Watership Down
Royaume-Uni : 1978
Titre original : –
Réalisateur : Martin Rosen
Scénario : Martin Rosen
Acteurs (VO) : John Hurt, Richard Briers, Michael Graham Cox
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h43
Genre : Animation
Date de sortie cinéma : 20 décembre 1978
Date de sortie DVD/BR : 30 juin 2024
Marqué par de terribles visions, Fiver, jeune lapin, prédit, en ce beau mois de mai, la destruction imminente de sa garenne. Incapable de convaincre le patriarche du danger, il décide, avec son frère Hazel, de quitter le terrier avec quelques autres lapins, dont Bigwig et Silver, pour se mettre en quête d’un nouvel endroit sûr où s’installer. Il leur faudra bientôt lutter pour survivre dans un environnement hostile…
Le film
[5/5]
En France, on a malheureusement toujours eu un peu tendance à considérer l’animation comme un Art à destination des enfants, et à moins qu’il n’aborde des sujets tels que la Shoah ou le Moyen-Orient, le dessin animé n’est pas souvent considéré comme une façon « sérieuse » d’exprimer des idées. De ce fait, depuis l’avènement des productions Disney, la plupart des grands noms de l’animation pour adultes ont régulièrement été jetés avec l’eau du bain par la critique et le public. Vous vous rappelez la façon dont votre grand-mère appelait toutes les BD des « Petits Mickeys » ? Qu’il s’agisse effectivement d’un simple Mickey Parade, d’une œuvre de Jacques Tardi, Frank Miller ou Art Spiegelman : tous des petits Mickeys.
En France, on a fait pareil avec le dessin animé pour adultes, et bien peu de cinéphiles connaissent aujourd’hui le nom de Martin Rosen, qui a produit, écrit et réalisé deux films d’animation adaptés de romans de Richard Adams : en 1978 tout d’abord avec Watership Down, puis en 1982 avec The Plague Dogs. Watership Down sortit sur les écrans français en décembre 1978 sous le titre La Folle escapade. Il s’agissait probablement là d’une brillante idée du distributeur de l’époque, qui désirait surfer sur le succès des dessins animés de chez Disney, et pensait peut-être attirer un peu plus de monde dans les salles avec un titre mensonger et complètement débile.
Les deux films d’animation de Martin Rosen firent néanmoins chacun l’objet d’une reprise en 2012 grâce aux efforts du distributeur Splendor Films, mais dans une combinaison de salles extrêmement restreinte : The Plague Dogs attirerait un peu moins de 800 français en l’espace de deux semaines, et Watership Down arrêterait sa course au bout d’une semaine avec un box-office de seulement 55 spectateurs. Cela pourrait presque s’avérer drôle cela n’était pas si triste, et on comprend mal le mépris développé par nous autres français pour l’Art du dessin animé.
Entre-temps, les enfants qui avaient été traumatisés par la découverte de Watership Down en 1978 avaient pu tenter de le revoir un peu plus d’une vingtaine d’années plus tard, puisque le film était sorti en DVD en 2002 sous les couleurs de Warner Bros. (collection « Warner Kids »). Malheureusement, le film avait pour l’occasion fait l’objet d’un nouveau doublage français. Et en dépit des efforts développés par Splendor Films pour essayer de le rappeler à nos mémoires en 2012, il aura donc fallu plus de vingt ans pour que le film de Martin Rosen sorte enfin au format Haute-Définition. Heureusement, il semble que nous autres français soyons les seuls à s’être mis des ornières concernant ce film : de l’autre côté de l’Atlantique, Watership Down a intégré en 2015 les rangs pour le moins prestigieux de la « Criterion Collection », dont le mot d’ordre est de « rassembler les plus grands films originaires du monde entier dans des éditions de la plus haute qualité avec des bonus qui favorisent l’appréciation de l’Art du cinéma ».
À bien des égards, Watership Down est un film pour enfants de forme classique. Il nous donne à voir un groupe de personnages attachants contraint d’entreprendre un voyage périlleux, qui devra s’unir pour triompher d’un ennemi effrayant. Le cadre de la campagne anglaise est bucolique, avec ses haies et ses prairies délicatement peintes à l’aquarelle, et la musique est dominée par les airs de flûte et de hautbois. Pour autant, et contre toute attente, le film de Martin Rosen n’a pas peur de développer un discours sur la mort, qui frappe au hasard dans le monde des lapins et constitue une menace qui flotte continuellement au-dessus de la tête de ces animaux. Cela se traduira à l’écran par un peu de violence, du sang, et une propension certaine à ne pas se détourner de la douleur, ce qui le différencie de presque tout ce qui se faisait dans le domaine de l’animation à l’époque.
