Livre : Spike Lee American Urban Story (Karim Madani)

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Spike Lee American Urban Story
France, 2015
Titre original : –
Auteur : Karim Madani
Éditeur : Don Quichotte Éditions / Les Éditions du Seuil
191 pages
Genre : Monographie
Date de parution : 7 mai 2015
Format : 140 mm X 205 mm
Prix : 18 €

3/5

Même avant la renaissance insoupçonnée de sa carrière autour de Blackkklansman en 2018, le réalisateur américain Spike Lee avait accompli une œuvre filmique cohérente autour d’un regard militant sur son pays d’origine. De ce point de vue-là, « Spike Lee American Urban Story », sorti trois ans plus tôt, préserve toute sa pertinence. Car plutôt que de s’atteler à une analyse en bonne et due forme de la quinzaine de longs-métrages réalisés par Lee jusque-là, Karim Madani s’efforce de placer la plupart d’entre eux dans leur contexte social et culturel. Avec notamment un accent mis sur ses influences musicales et l’impact que le cinéaste a eu sur la scène du hip-hop. Rien de plus normal de la part d’un auteur spécialisé dans la musique afro-américaine.

Par conséquent, vous en apprendrez infiniment plus sur les événements, pour la plupart néfastes, qui ont rythmé le quotidien de la communauté urbaine de New York au cours des dernières décennies du XXème siècle, que sur les circonstances dans lesquelles Lee avait conçu ses films. C’est en cela que le propos de Madani demeure intéressant, puisque l’univers fictif du réalisateur s’était intimement inspiré de son environnement urbain, tout comme celui-ci lui avait rendu la pareille en se laissant influencer par sa lecture novatrice de l’esthétique des cités. Dès lors, les près de deux-cents pages de l’ouvrage se laissent globalement apprécier comme une improvisation presque musicale sur les thèmes et les combats sociaux chers à Lee, avec les fléaux de la drogue et de la violence tristement mis en avant.

Le langage très courant et un fil narratif assez décousu n’élèvent à aucun moment le récit au niveau de la virtuosité littéraire. Cependant, ils ont le mérite de vulgariser un aspect essentiel de la filmographie de Spike Lee, qui aurait risqué de se perdre dans l’approche plus formelle d’une monographie à vocation plus académique.

Do the Right Thing © 1989 David Lee / 40 Acres and a Mule Filmworks / Universal Pictures / Splendor Films
Tous droits réservés

Synopsis : C’est une certaine histoire de l’Amérique qui est ici contée : celle d’une Amérique noire pas tout à fait remise de l’épidémie du crack des années ’90, du drame national de l’attaque terroriste contre la ville de New York en septembre 2001, ni des dévastations de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005. Un créateur invétéré de polémiques, le réalisateur afro-américain Spike Lee s’est fait le chroniqueur inspiré de ces tragédies nationales. Depuis son premier film majeur Do the Right Thing à la fin des années ’80 et sa vision étouffante de la routine quotidienne à Brooklyn, en passant par ses pamphlets contre la drogue Jungle Fever et Clockers, jusqu’à ses monuments cinématographiques à une conception guère complexée de l’héritage afro-américain dans Malcolm X côté politique, Mo’ Better Blues côté musical et Get on the Bus en termes d’une cohésion sociale plus difficile que jamais à atteindre.

Malcolm X © 1992 David Lee / 40 Acres and a Mule Filmworks / Largo International / JVC Entertainment /
Warner Bros. Discovery / Metropolitan Filmexport Tous droits réservés

Si l’on vous demandait de citer un objet ou un motif associé pour l’éternité au nom de Spike Lee, ce ne sont pas nécessairement les baskets Air Jordan de chez Nike qui vous viendraient tout de suite à l’esprit. Pourtant, le ventre nullement mou de « Spike Lee American Urban Story » revient pendant quinze pages sur ce phénomène autant de mode que de société. Grâce à la publicité savamment mise en scène par Lee autour du joueur de basket légendaire, les ventes avaient en effet décollé de manière spectaculaire.

