Whiplash
Etats-Unis : 2013
Titre original : Whiplash
Réalisateur : Damien Chazelle
Scénario : Damien Chazelle
Acteurs : Miles Teller, J.K. Simmons, Paul Reiser, Melissa Benoist
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h36
Genre : Biopic, drame
Date de sortie : 24 décembre 2914
Note : 4,5/5
Whiplash est comme son titre l’indique, un coup de fouet administré par un réalisateur doué, accompagné par deux grands acteurs qui se livrent à un duel inoubliable : Miles Teller en batteur ambitieux et J.K.Simmons en mentor trop exigeant.
Synopsis : Andrew, 19 ans, rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s’entraîne avec acharnement. Il a pour objectif d’intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher, professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l’excellence…
La Colline des Hommes Perdus du jazz
Andrew Neyman rêve de devenir le meilleur batteur de sa génération. Il répète sans relâche et intègre l’université de Shaffer dans le but de rencontrer Terence Fletcher, chef d’orchestre à la grande réputation. Les méthodes de ce dernier sont rudes, quasi inhumaines, à faire rougir et presque passer pour des amateurs les sergents instructeurs sadiques de Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (R.Lee Ermey) ou de La Colline des hommes perdus de Sidney Lumet (Ian Hendry). J.K.Simmons trouve le rôle de sa vie avec cet homme à l’autorité naturelle qui ne connaît pas ses limites et encore moins celle de ses élèves/esclaves. Il se jette sur eux comme un rapace fond sur ses proies avec une délectation non feinte. Tel un aigle furtif, il soigne ses entrées et ses sorties afin d’exercer une forme de peur qui les prive de leur capacité à réagir. Chacune des répliques de cet homme dévoué à sa fonction mais capable d’injustice flagrante sonne comme un coup de fouet (whiplash en anglais). Aussi drôle qu’inquiétant, l’acteur ne fait pourtant pas de son personnage une caricature et souligne la sincérité perturbante de ce misanthrope capable parfois de laisser son humanité transparaître. Ce sont deux grandes ambitions qui vont s’affronter dans ce duel sans merci.
Pour la gloire…
Andrew n’est pas un héros pur, il trouve en Fletcher quelqu’un qui nourrit sa quête de gloire, de réussite plus précisément. Il souffre et apprend, s’améliore mais comme son maître, va trop loin, blessant lui même ses proches avant d’exploser en vol puis de renaître comme un phénix. Il montre plus de respect à celui qui est dépeint pourtant comme un monstre qu’à son père ou sa petite amie. Le personnage du père dénué d’ambition (il n’a jamais poursuivi ses rêves d’écrivain et se contente de son métier de professeur de fac) est interprété avec modestie par Paul Reiser (la série Dingue de toi ou Aliens 2 de James Cameron), touchant dans ce rôle en retrait mais néanmoins bien présent lorsque c’est nécessaire. Melissa Benoist est l’angélique copine rejetée car possible frein à sa future carrière alors qu’elle assume ne pas savoir ce qu’elle fera quand elle sera ‘grande’. Leurs échanges ne sont pas sans évoquer ceux entre Jesse Eisenberg et Rooney Mara dans The Social Network avec une même efficacité que dans les dialogues écrits par Aaron Sorkin. Avec ces personnages secondaires qui ne partagent pas cette même ambition, Whiplash est aussi une captation de l’horreur de l’échec et d’une quête d’éternité de l’artiste qui s’affiche dans un dîner de famille qui n’est pas exempt de cruauté. Cette terreur de l’oubli est, en plus d’un amour profond de la musique, une motivation pour le maître et son disciple qui partagent un même rêve, celui de l’immortalité grâce au travail artistique. Ce sentiment n’a pas été si souvent capté au cinéma, et plus souvent dans des films sur la danse que sur la musique.
La musique est un sport de combat
La mise en scène viscérale accompagne au plus près le chaos moral et physique de ses protagonistes, autant le duo central que les membres du groupe de jazz terrorisés mais passionnés. Chaque séquence de répétition est filmée comme un match de boxe. Le sang coule d’ailleurs comme sur un ring, avec vainqueurs et perdants. Le montage syncopé est à l’image de l’énergie. Le final, sur le standard Caravan immortalisé par Duke Ellington, est l’un des plus beaux solos de batterie vu sur un écran voire sur une scène de concert, autant un très grand moment de musique que de cinéma. L’autre grand classique du jazz qui donne son titre au film, composé par Hank Levy, est capté ici avec magie, malgré le sentiment d’horreur dans la façon dont il est dirigé d’une main de fer par Fletcher (voir extrait ci-dessous).
Visuellement, la photo de Sharone Meir est l’une des plus marquantes du Festival de Cannes 2014 qui n’est pourtant pas avare en grandes réussites de ce côté là. L’esthétique expressionniste souligne avec élégance les corps et les silhouettes qui se découpent sur fond noir. Ce superbe travail sur l’image souligne aussi la douleur physique de Miles Teller qui se donne à fond dans son rôle et confirme son statut de révélation de l’année, après The Spectacular Now qui avait marqué ce début d’année. Il se lâche sans retenue tout en évitant les excès du numéro de foire, en bref, sa prestation est extraordinaire.
Bande-annonce :
http://youtu.be/ruCvIjit-BY
Conclusion
Damien Chazelle a trouvé le juste tempo pour raconter une histoire librement inspirée de sa propre rencontre avec un tel enseignant qui l’avait dégoûté de la musique. Grand prix de Sundance en janvier dernier et présenté avec succès à la Quinzaine des Réalisateurs, Whiplash est le récit complexe d’un duel musical avec des personnages ambivalents qui luttent contre leurs limites pour accéder à une forme d’immortalité, ce qui ne se fait pas sans douleur.
Ci-dessous, un enregistrement du morceau Whiplash par le Fontainebleau Jazz Ensemble One