D’ailleurs, la mort en tant que préoccupation quotidienne de la vie des lapins s’impose dès les premières minutes de Watership Down, à travers les visions de Merlin (Fiver), qui prennent la forme d’une coulée de sang sombre à travers la prairie. De plus, le film parvient à nous faire comprendre de façon assez brillante ce qu’est la vie pour une « proie », et la façon dont tout ce qui pourra paraitre tout à fait banal à un être humain (un chien de ferme en liberté, un blaireau dans les fourrés) peut représenter la mort pour nos petits héros. Cet état de fait est parfaitement résumé, façon légende antique, par la séquence de trois minutes au tout début du film, qui s’avère, d’un point de vue esthétique et tonal, à l’opposé de tout ce qui suivra, mais qui permet au spectateur de comprendre pourquoi le dieu soleil Frith a donné aux lapins « un millier d’ennemis », pourquoi il a fait d’eux des créatures rapides et roublardes, et pourquoi le « Lapin noir » (la mort) n’est pas seulement à craindre mais aussi à accueillir. Cette séquence d’introduction est probablement à mettre au crédit de John Hubley, qui occupa un temps la place de réalisateur du film, mais qui quitta l’aventure suite à des « différents artistiques » avec le producteur Martin Rosen. Créateur de Mister Magoo, directeur artistique sur Pinocchio, Fantasia et Bambi, Hubley s’éteindra peu après avoir quitté le film, et on ne connaitra jamais réellement l’étendue de sa contribution à Watership Down.
Sombre, atmosphérique, visuellement très réussi et doublé par des acteurs de talent (John Hurt, Richard Briers…), Watership Down est un film d’animation absolument remarquable. On notera par ailleurs que le film a eu plusieurs vies depuis 1978 : Martin Rosen a ainsi produit un remake de son long métrage sous la forme d’une série télévisée, qui compterait trois saisons, de 1999 à 2001. En 2018, une autre version du récit débarquerait sur Netflix, également sous la forme d’une série TV de 4 épisodes : intitulée La Colline aux lapins, cette série fut notamment doublée par John Boyega, James McAvoy, Nicholas Hoult et Ben Kingsley.
Le Blu-ray
[4/5]
C’est donc Le Chat qui fume qui nous permet aujourd’hui de revoir Watership Down, de nombreuses années après l’avoir découvert en salle ou en DVD. Proposé au tarif imbattable de 20 euros, le film débarque donc aujourd’hui dans un « simple » boîtier plastique, mais bénéficie d’une maquette et d’une composition graphique toujours signée Frédéric Domont, qui en font un véritable objet de collection. Côté Blu-ray, le master n’est certes pas tout à fait exempt de défauts, mais assure un rendu global propre et d’une stabilité exemplaire. Le piqué est précis, le niveau de détail élevé, et les couleurs sont toujours naturelles et convaincantes. Il y a parfois des changements radicaux dans les tonalités des couleurs de base – les bleus, les bruns et les verts, par exemple, apparaissent dans différentes variations et ont un impact important sur l’évolution de l’histoire – mais toutes ces fluctuations font partie de la conception visuelle du film. Côté son, nous aurons droit à deux mixages en DTS-HD Master Audio 2.0 (VO et VF), l’immersion sonore se fait de façon tout à fait recommandable, laissant parfaitement s’exprimer la bande originale d’Angela Morley. Du beau boulot technique ! On notera que le doublage français qui nous est proposé ici est bel et bien le premier doublage de 1978, qui nous permettra d’entendre les voix de Jean Roche, Gilles Laurent, Pierre Hatet ou encore de l’incontournable Alain Dorval.
Dans la section suppléments, en plus de la traditionnelle bande-annonce, on trouvera une riche présentation du film par Justin Kwedi (33 minutes), qui reviendra sur la place du film dans l’histoire du cinéma d’animation, sur l’influence qu’il a pu avoir sur plusieurs films à venir, sur le livre de Richard Adams, sur l’ambition de Martin Rosen et sa collaboration avec John Hubley, ou encore sur l’importance du coproducteur Jake Eberts. Très intéressant ! Pour vous procurer cette édition Blu-ray indispensable, rendez-vous sur le site du Chat qui fume !