Critique : Ilo Ilo

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affiche Ilo IloIlo Ilo

Singapour : 2013
Titre original : Ba Ma Bu Zai Jia
Réalisateur : Anthony Chen
Scénario : Anthony Chen
Acteurs : Yann Yann Yeo, Tianwen Chen, Angeli Bayani, Koh Jia Ler
Distribution : Epicentre Films
Durée : 1 h 39
Genre : Drame
Date de sortie : 04 septembre 2013

Globale : [rating:3][five-star-rating]

Après avoir été le premier réalisateur de Singapour primé au Festival de Cannes, avec son court métrage Ah Ma, mention spéciale en 2007, Anthony Chen a récidivé cette année en étant le premier de son pays à remporter un prix pour un long métrage, en l’occurrence la Caméra d’Or, pour Ilo Ilo, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2013. Même si on peut penser qu’un certain nombre d’autres films méritaient davantage cette récompense prestigieuse, comme Fruitvale StationLa Jaula de Oro et, surtout, les garçons et Guillaume, à table de Guillaume Gallienne, Ilo Ilo est un film dont le sujet s’avère très intéressant, à la fois universel et totalement ancré dans une période particulière de l’histoire de Singapour. Dommage que la réalisation ne soit pas tout à fait au même niveau !

Synopsis : A Singapour, Jiale, jeune garçon turbulent vit avec ses parents. Les rapports familiaux sont tendus et la mère, dépassée par son fils, décide d’embaucher Teresa, une jeune Philippine. Teresa est vite confrontée à l’indomptable Jiale, et la crise financière asiatique de 1997 commence à sévir dans toute la région…

Ilo Ilo 4

L’enfant infernal et la nounou

Obnubilés qu’on est par LA crise, celle que le monde occidentale subit depuis 2007, nous avons complètement oublié la crise économique asiatique qui a touché la plupart des pays de l’Asie du Sud-Est à la fin du siècle dernier. Ilo Ilo nous permet de nous rafraîchir la mémoire puisque cette crise sert de toile de fond à une histoire, probablement assez autobiographique, mettant en scène 4 personnages principaux. Fin 1997, cette crise financière commence à toucher Singapour. Le film nous introduit chez un couple de la classe moyenne, Teck et Hwee Leng. Tous les deux ont un travail, tous les deux sont d’origine chinoise, comme les trois-quarts de la population de cet état. Ils ont un fils d’une dizaine d’années, Jiale, que même Françoise Dolto aurait qualifié d’insupportable. Hwee Leng, enceinte, n’arrivant plus à s’occuper de Jiale tout en travaillant, le couple décide d’engager une nounou. Celle-ci, Teresa, que la famille va appeler Terry, est venue trouver du travail à Singapour pour améliorer son existence, tout en souffrant d’avoir dû laisser son fils âgé de un an à la garde de sa sœur. Les premiers rapports entre Jiale et Terry sont difficiles, TRES difficiles, Jiale se montrant particulièrement odieux avec Terry, qu’il traite quasiment en esclave. Assez vite, un accident permet à Jiale de se rapprocher de Terry qui devient alors pour lui sa seconde maman. Pendant ce temps là, la crise s’amplifie et le chômage gagne du terrain.

Ilo-IloUne fiction bien documentée

Anthony Chen ne s’en cache pas, il s’est beaucoup inspiré de sa propre enfance pour réaliser ce premier long métrage : lui-même avait 13 ans lorsque la crise financière a commencé à frapper Singapour ; son père a connu alors le chômage ; ses parents étaient d’origine chinoise et faisaient partie de la classe moyenne ; lorsque Anthony avait 4 ans, sa maman avait engagé une nounou philippine et elle s’est occupée des enfants pendant 8 ans. Son prénom : Teresa ; sa province d’origine, aux Philippines : Iloilo ! Cela étant, Ilo Ilo n’est pas un film autobiographique. Quand bien même Anthony Chen l’aurait-il souhaité que des impondérables l’en auraient empêché. Par exemple, le fait que Yann Yann Yeo, actrice qui jouait dans son court métrage Ah Ma et qu’il souhaitait retenir à nouveau pour interpréter le rôle de Hwee Leng, la mère de famille, soit enceinte au moment du tournage l’a obligé à adapter son scénario en fonction de cet élément imprévu. Ilo Ilo est donc une fiction qui raconte avec justesse et beaucoup de soin l’histoire d’une famille somme toute très banale, avec ses bons moments et ses moments difficiles, sur fond de crise sociale. Pourtant, bien que très simple, cette histoire permet au spectateur de se poser un certain nombre de questions. Exemple : à la vision du film, on peut légitimement se demander ce que le réalisateur pense de l’influence de la vie professionnelle sur la vie de famille. En effet, le titre original du film (Ba Ma Bu Zai Jia) signifie « Maman et papa ne sont pas à la maison », et cette double absence représente probablement pour le réalisateur l’explication du comportement odieux de Jiale au début du film. Lorsque, pour lui, Terry devient sa 2ème mère, une mère qui, elle, est toujours à ses côtés, Jiale change du tout au tout et devient un gamin charmant pour son entourage. Anthony Chen pense-t-il qu’un enfant doit avoir quasiment en permanence un de ses parents à portée de main pour que son éducation soit réussie ? La mère au foyer serait elle la solution qu’il préconise ? Ou peut-être juge-t-il que ce problème de l’absence des parents vient d’un monde du travail trop dur avec ses employés, un monde dans lequel ces derniers doivent sacrifier leur vie de famille pour réussir leur vie professionnelle, voire même, vue la situation de crise, pour seulement pouvoir conserver leur job ? Des questions fort intéressantes auxquelles le film n’apporte pas de réponse évidente. Par contre, le film est beaucoup plus explicite en ce qui concerne les relations entre Teck et Hwee Leng, le premier n’osant pas avouer à son épouse qu’il a été licencié. Plus explicite aussi sur la naissance d’une forme de jalousie lorsque Hwee Leng s’apperçoit des liens très forts entre son fils et Teresa. Il y a aussi une très belle scène qui interpelle quant aux relations entre communautés à Singapour : lors d’un repas chez des parents auquel Teck, Hwee Leng et Jiale se sont rendus avec elle, la nounou, philippine, catholique, n’est pas acceptée à la table familiale. Jiale vient alors manger avec elle et lui offre son assiette de soupe aux ailerons de requin.

ilo ilo 3Un film estimable

Pour réaliser son film, Anthony Chen était assisté de la malaisienne Charlotte Lim, réalisatrice il y a 4 ans du long métrage My Daughter. Le Directeur de la photographie s’appelle Benoit Soler, c’est son premier long métrage à ce poste, il est français mais il a fait l’essentiel de sa formation en Angleterre. Concernant ses sources d’inspiration,Anthony Chen se dit lui-même admirateur du travail d’Hirokazu Koreeda, de Yasujiro Ozu, d’Edward Yang, de Hou Hsiao Hsien et de Lee Chang-Dong. Pas de surprise : on retrouve là les grands réalisateurs asiatiques qui privilégient l’accompagnement des personnages dans des récits très simples et proches de la vie réelle à une succession plus ou moins factice d’actions spectaculaires. Après, tout est une question d’inspiration de la part du réalisateur ! Concernant Ilo Ilo, le résultat est tout à fait estimable mais ce n’est pas faire injure à Anthony Chen que de prétendre qu’il manque quelque chose dans la mise en scène, dans les cadrages et dans le montage pour mettre ce film au niveau de Yi Yi (Edward Yang), de Poetry (Lee Chang-Dong) et de l’œuvre de Ozu.

Résumé

La façon dont on reçoit un film dépend d’un très grand nombre d’éléments, sa propre personnalité n’ étant pas le moindre, loin de là. Sinon, le scénario est-il plus important que la mise en scène ? La science du cadrage du réalisateur l’emporte-t-elle sur la personnalité et le jeu des comédiens ? Une certitude, Ilo Ilo, portrait familial sur fond de crise sociale, est un film attachant. Son scénario, très simple mais en même temps très riche, intéressera les spectateurs qui s’intéressent à la façon dont vivent leurs voisins, qu’ils soient proches ou qu’ils soient lointains. Par contre, un certain manque d’inspiration dans la réalisation empêche ce film d’atteindre les sommets du genre.

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