Je les connais bien, je leur ai serré la main # 1

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Nouvelle rubrique sur Critique-Film.fr : la chronique hebdomadaire de David Rault (dont le portrait est à retrouver page équipe), qui vous donne rendez-vous chaque vendredi après-midi désormais pour parler de ses rencontres cinématographiques !

Janvier 2007: David Carradine est l’invité spécial du festival du film fantastique de Gerardmer. Je suis encore ébloui par sa prestation dans Kill Bill lorsque je me dirige vers l’hôtel où la star est descendue. On m’avait dit qu’il était un peu porté sur le whisky, mais je ne savais pas à quel point. En arrivant dans le chalet perdu au beau milieu d’une forêt vosgienne très dense, après avoir monté l’escalier qui mène au lounge – cheminée, je découvre un homme âgé, chétif et nerveux comme un petit bout de bois sec, habillé d’un grand châle écossais improbable et bardé de plusieurs bagues gigantesques à chaque doigt, à la longue chevelure grise et blanche, le regard un peu fou, perdu et titubant. Il trébuche devant moi et ne semble même pas me voir. Sa femme, ou la personne qui l’accompagne, je n’ai jamais très bien su, s’excuse, un peu gênée, et nous dit qu’il est fatigué, en plein jetlag. Bon… Il a surtout abusé des mignonnettes, pense-je alors.

carradine
crédit photo : Guillaume Lecannelie (c) 2007

Le soir même, il est censé monter sur scène pour recevoir un hommage des mains de la comédienne Julie Dreyfus, qui jouait Sophie Fatale dans Kill Bill. Nous nous retrouvons en coulisses quelques minutes avant la cérémonie; il est en smoking, mais il ne va manifestement pas bien mieux. Une amie m’ayant demandé de lui faire signer un katana, je lui tend le sabre accompagné d’un feutre et lui demande donc de bien vouloir y apposer son paraphe. Il me regarde un peu, ondule de la tête, sort le sabre de son étui, le regarde quelques secondes en se balançant doucement d’une jambe sur l’autre, et le pointe sur mon ventre, avec une pression légère mais véritable. Il ne dit rien, me regarde juste avec un petit sourire et les yeux mi-clos. Je ne sais pas trop quoi faire, j’ai un peu peur je l’avoue, et la scène dure, longtemps. Julie Dreyfus y assiste avec dans les yeux une imperceptible tension; je crois y lire « oh, la mauvaise idée ». Comme elle connaît bien l’homme, elle parvient à me communiquer son stress au moment où David Carradine finit par laisser retomber le katana. Il le signe, monte sur scène (où son ébriété ne se fera presque pas sentir), et repart dans son chalet.

Le lendemain après midi, je dois animer une conférence de presse d’une heure avec le maître; autant dire que j’appréhende. J’ai tort: il arrive à l’heure, avec moins de bagues et un costume plutôt sobre, les cheveux plaqués en arrière, très « Bill »; presque à jeun mais un peu étrange tout de même, le visage arborant un demi sourire permanent, les yeux perdus vers l’horizon, donnant parfois des réponses un peu absconses ou des silences compacts à une foule toute entière acquise, mais aussi disponible, drôle et charmant.

J’ai, comme tout le monde, appris son décès deux années plus tard dans des circonstances étranges, quelque part en Thaïlande. Je mentirai si je disais avoir été surpris.

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