Septembre sans attendre

ESP ; FR 2024
Réalisateur: Jonas Trueba
Scénariste: Jonas Trueba ; Itsaso Arana ; Vito Sanz
Casting: Itsaso Arana ; Vito Sanz
Distributeur: Arizona Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h54 min
Sortie FR: 28 Août 2024
3/5
Dans le noir, alongés côte à côte, Ale et Alex prennent une décision. Leur séparation, déjà actée depuis quelque temps, doit devenir une réalité sociale. Une idée, initiée il y a des années par le père d’Ale: il s’agira d’organiser une grande fête, pour célébrer cette rupture et mettre de la joie là où il serait tellement “convenable” de s’appitoyer.
Synopsis : Après 15 ans de vie commune, Ale et Alex ont une idée un peu folle : organiser une fête pour célébrer leur séparation. Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision. Mais l’est-il vraiment ?

Pour peu que l’on soit familier avec les screwball comedies de l’âge d’or hollywoodien (de Cukor, Lubitsch, Capra, Hawks et consorts), on ne peut que se réjouir, à priori, de ce postulat qui retourne le genre sur sa tête. Ici, si le film sert au couple d’apprentissage, c’est pour ne plus en être un. Sur l’institution que leur union représente aux yeux des autres, réussiront-ils à ériger deux nouvelles statues, celles de séparés épanouis? Le programme est en tout cas annoncé.
A la promesse de situations burlesques qui seraient tant de manière d’éprouver par nous-même la solidité d’une conviction de séparation, le film préfère multiplier les effets de distanciation, plaçant derechef les spectateurs comme des témoins, élèves d’une leçon chapitrée, organisée pour eux. Les personnages, toujours en mouvement, empressés de passer au chapitre suivant, laissent une trace malheureusement très démonstrative, très convaincue de ses propres idées, comme si le projet pour le couple était ambitionné comme un projet de livre. Accumulant ainsi les notes de bas de page, les effets de déconstruction méta (Ale est réalisatrice et monte le film que l’on voit en même temps que l’action), le film se vide graduellement de sa corporalité, comme une condition pour faire triompher ses idées, et épuise nos attentions là où il espérait les réveiller.
Pourtant, il y a sûrement un enjeu politique fascinant dans l’inquiétude de deux êtres, désespérés de se sentir ainsi validés par leur entourage. C’est que, dans leur vie d’artiste déjà précarisée (Alex ne trouve pas de rôles et Ale craint que le film qu’elle monte ne soit son dernier), leur séparation représente une perturbation supplémentaire. Les amis, les voisins, les collègues et la famille sont alors pris à témoin et sommés de convenir que leur fête est une “bonne idée”. Surtout, ils espèrent trouver leur manière, à eux,d’être séparés. Il semble que c’est à cet endroit que le bât blesse. Les personnages confondent en effet l’être indépendant et l’être moderne. Hors, ce n’est pas tout à fait de la même personne, du même corps social qu’il s’agit. En tenant à tout prix à faire de leur épanouissement un symbole philosophique moderne, ils se condamnent à rester au niveau du discours.
Dans son dernier mouvement, le film essaye (assez tendrement d’ailleurs) de les reconnecter en convoquant leur couple du passé pour réveiller le corps qui dort. Belle tentative, trop tardive malgré tout, tant une énorme distance s’est créée entre la caméra et la situation. A vouloir éclaircir à tout crin un constat du couple, l’œil de Jonas Trueba court le risque d’en évacuer tout le mystère et de le réduire à une problématique universitaire. Pour boucler sa synthèse, la voix off jette une conclusion qui se voudrait embrasser la complexité de ce grand aller-retour: Il y aurait un amour répété, ancré dans l’habitude, qui ne ressuscite que parce qu’il a été détruit.
Ainsi, il s’agira moins ici de vivre la séparation que d’en faire un programme, de maîtriser son compagnonnage par l’illusion du contrôle sur une institution qui n’est plus qu’un symbole de survie. Plus que jamais avec ce film, l’héritage des screwball comedies est un champ de ruines sur lequel le couple décide quand même de planter son drapeau, trop effrayé peut-être de s’aventurer beaucoup plus loin que le terrain de jeu du quotidien.
Conclusion
Le couple comme point de départ, la séparation comme un projet de société. Si l’idée de Septembre sans attendre promettait questionnements et richesse formelle, il reste finalement au niveau de l’exercice intellectuel; de peur qu’on lui fasse dire ce qu’il ne veut pas?