Critique : Le Routard

0
496

Le Routard

France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Philippe Mechelen
Scénario : Julien Hervé et Philippe Mechelen
Acteurs : Hakim Jemili, Christian Clavier, Michel Blanc et Manon Azem
Distributeur : Studiocanal
Genre : Comédie
Durée : 1h27
Date de sortie : 2 avril 2025

2,5/5

Pour quiconque rêve seulement d’un grand voyage à travers le monde ou qui se met d’ores et déjà à sérieusement y réfléchir, le Guide du routard est une véritable référence. Depuis un demi-siècle, ses auteurs sillonnent les continents, afin de fournir aux aventuriers dans l’âme des informations exclusives et vérifiées sur place. Cette vie de vagabond, tous frais payés, se prêtait à une adaptation au cinéma, non ?

Finalement, ce sera plutôt un non qu’un oui de notre part, puisque Le Routard, en plus de faire un peu trop la publicité éhontée de l’ouvrage légendaire, se conforme avec une paresse souvent frustrante aux règles de la comédie populaire française. En effet, le premier long-métrage réalisé en solo par Philippe Mechelen, sept ans après Le Doudou alors aux côtés de Julien Hervé, se contente de recycler hâtivement des clichés sur le Maroc, au lieu de susciter chez nous une réelle sensation de dépaysement.

Eh oui, cinq ans après ses débuts plutôt prometteurs dans Docteur ? de Tristan Séguéla, Hakim Jemili retrouve non seulement Michel Blanc dans ce qui sera hélas son ultime rôle, tristement ingrat. Il persévère de même, sans le moindre espoir d’évolution possible, dans le registre stérile du perdant né, maladroit mais sympathique, qui réussit malgré tout à s’en sortir avec les honneurs au fil d’une intrigue riche en rebondissements. Le hic, c’est que le dispositif de départ – un nouvel auteur du Routard risque sans cesse de se faire virer dès sa première mission – montre bien trop rapidement ses failles, aussi à cause d’un scénario qui accumule les gags sans les exploiter jusqu’au bout.

La figure emblématique de ce rythme rapiécé est le personnage du patron du jeune imposteur, interprété par Christian Clavier. Celui-ci le surveille ou plus précisément le harcèle au téléphone, alors qu’il fait lui-même un tour du monde infiniment plus glamour que l’emploi du temps surchargé auquel il a soumis son employé à Marrakech.

© 2023 White and Yellow Films / Beside Productions / M6 Films / Studiocanal Tous droits réservés

Synopsis : En tant qu’enfant né dans le milieu cosmopolite de Belleville, Yann Tatin en a marre des petits boulots en intérim qui ne mènent nulle part. Ce qu’il rêve de faire, c’est le tour du monde, si possible tous frais payés. Contre toute attente, une occasion en or s’ouvre à lui au célèbre Guide du routard. Certes, son rédacteur en chef Karol Kowalski a d’abord besoin de quelqu’un pour ranger la cave de l’éditeur, dans un état de désordre avancé. Mais puisque Yann s’acquitte convenablement de cette tâche, longue de trois semaines, Kowalski est prêt à le prendre à l’essai.

Sa première mission : vérifier les plaintes des lecteurs laissées par rapport à la ville hautement touristique de Marrakech, ainsi que dénicher les derniers bons plans marocains. Mais attention, interdiction absolue de se faire connaître en tant qu’auteur du Routard ! Ce que Yann ne manque évidemment pas de faire dès le premier contre-temps …

© 2023 White and Yellow Films / Beside Productions / M6 Films / Studiocanal Tous droits réservés

D’après vous, quels sont les clichés les plus criants sur le Maroc ? Peu importe votre réponse, vous êtes à peu près certains d’en retrouver la représentation sommaire dans Le Routard. A l’image du générique, qui fait passer des dessins découpés de différentes destinations de voyage sur fond de la musique enjouée, quoique guère originale de Ludovic Bource. (Oui, il s’agit bien du compositeur oscarisé en 2012 pour The Artist de Michel Hazanavicius.) En somme, c’est une idée très conventionnelle du voyage qui est promu ici. Cela rejoint en quelque sorte le dilemme existentiel du Guide du routard, pris en tenaille en ces années 2020 entre, d’un côté, la concurrence des influenceurs ayant démocratisé de force le métier de découvreur d’endroits confidentiels et, de l’autre, la pénurie de ces mêmes bons plans de moins en moins authentiques et exclusifs.

