Test Blu-ray : Mad Fate

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Mad Fate

Chine, Hong Kong : 2023
Titre original : Ming’an
Réalisation : Soi Cheang
Scénario : Nai-hoi Yau, Chun-Fai Lee
Acteurs : Gordon Lam, Berg Ng, Lok-Man Yeung
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h49
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 17 juillet 2024
Date de sortie DVD/BR : 21 janvier 2025

Par une nuit d’orage, un maître de feng shui tente de sauver une prostituée d’une mort certaine, mais le destin en a décidé autrement. Arrivé à son domicile, il découvre le corps de la jeune femme, victime d’un abject serial killer. Un livreur déboule à son tour sur la scène de crime, hypnotisé et fasciné par ce qu’il voit. Le maître de feng shui prédit au garçon un avenir sombre et meurtrier. Mais cette fois, il jure de tout faire pour changer le cours des choses. Sauf que l’inspecteur chargé de l’enquête est convaincu que le livreur est un psychopathe-né dont la soif de sang ne peut être arrêtée…

Le film

[4,5/5]

En France, on avait découvert le talent exceptionnel de Soi Cheang aux alentours de l’automne 2007, avec la sortie en DVD de l’incroyable Dog Bite Dog, un véritable maelstrom de bruit, de fureur et de violence qui avait littéralement marqué au fer rouge les cinéphiles l’ayant découvert à l’époque. L’engouement autour de ce cinéaste pour le moins singulier, que l’on appelait encore à l’époque Pou-Soi Cheang, se confirma dès l’année suivante avec la sortie en DVD de son adaptation du manga Coq de Combat, un autre uppercut filmique qui acheva de nous convaincre que l’on tenait assurément là l’un des plus grands talents en activité à Hong Kong.

Et ses films suivants ne firent que confirmer cette impression : même en quittant le genre du film de baston sans concession, son cinéma restait aussi original que singulier, et des films tels que Accident (2009) et Motorway (2012) portaient bel et bien la marque du génie que l’on avait déjà vu à l’œuvre dans ses deux films précédents. Entre 2012 et 2018, Soi Cheang s’attela principalement à la réalisation d’une trilogie consacrée au « Roi Singe », mais ces trois films ne trouveraient pas leur chemin jusqu’en France, et il faudrait attendre 2023 pour qu’enfin le cinéaste accède aux salles françaises avec l’étonnant Limbo, qui avait marqué les mémoires à l’Étrange Festival 2021. Durant l’été 2024, la France rattraperait son retard en sortant coup sur coup deux films de Soi Cheang : Mad Fate en juillet, et City of Darkness en août. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux films prouvent à ceux qui en douteraient encore toute l’étendue du talent de metteur en scène absolument dingue de Soi Cheang…

Navigant entre le psycho-killer extrêmement violent et la comédie absurdo-macabre, Mad Fate joue la carte de l’expérimentation et du mélange des genres afin de proposer au public un véritable tour de montagnes russes cauchemardesque qui s’interroge, en filigrane, sur le destin et le libre arbitre. Regorgeant de style et de panache, le film de Soi Cheang s’articule autour de la notion de destin et, pour ce faire, il fait le choix de de mettre en scène un voyant Feng Shui au bord de la folie, obsédé par l’idée de conjurer le destin par la lecture de thèmes astraux et la prédiction de l’avenir. Dans la peau de ce personnage typiquement hongkongais (on peut notamment croiser ce genre de diseurs de bonne aventure sur le marché de nuit de Temple Street), Soi Cheang retrouve Gordon Lam, qu’il avait déjà dirigé en 2022 dans Limbo. Face à ce personnage de voyant illuminé, le scénario place un personnage sombre et torturé, fasciné par la mort, interprété par Lok Man Yeung, ancien membre du boys-band cantopop Mirror, qui rompt ici avec son image lisse de chanteur pour midinettes.

Toute la malice du scénario de Mad Fate, que l’on doit à Yau Nai-hoi, réside dans le fait que le destin ait décidé de mettre un tueur en série sur le chemin de ces deux personnages. Un redoutable tueur de prostituées, brutal et sadique, incarné à l’écran par Peter Chan Charm-Man, et qui contribue également à sa manière au pouvoir d’attraction exercé par le film de Soi Cheang. Sur le plan visuel, le cinéaste crée un Hong Kong claustrophobe, sombre, constamment détrempé par la pluie. La topographie urbaine de la ville, verticale, vertigineuse et exiguë est remarquablement mise à profit par le film et par la photo de Cheng Siu-keung (collaborateur régulier de Johnnie To), au point de quasiment en devenir une ville « carcérale ». Ce détail est d’ailleurs l’objet d’un gag amusant de l’intrigue, et convient finalement parfaitement à une histoire qui traite de la façon dont les personnages sont façonnés par des forces indépendantes de leur volonté.

