Je les connais bien, je leur ai serré la main #6

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Septembre 2011 ; le 37ème festival de Deauville débute, les vedettes du petit écran et du cinéma hexagonal trottinent sur le tapis rouge, une main dans la poche et le regard faussement blasé à l’approche des photographes. Les réalisateurs et réalisatrices des films en compétition sont déjà presque tous présents eux aussi, sincèrement stressés, et s’agrippent à leurs accompagnateurs ou à leur attaché de presse en souriant nerveusement aux rares festivaliers qui les accostent – ils apprennent à être célèbre. Quelques-uns le deviendront, sans doute, dans les années à venir. Après tout, j’ai passé pas mal de temps sur ces planches avec de parfaits inconnus il y a sept ou huit ans de cela, à l’époque ou Christopher Nolan ou Ryan Gosling pouvaient se balader en centre ville sans qu’un seul sourcil ne se lève sur leur passage, alors qu’aujourd’hui, au moins l’un des deux susnommés nécessiterait le déclenchement du plan Orsec pour faire trois mètres dans la rue…

Cette année-là, donc, une réalisatrice marche tranquillement sur le tapis rouge, une certaine Liza Johnson, venue présenter son film Return en compétition. Inconnue au bataillon, je cherche sa photo sur ma fiche, car moi, de mon côté, je suis enfermé dans une petite pièce sombre et surchauffée, juste à l’arrière de l’auditorium, derrière la vitre, au-dessus des derniers rangs. Le tapis rouge est retransmis en direct sur le grand écran tandis que la salle se remplit, et moi je dois faire la « voix-off » : je dois parler des films a venir, des hommages qui seront rendus, etc. Je m’interromps de temps en temps pour laisser la parole à la formidable Genie Godula qui, elle, est sur le tapis rouge et qui, à intervalles réguliers, se dirige vers telle ou telle star pour lui poser deux ou trois questions. Et ce jour là, au moment précis ou je remet la main sur la fiche de Liza Johnson, je me rends compte, en regardant le petit moniteur vidéo, qu’elle est accompagnée par son petit ami, qui n’est autre que Bill Murray ! Total surprise, car il est vraiment venu en touriste : il n’a absolument pas de film, ni rien du tout a défendre. En fait, il est venu parce que c’était gratuit et qu’il y a un terrain de golf célèbre à deux pas – Bill est un TRES grand fan de ce sport. Moi, j’enrage : je suis bloqué dans ce réduit tandis que mon idole absolue est là, à quelques mètres ! Je ne l’ai jamais rencontré, et je suis un vrai, un authentique fan depuis… Depuis toujours. Depuis Ghostbusters, mais aussi et surtout depuis Groundhog Day, film que je suis fier de compter, en toute sincérité, dans mon top 10 personnel, aux côtés de Shining, de Lost Highway, des 400 coups et de l’Emploi du Temps. J’ai bien dû le voir 3037 fois, au cinéma, en cassette vidéo, en DVD, en Blu-ray. Oh, bien sûr, j’ai déjà rencontré Andie McDowell et Harold Ramis. Mais pas lui. Et puis bien sur je l’ai admiré dans Lost in Translation, qui m’a rappelé pas mal de souvenirs, j’aurai aime lui en parler, de mes années japonaises… Mais bon, tant pis ; de toutes façons j’aurai bien trop peur de passer pour un admirateur de plus à ses yeux, ce que je détesterai. Je sais qu’il est là, pas loin, c’est déjà très bien. Et puis qui sait, je le croiserai peut-être le lendemain ?

             (c) AFP
(c) AFP

Le lendemain, je ne le croise pas. A vrai dire, je suis persuade qu’il est déjà parti. Et je n’y pense plus trop, je suis déjà pris par le travail, je me retrouve déjà sur la scène du CID. Le festival reprend ses droits.

Quelques jours plus tard, à la sortie d’une projection, je traine un peu sur les marches de l’auditorium, à discuter avec une connaissance. Et soudain, un homme passe derrière la connaissance en question, s’arrête, et se retourne vers moi.

C’est lui. C’est Bill Murray.

Il est plus grand que je ne l’imaginais. Plus âgé, aussi. Il me regarde, avec un très léger sourire, et me dit « Vous êtes bon en traduction. Je parle un peu français, et vos présentations sont vraiment bonnes ». Je lui souris, le remercie, échange deux ou trois banalités, lui serre la main, et le laisse partir, en feignant la désinvolture aux yeux des festivaliers qui nous regardent avec un regard envieux et impressionné. Dans ma tête, bien sur, c’est l’explosion. Mais pas sur mon visage. Je me suis demandé des millions de fois ce que je pourrai bien dire à Bill Murray si je le rencontrais un jour, et au final, c’est lui qui m’a retiré l’épine du pied en venant me dire qu’il aimait ce que je faisais. Et c’est sans doute un peu idiot, mais à chaque fois que je revois un de ses films (souvent, donc), j’y repense un court instant, et ça me fait sourire.

Tiens, j’irai bien revoir Groundhog Day, moi

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