Bien sûr, à aucun moment le film de Philippe Mechelen ne laisse-t-il entrevoir ne serait-ce qu’une réflexion embryonnaire autour de ce sujet de société. Puisque, malgré toutes les contre-indications environnementales, nous vivons encore dans un monde où le loisir de voyage reste celui qui fait globalement le plus rêver … et en l’occurrence dépenser. Tout ce raisonnement économique, qui est après tout l’un des piliers du tourisme de masse, y est au mieux effleuré. Quitte à imposer au récit un grand écart indigeste entre le discours édifiant de l’inspecteur interprété avec aplomb par Youssef Hajdi et un couple hautement improbable d’expatriés fiscaux ayant élu domicile au Maroc pour rendre à ce pays étranger les sommes colossales qu’ils ont engrangées plus ou moins honnêtement en France. On a déjà vu la pauvre Alice Taglioni dans des emplois plus valorisants !

© 2023 White and Yellow Films / Beside Productions / M6 Films / Studiocanal Tous droits réservés

Toute cette bouillie de stéréotypes ne serait pas si frustrante, si au moins l’humour de cette comédie à cheval entre le monde du travail et celui des vacances serait à la hauteur. Or, là aussi, le constat est assez mitigé. Car il faut bien reconnaître que le scénario n’est pas complètement exempt d’idées plaisantes, ni de blagues au potentiel raisonnable. Ainsi, tandis que le coureur de jupons local sous les traits artificiellement enlaidis de Medi Sadoun – difficile de faire pire en termes de moumoute ! – doit personnifier à lui seul le cliché d’une certaine virilité à la marocaine, le duo de branquignols qui servent de gardes du corps plutôt inefficaces au marchand d’objets anciens campé par Blanc peuvent se prévaloir d’un éventail comique pas complètement sans mérite.

Le problème, c’est que Le Routard abuse des blagues sans intérêt, tout en négligeant de manière presque criminelle celles qui auraient nécessité un peu plus d’espace et de temps afin de pouvoir s’épanouir pleinement. Par conséquent, le passage du coq à l’âne y est le mot d’ordre narratif de plus en plus énervant, le récit faisant à un rythme accéléré l’impasse sur quelque enjeu dramatique que ce soit. Résultat de cette course au job de rêve pour lequel le protagoniste n’a en fait pas la moindre qualification : on est déjà épuisé dès le premier jour de périple en terre inconnue. Les jours suivants n’y apportent pas non plus de nouveaux éléments de fraîcheur, susceptibles de nous donner envie de nous intéresser un minimum au sort de ces personnages, sans exception platement caricaturaux.

© 2023 White and Yellow Films / Beside Productions / M6 Films / Studiocanal Tous droits réservés

Conclusion

L’idéal du Guide du routard, ce serait que chacun de ses lecteurs puisse vivre des vacances uniques, aux rencontres et découvertes magiques. Admettons que ce vœu pieux soit encore possible en cette époque, où tout un chacun a déjà visité les coins les plus reculés du monde ou tout au moins rêve de le faire. En tout cas, ce n’est pas un film de la trempe du Routard qui va rendre ses lettres de noblesse et sa singularité à cette occupation pleinement populaire.

Pour cela, Philippe Mechelen demeure bien trop du côté de la comédie française ordinaire et donc interchangeable, dépourvue à la fois de sensations fortes et de personnages hors du commun. Bref, cette heure et demie passée en sa compagnie s’apparente plus aux beuveries braillardes du côté de la Costa Brava espagnole que Yann ambitionne de laisser derrière lui qu’à la transmission éclairée du savoir culturel, pratiquée par le personnage féminin principal du film.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici