Le réalisateur de La Frappe ( voir la critique ) s’est illustré avec ces quelques courts-métrages avant ce premier long-métrage d’une grande force et où son talent de narrateur s’affiche, avec des thématiques qui se répètent d’oeuvre en oeuvre.
Boys (2008)
Ce court-métrage de Yoon Sung-hyun est la matrice évidente de La Frappe (Bleak Night), son premier long à la thématique très proche. Son trio de protagonistes vivent les mêmes rapports humains et parfois ambigus, entre amitié virile et attirance niée. En cassant par accident le cerf-volant de Tae-joon, Park Tae-jon culpabilise et cherche à se rattraper. Son ami d’enfance, Bum-seok, ne comprend pas cette amitié naissante entre celui qu’il connaît depuis toujours et ce taiseux qu’il méprise ouvertement. Les deux adolescents, l’opprimé et l’oppresseur s’interrogent sur la motivation de celui qui cherche à comprendre celui qu’il pourrait molester comme les autres sont tentés de le faire. Et la réponse n’est aisée pour aucun des trois. La première scène montre Bum-seok pris à fumer dans les chiottes des profs et puni pour cela et ce qui pourrait n’être qu’une scène amusante est le premier jalon de l’éloignement entre deux amis dont les aspirations ne sont plus les mêmes.
Le réalisateur s’intéresse ainsi à observer comment la pression sociale du groupe s’exerce avec force et comment il est possible d’y résister. Est-il possible d’être ami avec deux personnalités opposées ou faut-il accepter qu’un changement soit définitif ? Et l’aveu d’une trahison devient un non-événement car il impliquerait une remise en question futile. Un petit film d’une grande force, profond, l’air de rien malgré l’évidente réflexion de ce cinéaste naissant.
Day Trip (2008)
Deux amis en attendent un troisième qui leur avait proposé de faire un petit voyage pour se détendre. Sans l’argent de cet ami, ils se retrouvent avec trop peu d’argent pour se déplacer, contraints à errer sans but. Comme des clochards, ils restent assis sous un pont sale, incapables de faire un choix entre rentrer chez eux ou une destination plus accessible. Petites disputes, ils cherchent à s’occuper et comme de bien entendu dans un film coréen, la bière semble être une solution. Celui qui est désigné pour faire les courses retrouve à cette occasion une ex-petite amie, accompagnée d’un homme plus âgé qu’elle. Elle a désormais un enfant et face à celle qui a grandit plus vite que lui, la dérive de ces deux adolescents attardés devient assez pathétique. Le ton est presque à la comédie, mais ce n’est qu’une façade. Le réalisateur Yoon Sung-hyun sait filmer les faux-semblants et la comédie des apparences. Un regard pertinent sur une jeunesse qui ne sait pas grandir. Comme dans La Frappe et Boys, le trio devient duo, même si le premier n’apparaît pas dans ce film et la séparation des deux autres ne saurait tarder non plus. À croire que le roman de Agatha Christie, Dix Petits Nègres, est une source d’inspiration indirecte.
Drink & Confess (2009)
La mise en scène de ce très court-métrage de 4 minutes est d’une grande simplicité. Le cadre est celui d’un plan fixe : sur le côté gauche, une jeune femme est assise, et tourne le dos à un jeune homme qui la touche presque. Elle discute avec son amie qui lui fait face hors-champ, même chose pour lui. Les deux garçons se demandent si elles peuvent les entendre lorsqu’ils parlent d’elles dans des propos qui ne sont pas d’une grande élégance. Si leur départ précipité ne fait aucun doute, celui qui était à l’écart ne doute de rien et tente de les rattraper pour leur demander leurs coordonnées. L’autre attend face à la caméra et tous deux déçus de leur échec font un essai pour vérifier si elles ont pu entendre ce qu’ils disaient. Et alors ce petit échange comique change de cap et un ‘ I love you ‘ tout simple prend une portée surprenante. Lorsqu’un court parvient à évoquer beaucoup de choses en si peu de temps, c’est la preuve d’un potentiel intéressant. L’essai devient alors confession étonnante suivie d’un silence qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Un exercice de style malin et plus complexe qu’il n’y paraît, dans une approche humoristique, absente de Boys et La Frappe du même réalisateur, et qui se retrouve un peu, mais à peine dans Daytrip mais surtout dans son film le plus récent, Banana Shake, comédie autour du racisme et des préjugés.
Banana Shake (2010)
Banana Shake (milk-shake à la banane) fait partie d’une collection de films à sketchs dont le but est de dénoncer le racisme latent de la société coréenne. Le réalisateur détourne les lieux communs sur les préjugés sociaux et culturels avec cette comédie de mœurs. Un groupe de déménageurs coréens est confronté à la disparition de bijoux chez leurs clients, des petits bourgeois faussement bohèmes. Alvin, le philippin, seul étranger de l’entreprise, est soupçonné. Bong-ju, son collègue qui aime à se moquer de lui en lui faisant apprendre de mauvaises tournures de phrases (‘ fais pas ton innocent ‘ comme synonyme de ‘ merci ‘) se sent coupable. Il a en effet lui-même détourné quelques objets de valeur. En prenant sa défense, une amitié absurde se crée alors, et qui repose sur une suite de mensonges. Comment rendre ce qui a été volé sans faire face à la police, sans perdre sa place ou la face devient la quête de Bong-ju. Son interprète Jung Jae-woon est savoureux de malice et de calcul maladroit. On s’attache à ce faux méchant et à sa relation étonnante avec Alvin. Leurs échanges autour de Al Pacino, entre Scarface et L’Impasse est un hommage cinéphilique amusant. Le réalisateur fait à nouveau preuve d’une capacité à comprendre la complexité des relations humaines, où le bien et le mal se mêlent et où chacun n’est jamais tout à fait ce qu’on attend de lui. Un constat certes amer mais qui laisse la place à l’espoir. Film le plus léger de son auteur qui n’oublie tout de même pas sa capacité à observer la société qui l’entoure avec une grande finesse de caractérisation. On retrouve aussi dans un petit rôle l’interprète de ‘ Becky ‘ dans Bleak Night.