Sauf que ce n’est point la réussite économique de l’entreprise Spike Lee qui est traitée dans ce livre facile à lire, mais son impact sur la conscience collective des Américains, voire de tous les adeptes de la culture populaire d’outre-Atlantique. En somme, le succès commercial s’était traduit par une véritable épidémie d’assassinats de jeunes noirs, dépouillés de leurs baskets flambant neufs alors que leur corps gisait sur l’asphalte d’une ville dépourvue d’états d’âme.

Contre cette indifférence si toxique, Spike Lee se bat justement depuis les débuts de sa carrière au milieu des années ’80. Et Karim Madani fait de son mieux pour placer cette série de films dans leur contexte social contemporain. Un contexte qui est dominé par la précarité et ses deux symptômes inévitables : le commerce cynique de la drogue sous toutes ses formes et une violence par armes à feu omniprésente, qui réduit drastiquement l’espérance de vie des jeunes des cités.

En effet, l’image que l’auteur dresse des États-Unis à l’époque de Spike Lee, enrichie par les témoignages de rappeurs rencontrés lors de son travail pour des magazines de musique urbaine, est profondément sombre et déprimante. Que le réalisateur fasse régulièrement appel à un ton tendancieux et vaguement optimiste, afin de survivre au moins mentalement dans cette jungle des temps modernes n’enlève rien à la noirceur du propos présent.

Clockers © 1995 David Lee / 40 Acres and a Mule Filmworks / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Dommage alors que Karim Madani ne fasse pas preuve d’une plus grande précision lorsqu’il s’agit d’approfondir ce lien entre les films de Spike Lee et le monde insalubre qu’ils reflètent. Ce ne sont pas tant les quelques noms écorchés (Annabella Sciorra et Steven Seagal pour commencer) qui frustrent ici, que le traitement trop superficiel des films dont l’auteur ne fait guère plus que retracer l’intrigue.

Certes, cette évocation des faits contés par le scénario pourrait servir de porte d’entrée à une compréhension plus vaste de l’univers de Spike Lee. Au mieux, ils servent ici de point de départ, sous forme d’analyse aussi sommaire que bancale, à la mise en parallèle des manifestations de musique urbaine et de faits divers sanglants. Le renvoi à d’autres films du réalisateur que celui traité spécifiquement dans chaque chapitre s’avère alors bien trop irrégulier pour nous convaincre de la maîtrise par l’auteur de l’aspect cinématographique de l’œuvre de Spike Lee.

De même, si l’on ne peut qu’être ravi par l’inclusion de l’un de nos films préférés de Lee – La 25ème heure et son monologue politiquement incorrect d’un Edward Norton prêt à partir en prison –, l’absence d’autres nous laisse davantage perplexe. Tandis que l’accent mis avec insistance sur la vision du microcosme urbain côté cités populaires explique sans doute la mention brève de Inside Man L’Homme d’intérieur, il reste regrettable que seuls neuf des films du réalisateur y aient droit à un chapitre à part, avec cinq autres cités en passant. Pourquoi avoir passé sous silence Girl 6, The Very Black Show et She Hate Me, des films qui apportent tout de même leur pierre à l’édifice polémique et socialement conscient de Spike Lee ? Mystère.

La 25ème heure © 2002 David Lee / 40 Acres and a Mule Filmworks / Gamut Films / Industry Entertainment /
Touchstone Pictures / The Walt Disney Company France Tous droits réservés

Conclusion

Quatre ans après ce livre-ci, un deuxième ouvrage en français dédié au plus important des réalisateurs afro-américains avait vu le jour : « Spike Lee Un cinéaste controversé » de Régis Dubois aux Éditions LettMotif. Encore plus bref que celui de Karim Madani, nous pouvons douter de sa capacité d’aborder l’œuvre du réalisateur de manière exhaustive. L’avantage de « Spike Lee American Urban Story » consiste par contre à inscrire cet univers précurseur dans un contexte socio-culturel assez clairement défini et rendu vivant par des témoignages de première main. Ce qui est toujours mieux que rien, au cours d’un livre auquel le principal intéressé n’a contribué que par voie d’extraits d’entretiens glanés dans la presse essentiellement américaine !

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