Slalomant avec brio entre l’action et l’humour, Mad Fate fait preuve, comme les films précédents de Soi Cheang, d’une énergie haletante, qui pourra paraître hystérique et/ou épuisant à certains spectateurs, mais qui sera au contraire comparable à un doux hydromel pour d’autres. Ainsi, après une scène d’ouverture absolument grandiose et stupéfiante, qui installera rapidement les cinq personnages principaux du récit, le cinéaste s’attardera sur la relation entre les personnages de Gordon Lam et Lok Man Yeung, le voyant, très agité, ne cessant de pousser le jeune homme à changer ses habitudes en vérifiant compulsivement son thème astral, son feng shui et toutes sortes d’autres détails mystiques et/ou folkloriques. Sa voix et sa logorrhée verbale submergeront rapidement une grande partie du film, apportant un contrepoint humoristique aux scènes les plus sombres ou les plus violentes.

Car en dépit de son humour irrésistible, Mad Fate porte tout de même clairement la marque de son auteur en ce qui concerne la gestion de la violence – littéralement barbare – et des scènes d’action, qui contribuent à donner au film une atmosphère très particulière. Par ailleurs, le film multiplie les commentaires mordants sur le Hong Kong contemporain, l’utilisation de la violence contre les femmes étant ici clairement un moyen de montrer explicitement l’état de délabrement avancé de la société Hong Kongaise, qui s’est peut-être encore accentué il y a quelques années avec la pandémie de Covid-19 (le tueur portant un masque est une référence explicite à cette période). Pour autant, l’espoir reste permis, dans le sens où la fin du film semble nous dire qu’après les ténèbres vient la lumière…

Le Blu-ray

[4/5]

Le Blu-ray de Mad Fate vient tout juste de débarquer chez votre dealer de culture préféré, sous les couleurs de Carlotta Films, et le transfert du film est assez sublime dans son genre. Restituant parfaitement les tons à la fois bigarrés et étouffants désirés par Soi Cheang et son directeur photo Cheng Siu-keung, le transfert est de toute beauté, proposant un piqué incroyable, ainsi que des textures et des couleurs vraiment saisissants. La définition est sans accroc, le niveau de détail excellent, et on n’aura rien à redire non plus sur la gestion des scènes nocturnes ou en basse lumière, qui s’impose comme vraiment remarquable. Les noirs sont en effet d’une belle profondeur, et l’encodage ne nous réserve aucune mauvaise surprise, bref c’est une galette Haute-Définition très soignée que nous propose une nouvelle fois l’éditeur, quitte à accentuer parfois les défauts du film, notamment en termes d’effets spéciaux (un chat en CGI absolument horrible).

Côté son, la VO du film est encodée en DTS-HD Master Audio 5.1 : sachant se montrer parfaitement dynamique dans la restitution des ambiances et occasionnellement totalement fou, ce mixage assure une immersion parfaite, sans fausse note. On notera également que Carlotta Films n’oublie pas les cinéphiles qui visionnent leurs films à domicile sans utiliser de Home Cinema ou de barre de son : un mixage VO DTS-HD Master Audio 2.0 est également disponible, et s’avérera probablement plus cohérent si vous visionnez Mad Fate sur un « simple » téléviseur.

Rayon suppléments, en plus de la traditionnelle bande-annonce du film, Carlotta nous propose de nous plonger dans un entretien avec Soi Cheang (16 minutes). Il y reviendra tout d’abord sur son expérience en tant que réalisateur, et nous expliquera que lors de son premier film (Horror Hotline… Big Head Monster en 2001), il n’était pas encore « prêt » et, déçu de ses propres films jusqu’à Coq de Combat, a fait le choix d’observer Johnnie To en tant qu’assistant, sur plusieurs films. Il reviendra ensuite plus précisément sur Mad Fate, précisant que Yau Nai-hoi avait développé son scénario entre 2008 et 2020. La question du destin et des moyens de le modifier rapproche Mad Fate de Running on Karma (Johnnie To, 2003), dont il est, pour Soi Cheang, une suite non officielle. Il reviendra ensuite pêle-mêle sur le tournage du film, sur ses doutes en tant que cinéaste, sur l’idée de représenter le ciel comme le « méchant » du film, ainsi que sur la fin du film, qui lui a été imposée par Johnnie To – Soi Cheang était contre [Attention #Spoilers] l’idée optimiste du personnage se dirigeant vers le soleil, mais a néanmoins accepté de faire cette concession en permettant seulement au soleil d’éclairer une bande étroite, signe que le chemin vers un avenir meilleur sera semé d’embûches. [Fin des #Spoilers] Il terminera l’entretien en disant qu’il espère venir un jour rencontrer ses fans en France. On l’attend en effet avec impatience !

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