Syngué sabour – Pierre de patience

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Syngué - Sabour l'afficheSyngué sabour – Pierre de patience

France, Allemagne, Afghanistan : 2012
Titre original : Syngué sabour – Pierre de patience
Réalisateur : Atiq Rahimi
Scénario : Jean-Claude Carrière, Atiq Rahimi
Acteurs : Golshifteh Farahani, Hamidreza Javdan, Hassina Burgan, Massi Mrowat
Distribution : Le Pacte
Durée : 1 h 42
Genre : drame, guerre
Date de sortie : 20 février 2013

Globale : [rating:4][five-star-rating]

En 2004, l’écrivain d’origine afghane Atiq Rahimi avait une entrée remarquée dans le monde du cinéma avec un film magnifique, Terre et cendres, adapté d’un de ses romans, très court, écrit en persan. 9 ans plus tard, il récidive avec l’adaptation cinématographique de son premier roman écrit directement en français, Syngué sabour – Pierre de patience, Prix Goncourt 2008. Cette adaptation a été tournée au Maroc, en langue farsi, commune à l’Afghanistan et à l’Iran.

Synopsis : Au pied des montagnes de Kaboul, un héros de guerre gît dans le coma ; sa jeune femme à son chevet prie pour le ramener à la vie. La guerre fratricide déchire la ville ; les combattants sont à leur porte. La femme doit fuir avec ses deux enfants, abandonner son mari et se réfugier à l’autre bout de la ville, dans une maison close tenue par sa tante. De retour auprès de son époux, elle est forcée à l’amour par un jeune combattant. Contre toute attente, elle se révèle, prend conscience de son corps, libère sa parole pour confier à son mari ses souvenirs, ses désirs les plus intimes… Jusqu’à ses secrets inavouables. L’homme gisant devient alors, malgré lui, sa « syngué sabour », sa pierre de patience – cette pierre magique que l’on pose devant soi pour lui souffler tous ses secrets, ses malheurs, ses souffrances… Jusqu’à ce qu’elle éclate !

Syngué - Sabour la femme, le mariLa parole d’une femme

Dans un pays qui n’est jamais nommé, mais dont devine qu’il s’agit de l’Afghanistan, une jeune femme s’est réfugiée dans un petit appartement avec ses deux filles et son mari, beaucoup plus âgé qu’elle, dans le coma depuis 2 semaines. Dehors, c’est la guerre, avec son cortège de carnages et, à la porte de l’appartement, les combats font rage. La femme n’a plus de famille à proximité, à l’exception d’une tante qui habite à l’autre bout de la ville et qu’elle connaît mal. Dans ce pays où, chez les hommes, tout est dans l’apparence, où le « paraître » est plus important que l’« être », on apprend que son héros de guerre de mari n’a même pas été touché au combat mais qu’il a reçu une balle dans la nuque après une banale altercation avec un compagnon d’arme. Ce mari, elle le connaît peu, combattant perpétuel presque toujours absent : comme il est dit dans le film, quand un homme ne sait pas faire l’amour, il fait la guerre. Elle le connaît peu, mais elle lui parle, elle le soigne, elle s’efforce de le maintenir en vie en l’alimentant avec de l’eau sucrée. De temps en temps, des hommes armés s’introduisent dans l’appartement, la femme cache ses enfants, cache son mari. La peur la tenaille au point qu’elle finit par aller chercher protection pour ses filles chez sa tante, une femme dont on peut considérer qu’elle plus libre que les autres femmes du pays puisqu’elle est … prostituée. Une tante qui lui parle de la pierre de patience, cette pierre magique à qui l’on peut confier tous ses secrets et qui finit par éclater en vous libérant de tous vos tourments. Lorsque la femme retourne auprès de son mari, c’est ce dernier qui va devenir pour elle sa pierre de patience.

Syngué - sabour en route vers sa tanteUne adaptation difficile

Il y a des romans dont on devine que leur adaptation pour le cinéma ne présente aucune difficulté. Ce n’est pas le cas de Syngué Sabour – Pierre de patience. Pourtant, dès la sortie du livre, deux personnalités au moins ont su deviner qu’il pouvait donner naissance à un beau film : Jean-Claude Carrière et Jeanne Moreau. Ils l’ont écrit à Atiq Rahimi et Jean-Claude Carrière s’est retrouvé tout naturellement à l’écriture du scénario, aux côtés de l’auteur. Concernant cette adaptation pour le cinéma, les difficultés étaient de deux ordres : pendant presque toute la durée du film, on est en situation de huis clos avec, pouvant s’exprimer, un seul personnage. Comment arriver à passionner les spectateurs dans un tel contexte ? Un moyen, un seul : transformer ces difficultés en atouts, faire des longs monologues de la femme un vecteur d’émancipation, une voie vers une libération y compris sexuelle que, jadis, elle n’imaginait même pas et qui, petit à petit, lui apparaît possible ; arriver à transformer ce monologue en un dialogue entre la femme qui s’exprime et le mari silencieux en utilisant des plans séquences pendant lesquels la caméra se déplace afin d’être toujours au bon endroit en fonction des paroles prononcées. Même si on peut penser qu’un tel monologue trouve plus facilement sa place dans le cadre d’un roman que dans celui d’un film, force est de constater que le cinéma apporte souvent un avantage substantiel : on peut, simultanément, voir et entendre. Comme cette séquence du film où la femme caresse l’homme avec ce qu’on peut voir comme étant de la tendresse alors même qu’elle se tourne vers lui et lui dit « pourvu qu’une balle t’achève ».

Un film féministe

Dans ce film profondément féministe, Atiq Rahimi n’hésite pas à se moquer ouvertement des hommes, de leur égoïsme, de leur culte de l’apparence, de ce qui fait leur fierté tout en nous apparaissant puéril voire grotesque. C’est ainsi qu’il arrive à nous étonner en nous on apprenant ce qu’il faut dire pour éviter de se faire violer par des talibans. Il nous montre aussi qu’un père peut s’intéresser davantage à ses cailles de combat qu’à sa propre famille. Atiq Rahimi n’hésite pas, non plus, à faire dire à la tante que la place de prophète dans la religion musulmane aurait dû revenir à Khadija, la première femme de Mahomet et non à ce dernier. On est d’autant plus surpris que le film ait pu être projeté en Afghanistan et proposé aux Oscars par le comité des cinéastes afghans.

Résumé

Même si Syngué sabour – Pierre de patience n’a pas la beauté austère et majestueuse de Terre et cendres, le deuxième film d’Atiq Rahimi confirme ses qualités de cinéaste, d’autant plus que l’adaptation de son roman pour le cinéma était a priori un travail difficile. Bien aidé par Jean-Claude Carrière et par l’interprétation lumineuse de la magnifique comédienne iranienne Golshifteh Farahani (Mensonges d’état, A Propos d’Elly, Si tu meurs, je te tue, Poulet aux prunes), il arrive à émouvoir le spectateur, à lui faire partager l’évolution psychologique de la femme et à entretenir son attention malgré le côté a priori rébarbatif du monologue.

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