfilms pour la télévision, surtout avec Jean-Daniel Verhaeghe (Bouvard et Pécuchet, La Controverse de Valladolid…).
Avant lui, les seuls autres français à avoir reçu un Oscar d’honneur étaient Charles Boyer, Maurice Chevalier, Henri Langlois, Jean Renoir et Jean-Luc Godard. L’Academy des Oscars a consacré une soirée à son complice Pierre Étaix qui a alors lui aussi reçu un Oscar d’honneur, mais en dehors de la cérémonie officielle.
Déjà titulaire d’un Oscar du meilleur long-métrage d’animation pour Le Voyage de Chihiro en 2002, Hayao Miyazaki est, à 73 ans, le cadet de ces lauréats. Il fut encore nommé pour Le Château ambulant en 2005 et Le Vent se lève l’an dernier. Considéré comme l’un des plus grands réalisateurs de dessins animés d’aujourd’hui, le co-fondateur des studios Ghibli (avec Isao Takahata) a dirigé onze longs-métrages de cinéma dont Nausicaä de la vallée du vent, Le Château dans le ciel, Mon voisin Totoro, Porco Rosso qui n’ont commencé à sortir en salles qu’à partir du milieu des années 90, les sorties se faisant plus régulièrement à partir de Princesse Mononoké. Son premier long, Le Château de Cagliostro, n’a pas encore connu d’exploitation en salles en France.
Née en 1920, Maureen O’Hara est elle la doyenne de cette distribution. Repérée par Charles Laughton, elle fait ses débuts à ses côtés dans La Taverne de la Jamaïque d’Alfred Hitchcock mais sa filmographie hollywoodienne impressionnante débute réellement en 1939 lorsqu’elle obtient le rôle d’Esmeralda face à l’acteur-producteur dans le Quasimodo de William Dieterle. Jean Renoir la dirige aux côtés de son mentor dans Vivre libre. Elle apparaît dans les films de sabre Le Cygne noir d’Henry King avec Tyrone Power et Sinbad le marin de Richard Wallace avec Douglas Fairbanks Jr dans le rôle-titre, les westerns Buffalo Bill de William Wellman ou Sur le territoire des comanches et À l’assaut du Fort Clark de George Sherman, les films de pirates Pavillon noir de Frank Borzage ou À l’abordage avec Errol Flynn, le film d’espionnage décalé Notre agent à la Havane (d’après Graham Greene) avec Alec Guinness et les comédies familiales Le Miracle de la 34ème rue avec Edmund Gwenn dans le rôle du Père Noël, Bonne à tout faire, La fiancée de Papa ou Monsieur Hobbs prend des vacances avec James Stewart. Elle trouve ses plus beaux rôles sous la direction de John Ford, qui l’emploie à cinq reprises, notamment dans Qu’elle était verte ma vallée, Rio Grande et surtout L’Homme tranquille dont la magie de la qualité plastique met en valeur sa chevelure rousse flamboyante. Elle y partage l’affiche avec John Wayne dont elle sera à cinq reprises la partenaire, jouant à chaque fois son épouse et dont elle fut une amie proche jusqu’à son décès. Elle fut aussi la partenaire de Henry Fonda dans le film de guerre Aventure en Libye de John M. Stahl. Sa féminité et ses talents athlétiques lui ont permis une rare versatilité d’emploi, en retenue dans des drames sérieux, pétillante dans les comédies et physique dans des films d’aventures où elle effectuait souvent ses cascades elle-même et affichait son talent pour l’escrime (Les fils des mousquetaires pour ne citer qu’un exemple). On peut apprécier sa belle plastique en liberté (hélas pas assez) dans le rôle titre de Lady Godiva of Coventry d’Arthur Lubin. Sa carrière au cinéma s’est achevée aux débuts des années 90 avec la comédie Ta mère ou moi où elle était la maman envahissante du regretté John Candy.
Harry Belafonte, 87 ans, est autant reconnu pour ses qualités d’acteur et de chanteur (de calypso surtout) que pour son engagement politique et social, notamment aux côtés de Martin Luther King dont il a soutenu humainement et financièrement l’engagement. Le Prix Jean-Hersholt est un Oscar attribué à une personnalité qui s’est illustrée dans des activités philanthropiques mais honore également sa carrière artistique. Récemment, le trophée a été attribué à Oprah Winfrey, Jeffrey Katzenberg et à Angelina Jolie. Sélectif dans les rôles qu’il acceptait (une quinzaine de films en cinquante ans de carrière), il a souvent choisi des films avec des portées politiques comme Carmen Jones d’Otto Preminger, où il est (scandaleusement) doublé pour les séquences musicales (!) et Une île au soleil de Robert Rossen, deux longs-métrages où il a Dorothy Dandridge comme partenaire, le film noir Le Coup de l’escalier de Robert Wise et son chef d’oeuvre, Le monde, la chair et le diable de Ranald MacDougall, où il apparaît comme le dernier survivant dans un New-York post apocalyptique. Au milieu des années 90, il a deux très beaux rôles dans les inégaux Kansas City de Robert Altman et White Man où il s’oppose à John Travolta dans un univers où les blancs sont une minorité opprimée par les oppresseurs noirs. Son dernier long-métrage est Bobby de Emilio Estevez qui revient sur le meurtre de Bobby Kennedy et où il échange quelques propos politiques avec Anthony Hopkins. Depuis 1987, il est ambassadeur de bonne volonté pour l’UNICEF et s’est déplacé dans le monde entier pour faire évoluer les droits des enfants, la lutte contre le SIDA ou lutter contre la famine. En 1985, il est l’un des talents réunis pour la chanson We Are the World et Tim Burton le remet au goût du jour avec la chanson Day-O dans son film Beetlejuice.
http://www.dailymotion.com/video/x1jge8_harry-belafonte-day-o_music
Ironie de cette sélection, Harry Belafonte est l’une des personnalités qui s’est le plus fortement exprimé contre la présidence de George W.Bush alors que Maureen O’Hara a toujours ardemment soutenu le Parti Républicain!
Les trophées de la sixième cérémonie annuelle des Governors Awards, indépendante de la soirée de remise des prix des Oscars depuis 2009 aura lieu le 8 novembre prochain au Ray Dolby Ballroom. La présidente des Oscars Cheryl Boone Isaacs a fait cette déclaration : ‘Les Governors Awards nous permettent de nous pencher non pas sur une année de cinéma mais sur les mérites d’une vie entière. Nous sommes absolument enthousiastes à l’idée de rendre hommage à ces membres éminents de notre communauté cinématographique mondiale et impatients de les fêter en novembre prochain.’
Les précédents lauréats des Governors Award :
2009: l’actrice Lauren Bacall, le producteur John Calley, le réalisateur et producteur Roger Corman et le directeur de la photo Gordon Willis.
2010: le réalisateur Jean-Luc Godard, l’historien et documentariste Kevin Brownlow, le réalisateur, scénariste et producteur Francis Coppola, l’acteur Eli Wallach
2011: l’acteur James Earl Jones, le maquilleur Dick Smith, l’actrice et productrice Oprah Winfrey
2012: le producteur Jeffrey Katzenberg, le cascadeur Hal Needham, le documentariste D.A. Pennebaker et le producteur George Stevens Jr
2013 : l’actrice et productrice Angelina Jolie, l’actrice Angela Lansbury, l’acteur et scénariste Steve Martin et le créateur de costumes Piero Tosi