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Louis Jourdan Le Dernier French Lover d’Hollywood
France, 2017
Titre original : –
Auteur : Olivier Minne
Éditeur : Éditions Séguier
576 pages
Genre : Biographie
Date de parution : 16 février 2017
Format : 150 mm X 210 mm
Prix : 22€90
3,5/5
Dix ans après la disparition de Louis Jourdan, que reste-t-il de cet acteur français qui fut l’un des derniers à se faire un nom à Hollywood ? Une carrière en dents de scie, pour rester poli, dont très peu de films sont passés à la postérité ? Le cliché du French Lover par excellence, qui, lui non plus, n’a pas réellement résisté à l’épreuve du temps en tant que stéréotype dans lequel plus aucun de nos compatriotes ne se reconnaît aujourd’hui ? Ou bien cette biographie plutôt exemplaire et dans tous les cas définitive, dans laquelle Olivier Minnie approche la vedette d’antan de la façon la plus privilégiée imaginable, c’est-à-dire en la côtoyant pendant les quatre dernières années de sa vie ?
La synthèse de tout cela, à laquelle « Louis Jourdan Le Dernier French Lover d’Hollywood » procède avec bravoure, nous renvoie le reflet progressivement plus lointain d’un homme plus complexe que son image publique aurait pu le laisser croire.
Car derrière le cliché soigneusement fabriqué par les studios hollywoodiens du séducteur sans faille se cache un homme parfaitement lucide envers un parcours professionnel qui n’a certainement pas accompli les espoirs qui avaient été placés en lui dans les années 1940. A tel point que ce jugement rétrospectif se fait au rythme de films considérés sans exception comme idiots, puisqu’aucun d’entre eux, ni Le Procès Paradine de Alfred Hitchcock, ni Lettre d’une inconnue de Max Ophüls, ni Gigi de Vincente Minnelli, ne trouve plus grâce à ses yeux. Ce dédain à peine larvé à l’égard d’une carrière truffée de frustrations en tout genre est tant soit peu compensé par une facette insoupçonnée de Louis Jourdan.
En effet, la véritable double passion d’une vie aussi longue que riche est son amour de la musique et de la littérature. Ce qui avait amené ce mélomane et bibliophile invétéré à se détacher d’Hollywood et ses dérives, au fur et à mesure que la fabrique des rêves de cinéma lui faisait comprendre que son heure de gloire était passée. Grâce au récit richement fourni de cette vie d’exception, nous pouvons en quelque sorte faire autant. Le style d’écriture fluide d’Olivier Minne et le dispositif de l’accompagnement d’une personne âgée en fin de vie nous ont procuré un plaisir certain en dévorant les près de six-cents pages de l’ouvrage.
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Synopsis : L’élégance française et la beauté, l’acteur Louis Jourdan (1921-2015) en était l’incarnation parfaite pendant les années 1940 et ’50. Ce fils d’hôtelier né à Marseille avait rêvé très tôt à devenir un jour une vedette de cinéma. A travers les contacts de son père Henri Gendre, directeur d’hôtel à Cannes, il avait fait ses premiers pas devant la caméra dans les films de Marc Allégret, aux côtés de sa fiancée temporaire Micheline Presle. La proposition d’un contrat de sept ans avec le producteur de légende David O. Selznick lui fait traverser l’océan afin de chercher son bonheur du côté d’Hollywood. Or, il y arrive surtout pour devenir le témoin privilégié du déclin du système des studios, une évolution irrémédiable de l’économie du cinéma contre laquelle le jeune acteur au regard magnétique se trouve démuni à long terme.
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Tous droits réservés
L’évidence d’une vie
Est-ce que le public était dupe de la machine de publicité lancée par les acolytes du producteur David O. Selznick, rendu immortel par le succès d’Autant en emporte le vent, qui qualifiait alors l’acteur débutant sur le marché américain de plus beau regard, voire de plus bel homme ? Toujours est-il que l’aspect physique hautement avantageux de Louis Jourdan était pour beaucoup dans la carrière de l’acteur français. A la fois en bien et en mal.
D’un côté, ses traits de séducteur né lui ont permis de percer rapidement sur grand écran, d’abord en France, puis aux États-Unis, malgré une assiduité et une implication dans ses cours dramatiques somme toute moyennes. De l’autre, ils l’ont enfermé tout au long de sa vie dans un emploi aussi caricatural que superficiel contre lequel l’acteur avait fini par abandonner toute résistance. Ainsi, les rôles plus nuancés que le bellâtre de service, raffiné et séduisant, certes, mais dépourvu de la moindre ambiguïté, ne lui ont quasiment jamais été proposés.
Dans ses souvenir confiés à Olivier Minne, Louis Jourdan en est pleinement conscient. Et l’on ne peut pas s’empêcher de penser, au fil des critiques acerbes que l’acteur fait sur l’ensemble de ses films, que ses autres passions artistiques évoquées plus haut étaient une échappatoire à peine larvée face à une carrière qui n’avait en fait jamais réellement démarré. Néanmoins, elle lui avait permis de faire de (très) belles rencontres, d’assister aux premières loges à la vie créative du XXème siècle, tandis que son statut à Hollywood reposait davantage sur ses fréquentations des hommes puissants de ce microcosme vénéneux et sur ses exploits sportifs dans une discipline aussi passée de mode que le croquet, que sur ses prestations dans des films ayant marqué les esprits ou, à défaut, ayant rapporté de gros sous.
Avec en guise de cerise sur le gâteau quelques anecdotes savoureuses par rapport à celles et ceux que Louis Jourdan se complaisait de détester encore des décennies plus tard. Sur cette liste des indésirables se trouvent, côté femmes, Micheline Presle et Joan Fontaine, et côté hommes, James Dean et Michael Caine. De surcroît, l’acteur ne tenait pas non plus à ce que la veuve de son ami Gregory Peck, Véronique, fasse partie du double travail de mémoire entrepris par Minne qui s’était soldé par ce livre-ci et un documentaire pour la télévision. A savoir que l’antipathie féroce de Jourdan à l’égard de Dean, l’idole des années ’50, reposait sur ses expériences fort déplaisantes à l’occasion d’une pièce de théâtre dans laquelle ils avaient joué en 1954.
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Du cake au chocolat et des côtelettes d’agneau
Par contre, une invitée surprise qui avait su rompre la monotonie du quotidien de l’acteur nonagénaire dans sa maison de Beverly Hills, c’était l’actrice Angie Dickinson. Même si elle n’avait jamais partagé l’affiche avec Jourdan, ils appartenaient aux mêmes cercles vaguement mondains que la femme de Louis, Quique, affectionnait tant. Le passage à l’improviste de Dickinson à l’occasion de l’anniversaire de Jourdan sert cependant aussi à accentuer la solitude et l’ennui par lesquels se caractérisait le rythme journalier dans l’espace de vie restreint par la maladie de ce vieil acteur que tout le monde ou presque avait oublié.
Sa participation sur la durée à cette biographie s’explique sans doute autant par la capacité d’Olivier Minne de gagner la confiance et même l’affection de ce vieillard, qu’à la conscience aigüe de ce dernier que les visites irrégulières de ce chroniquer de sa vie allaient le rattacher une dernière fois au monde des vivants !
Bien que le travail éditorial de l’auteur soit sans reproche, avec une mention spéciale pour les citations littéraires chères à Jourdan qui sont placées en exergue de la trentaine de chapitres – on y trouve tour à tour des mots d’esprit de Dickens, Balzac, Schopenhauer, De Montherlant et Cocteau –, il y a tout de même un déséquilibre euphorique difficile à ignorer, qui a tendance à plomber un peu la dernière centaine de pages du livre. C’est le cours de la vie qui en a décidé ainsi, mais c’est malgré tout dommage.
Face à la découverte mi-passionnante, mi-respectueuse de l’intimité de Louis Jourdan reclus et aux balbutiements prometteurs d’une carrière qui restera finalement en retrait par rapport à son potentiel au début du livre, sa fin s’avère davantage rythmée par le déclin physique de l’homme à l’approche de la mort, survenue à la Saint-Valentin 2015, mise en parallèle avec celle de sa carrière, notamment ses déconvenues au théâtre et ses quelques derniers rôles peu mémorables au cinéma.
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Conclusion
Pour reprendre nos interrogations initiales : qui se souvient encore aujourd’hui, début 2025, de Louis Jourdan ? Il n’aura pas autant marqué la mémoire des cinéphiles que ses prédécesseurs français à Hollywood, Maurice Chevalier et Charles Boyer, eux aussi les vecteurs consentants de stéréotypes clairement définis. Mais son charme et sa participation à des films à peu près mémorables lui auront au moins permis de connaître un sort plus enviable que celui de son contemporain et ami des premières années dans la jungle hollywoodienne Jean-Pierre Aumont. Que la vie, la carrière et la place dans l’Histoire du cinéma de Louis Jourdan ne tombent pas complètement dans l’oubli, c’est la tâche dont « Louis Jourdan Le Dernier French Lover d’Hollywood » s’acquitte haut la main et avec une sympathie sincère pour ce comédien, à la fois acteur et victime d’une époque définitivement révolue !